Il y a quelques années, j'eus la surprise d'apprendre qu'un de mes grands-oncles a été prisonnier de guerre en Malaisie pendant la Seconde Guerre mondiale. J'avais toujours vu ce conflit comme appartenant aux livres d'histoire, et jamais je n'aurais cru qu'un membre de ma famille ait pu y être impliqué aussi directement, encore moins fait prisonnier par l'ennemi.
Ce grand-oncle maternel, c'est Frère Gaston, missionnaire en Malaisie pendant 35 ans. Et heureusement pour la petite histoire familiale, il existe une version manuscrite de sa vie.
Comme il y eut bien peu de missionnaires Québécois en Malaisie à cette époque, j'ai tout de suite eu la pulsion de publier ce récit sur le web afin de le partager avec le monde entier. Ayant communiqué mes intentions à ma mère, qui elle aussi partage cette pulsion d'archiviste et de documentation, elle a accepté de le verser dans le domaine public.
Quelques notes sur la version du manuscrit publiée sur ptaff.ca. Afin d'être le plus proche possible de l'oeuvre originale, nous avons tenté d'être le plus fidèle possible à la version sur papier. Cette version a été tapée à la machine à écrire conventionnelle et nous avons tenté de reproduire la fonte de caractères. De plus, la ponctuation, la mise en page, les coquilles et les fautes ont été reproduites à l'identique; on retrouve d'ailleurs les annotations du frère de Gaston, mon grand-père Jean-Paul, en caractères bleus.
En espérant que cette histoire vous fasse voyager dans le temps et dans l'espace,
Miguel Tremblay
Petit neveu de Frère Gaston Tremblay
Chers Frères, Parents et Amis,
Que ne suis-je un Bossuet ou un Fénelon ou même un bon écrivain, pour pouvoir faire justice à mon héros, avec des phrases brodées d'adjectifs pompeux, dignes de mon sujet. Mais je ne suis qu'un pauvre « écriviste ». Cependant, je suis décidé à raconter de mon mieux ce que je sais pour faire revivre devant vous, mon Frère, Gaston Tremblay.
Ceci est une courte notice nécrologique du Frère Gaston, né Wilbrod Tremblay, missionnaire en Malaisie pour 35 ans et mort à Québec à l'âge de 61 ans.
Avec lui j'ai causé, voyagé et vécu. J'ai aussi entendu parler de Wilbrod par ses parents et amis. Dire que je l'ai connu intimement et compris parfaitement, serait un tout petit peu exagéré. Il présentait un mélange de personnalités, si complexe que probablement lui-même n'a jamais pu le résoudre avec satisfaction. Le peu que je puisse dire, c'est que je l'ai apprécié vraiment et l'ai aimé comme un frère.
Gaston Tremblay me semble, comme on dirait, avoir eu un double. Un lion féroce au travail, un agneau pour ses intimes amis. Un être généreux et bon à l'extrême, mais un Frère un peu difficile à comprendre parfois, à cause de sa grande fougue et de son bel enthousiasme.
Wilbrod s'est cru en maintes reprises, le GRAND INCOMPRIS... UN ABANDONNE... Il avait besoin de multiples encouragements et de beaucoup de marques d'affection pour rester en marche. Élevé dans une atmosphère chaude d'amitié et fourmillante de compagnon... à la solitude de certains milieux où il vécut, lui faisait mal au coeur... le rendait maussade et agité... lui coupait le souffle. Il aspirait à changer tout le monde. Mais par où commencer? Chez nous? Chez qui? Comment faire accepter ses idées nouvelles?
Voici un rapide portrait de mon héros Gaston Tremblay – Romaine.
F. Michel Blais F.S.C. J.S.M.
Au pays Saguenayen, les Tremblay sont aussi nombreux que les bleuets, qui abondent dans la région. Mais au lieu de les différencier comme on le fait avec les petits fruits bleus... en GROS... PLUS GROS... et ENORMES... (les deux tartes pour un)!!! ...(on ne parle jamais de petits « beluets » au lac St-Jean)...les Tremblay se distinguent par de jolis sobriquets... comme les Catalognes, les Pascal, les Jiggons, les Sauvages, les Picotés... et les Romaine... C'est à cette dernière catégorie de Tremblay, que les ancêtres de Wilbrod appartiennent.
La ferme Tremblay-Romaine se situait en dehors du petit village de Port-Alfred... là où se trouve maintenant, la paroisse Notre-Dame-de-la-Baie. Monsieur François Tremblay était un homme assez à l'aise... possédant plusieurs vaches, de nombreux moutons et de forts chevaux. Il était aussi le laitier accrédité du village. Avec sa belle boîte blanche, fixée solidement sur un « quatr'roues »... il se promenait tous les matins, sans fautes, dans les rues boueuses ou sèches comme du ciment ou enneigées par les grosses tempêtes de l'hiver... pour laisser sur les seuils endormis... de belles grosses bouteilles bien propres, pleines jusqu'au « cap »... de beau lait crémeux et pur, cent pour cent...
La terre des Tremblay couvrait une immense étendue de terrain. Par monts et par vaux, de tortueuses clotures de pieux couraient tout autour, pour en limiter les frontiers sur les côteaux.
François était « ordilleux » de sa grande terre et fier de la progéniture que sa jolie Mélie lui avait donnée. Cette épouse chérie... une vrai femme forte... comme celle du saint Evangile... voyait à tout. Debout... avant le lever du soleil... elle chantait fort... comme pour réveiller le coq endormis dans les bâtiments. Le coq lui répondait en « coquericossant » d'une voix de petit tonnerre, ...ce qui faisait lever le soleil tardataire... Pas de coq, pas de soleil... pas de Mélie pas de coq... Vous me suivez?... Elle était GRAVE... cette belle Madame. 15 enfants en parfaite santé, réjouirent les parents, étonnés de voir que leurs prières étaient si abondamment et si rapidement exaucées... ils vivaient près du ciel... ces gens là.
Dans la famile de François et Mélie Tremblay... on disait les prières ensemble, et le chapelet s'égrenait autour de la table. Le soir... après souper,... avant de faire la vaiselle. Quelques fois on combinait les deux pour sauver quelques minutes d'un sommeil bien mérité ou pour donner aux grands gars la chanche d'aller voir leurs blondes plus de bonne heure. Fatigué. François n'avait guère connaissance des oraisons de sa Mélie, qui implorait le ciel d'envoyer du beau temps... Aussitôt les orémus finis, le père s'asseyait dans sa berceuse bourrait sa pipe et... s'endormait sans jamais l'allumer... ou presque jamais!! De sa grande chaise, au bout de la table, François a vu sa famille grandir...au jour le jour...avec une rapidité canadienne... Très tôt il fut entouré d'enfants, de petits enfants et d'arrières petits enfants...comme les étoiles du ciel et les sables de la mer, y en avait une multitude.
Notre Wilbrod... Frère Gaston... rejeton vigoureux de François et Mélie Tremblay-Romaine de Port Alfred, fut l'un des joyaux de leur couronne bien gagnée. Parmi les jeunes de cette maisonnée il y en avait pour tous les goûts... des brillants et des plus brillants... comme disait maman « Je les ai faits et je les chéris tous dans mon coeur de MERE ».
Chez les Tremblay les enfants fourmillaient... Pas un qui fut gigne d'être placé dans une niche... pas un qui fut encadré avec des bordures d'or et placé dans une église, même la plus dépourvue de statues et d'images.... Dans le Grand Nord Saguenayen... les petits Romaine...étaient de vrais enfants canadiens avec du poil aux pattes et du chien dans le corps. Les uns étaients sérieux comme des papes et les autres bruyants comme des abeilles affairé... Chacun avait son caractère particulier... les garçons étaient des fiers à bras... bons vivants... pleins d'humour... généreux jusqu'à la dernière cent... toujours prêts à rire et à jouer des tours pendables...
Les gentilles demoiselles Tremblays ne se laissaient pas tondre la laine sur le dos par les grands frères... sans rouspéter un peu. Pleines de vie et de charme, dont elles étaients très conscientes. Naturellement, elles étaients versées dans la connaissance de moyens féminins, pour gagner les coeurs mâles. Ces belles créatures savaient quelles cordes toucher pour obtenir ce qu'elles désiraient vraiment. Un mélange de larmes... de « graffignes »... et de grimaces... avec des rires des sourires et promesses de presser quelques chemises et pantalons pour les grands frères qui vont voir les filles du canton. Cela leur obtenait facilement une amnistie générale, et de petits cadeaux par-dessus le marché.
C'est dans ce milieu, chaud d'amour et d'amitié fraternelle que Gaston a grandi et s'est développé. Il fréquenta l'école des Frères des Ecoles Chrétiennes au village... appelé maintenant VILLE DE PORT-ALFRED. Il y fit des siennes dès son jeune âge, comme tous les enfants, pour l'honneur du drapeau familial. Bâti robustement et tout d'une pièce, il pouvait recevoir et donner avec intérêt composé. Sans trop de provocation... Wilbrod ne se plaignait jamais à la maison... Les grosses bosses sur la tête et les petites égratignures dans la face pouvaient toujours passer sur le dos des animaux nerveux dans l'étable... Pauvres bêtes innocentes et muettes... comme on vous en fait avaler des sottises... inexplicables autrement. Gaston n'était certes pas, comme les petits chérubins joufflus que l'on voit suspendus aux plafonds de nos maisons de prières.
Le Bon Dieu, aveuglé par son amour, a trouvé en Gaston les qualités voulues pour en faire un FRERE... Il était entreprenant... hardi... pas effrayé de travailler fort... débrouillard... assez pieux mais pas exactement un rongeur de bancs d'église. Son language n'était pas toujours très académique... même qu'il lui arrivait d'user de mots qui ne sont pas encore dans le dictionnaire Larousse, et ils ne le seront jamais, en dépit des progrès du Joual... Cependant tout le monde pouvait le comprendre aisément.
En juillet 1937, je donnais mon nom pour les missions... « Je suis prêt à aller n'importe où, n'importe quand. » On me dit comme ça : « Vous devez être fou... vous ne savez pas où ils vont vous envoyer, » et moi de répondre, « Nos supérieurs sont supposés être assez intelligents pour le savoir. » Si j'étais fou, j'étais certainement pas le premier, dans cette vocation-là... Dieu le sait... Durant les jours qui suivirent je me demandai si je serais seul de ma « GANG »...
Un beau matin, un jeune homme frappe à la porte de 484, rue Colomb... et me dit comme ça « Vous ne me connaissez pas... mais moi, je vous connais. Je suis le Frère Gaston votre compagnon pour les missions. » Cette première rencontre fut comme un coup de foudre. « Seigneur j'aime bien votre choix ». « Nous allons nous entendre parfaitement tous les deux. » Un garçon bien ouvert, regard franc, rien de caché... pas mesquin... un rire sonore... une généreuse poignée de mains... et tout de suite je me sentis à l'aise.
Avant de se consacrer aux missions, Gaston avait enseigné à Arthabaska pour quelques temps... Voici un témoignage d'autant plus éloquent qu'il ne fut pas sollicité. M. Jean-Marc Fleury, apprenant le décès du Frère Tremblay, son ancien professeur, fit le trajet à Québec pour nous donner à réfléchir sur ce qui suit... « Le Frère Gaston a été mon meilleur professeur... il n'élevait jamais la voix et savait se faire obéir sans avoir à sévir. Il savait capter notre attention avec ses histoires intéressantes et drôles, “actées” et dites en vrai raconteur qu'il était. En dehors de sa classe, il se faisait tout à tous... Le Frère Gaston intéressait les jeunes dans des projets qui leur faisaient réellement plaisir... comme faire des “casse-cul” avec des douves de barils, des buches de bois clouées là-dessus et une planche en travers sur laquelle on s'assoyait et dévalait les pentes enneigées des cantons de l'Est... On réparait aussi des toboggans brisés....on arrosait les glissoires et nous faisions toutes sortes de choses autour de l'école. Je me rappelle ces mois d'hivers passés à Arthabaska en sa compagnie comme des moments ensoleillés de mon enfance... Nous avions même bâti une espèce de chalet miniature sur les bords de la rivière, avec notre professeur Gaston, pour contre-maître et architecte... Il était réellement habile. En résumé ce jeune Frère savait nous guider dans nos jeunes efforts et nous poussait à faire des travaux non seulement ordinaires mais quasiment extraordinaires pour notre âge... Ainsi, il donnait à la jeunesse une vraie formation humaine... en plus du plaisir de découvrir et de créer de belles choses... Les enfants apprenaient è oeuvrer en compagnie, ainsi qu'à côtoyer leur prochain... découvert autour d'eux. Au lieu de regarder au loin pour le voir vaguement perdu dans les nuages... Les enfants avaient aussi la chance de prouver leurs talents cachés... »
C'est bien vrai ce que dit de lui cet homme. Jean-Paul
Durant les semaines qui suivirent notre première rencontre à St-Joseph... au pied de la Pente Douce... je présentai Gaston à ma mère... Elle fut charmée et me dit: « Tu as trouvé un bon ami. »
Je visitai sa famille à Port-Alfred... Une maison blanche dans un grand champ en dehors du village. La réception fut des plus chaleureuses comme peuvent en témoigner les Frères qui ont visité de temps à autre, cette vraie famille canadienne de chez nous. Des gars bâtis comme des géants Beaupré et forts comme des Delamarre. Il y en avait assez pour faire le tour de la table...une vraie belle table en beau bois franc... sur laquelle Mamam Tremblay avait, sans cérémonie... posé un immense chaudron noir qui venait directement du feu... Un chaudron rempli jusqu'au bord de patates jaunes et de morceaux de porc...De son bout de la tablée... assise près de son François chéri... Mélie coupait de gros croutons de pain, fait à la maison... Elle tenait la miche avec son bras gauche comme elle avait tenu les bébés... Elle vous tranchait des morceaux extra épais.. avec un gros couteau à boucherie... « Grande générosité des gens du Saguenay » comme disait Gaston : « On donne tout ce qu'on a et on partage le reste. » Aussitôt coupées, les tranches disparaissaient dans les gosiers Tremblay.
Je me rappelle bien de tout cela. C'est tellement vrai. Jean-Paul
A cette occasion je fus comme on dirait « ADOPTE » par tous les TREMBLAY et pour toujours, après ça je me sentis chez moi, quand l'occasion se présentait de les visiter. Ils m'ont toujours traité comme un enfant de la famille. Merci à tous mes FRERES adoptifs pour leur bonté à mon égard et pour leur affection qui ne s'est jamais refroidie... Même en dépit des années passées loin de ce foyer hospitalier, les rencontres sont aussi chaleureuses que la première, et même plus si cela se peut... maintenant que nous avons tous grandi et mûri.
Ainsi croissaient dans l'amour les uns pour les autres, les membres d'une famille heureuse, groupés autour de parents affectueux et respectés. Cet amour filial produisit une belle vocation dont ils sont tous fiers. « Notre Wilbrod va devenir un missionnaire... Dieu soit béni... Le Seigneur nous a regardés avec bienveillance... » Cette vocation religieuse était le résultat de leurs prières et de leurs sacrifices. Dieu avait fait un bon choix... Il s'était engagé quelqu'un pour sa vigne... un bon travailleur.
Le grand départ eut lieu de Montréal, à bord du Duchess of Atholl... le frère Paulin, visiteur de Montréal, nous accompagna au port pour nous donner les dernières instructions... et nous présenter avec notre billet... Nous étions trop jeunes et trop inexpérimentés, je suppose, pour l'avoir reçu la veille à la maison, ... en tout cas,... il nous informa des règlements pour les FRERES qui voyagent... « Donnez de gros pourboires... en considération de ceux qui voyageront après vous. »
Vers les onze heures, par un matin ensoleillé, le magnifique bateau se mit à glisser lentement sur les eaux vertes du St-Laurent. Les rives verdoyantes passèrent de chaque côté de nous... déployant leurs beautés merveilleuses d'un septembre canadien... Pendant que le soleil brillait dans un beau ciel bleu.. les larmes s'accumulaient et roulaient de nos yeux...
Le même soir, nous passions sous le PONT, et non longtemps après nous étions devant un Québec en fête... On y célébrait l'arrivée des premiers frères français au Canada en 1837. Ce que peu de gens savent, c'est que tous deux nous avions été approchés pour représenter, au Colisé ce soir-là, les premiers frères qui arrivèrent il y a 100 ans, mais ce nous fut inpossible. Trop tôt après, Québec et ses lumières disparurent dans les ténèbres de la nuit... pendant que nous étions sur le pont du navire avec seulement nos souvenirs.
En guise de consolation, nous avons vidé la moitié d'une bouteille de crème de menthe ce soir-là avant d'aller nous coucher. Ce fut notre manière d'éviter cette terrible maladie, appelée MAL DE MER. Le lendemain, pour noyer le reste de nos chagrins on vida la bouteille. J'écrivis deux cartes postales à ma mère... une en anglais et l'autre en français... on les mit dans la bouteille... puis on jeta le tout à la mer dans le détroit de Terre-Neuve. Imaginez mon étonnement, quand six mois plus tard, je reçus à Londres où j'enseignais... les deux cartes, avec une lettre de reproches de ma maman, pour avoir causé tant de « troubles » à ces pauvres gens... La bouteille avait traversé l'Atlantique sur les eaux du Golfe Stream... et s'était échouée sur le rivage. Un pêcheur Ecossais l'avait trouvée sur la grève au nord des Iles Hébrides.
Comme compagnon de voyage, Gaston était intéressant et charmant... très facile d'arrangements... toujours content des décisions de son grand frère... Il se faisait des amis facilement et partout. Le service sur le DUCHESS of ATHOLL était des plus parfait. Un servant de table, attaché à nous seulement... un orchestre d'artistes, qui jouait deux fois par le jour. Que demander de plus... Le dernier soir sur le navire, il y eut un concert dans le salon de première classe... pour les veuves des marins. Tout les bateaux de cette ligne font comme ça... Le premier ministre de la Pologne... PADEREWSKI, un pianiste de grande renommée, joua pour nous son célèbre MENUET et aussi celui de BOCCHERINI... Quelle musique magique! Il n'y en a pas de plus belle au ciel!!! La fameuse chanteuse, LILY PONS, coloratura du Metropolitain de New York, nous en roucoula une belle, tout comme si elle avait un petit serin dans la gorge... ça montait et ça montait... puis ça roucoulait des trilles à n'en plus finir. Nous étions chanceux comme des bossus, pensez-y donc, avoir ces deux vedettes sur le même bateau que nous... dans un temps comme ça.
A Belfast, on arriva le 4 octobre. Le Frère directeur Dominique nous attendait. Un charmant homme qui, tout d'abord se montra un peu distant, comme s'il doûtait de nous... Quelle sorte d'hommes sont ces missionnaires? Mais pas longtemps après, son visage tourna au beau et y resta durant notre séjour en ERIN.
De Belfast, le frère visiteur Brendan nous fit descendre à Dublin... par train. Pauvre homme, il ne savait que faire de nous. Dans son auto, il nous amena visiter quelques communautés, Kildare, Castletown, Waterford... et le
même soir nous arrivions à Faithleg, le noviciat pour toute l'Irlande. Le Directeur, le frère Lawrence O'Toole, en me voyant me dit : « Vous êtes trop vieux pour être mêlé avec les scolastiques... et lui Gaston, il va s'ennuyer à mort, séparé de vous. » « Je vais vous mettre tous les deux, dans la chambre du visiteur en attendant de meilleurs arrangements. »
C'est comme ça que nous nous sommes trouvés logés dans un coin du château. Tous les jours nous recevions des cours d'anglais, qui firent de nous des linguistes dans le temps de le dire. Quelques fois nous allions jouer au rugby, avec les scolastiques, ou bien on allait en promenade dans les campagnes environnantes. Les alentours de Faithleg sont très enchanteurs. Une large rivière limite la ferme en arrière du château... et de magnifiques forêts sont des paradis terrestres pour les chasseurs. Il y a des chasses avec des chiens qui poursuivent des renards agiles. La course se fait dans les champs de grain... dans les jardins...partout où le renard va, les chasseurs et leurs chiens suivent...et personne ne se plaint. Un jour, nous avons même quitté la chapelle... durant l'examen particulier... qui se faisait encore dans ce temps-là!!.. pour aller voir passer la chasse et ses chiens aux abois, précédés des cors qui sonnaient un air enlevant... Ces choses-là sont d'une grande importance locale. Elles ont des valeurs sentimentales et traditionnelles.
Après un court mois en Irlande, le frère Assistant Hoséa vint nous voir et trouva la situation pour le moins cocasse. On ne pouvait pas fréquenter l'Université de Dublin, sans savoir la langue gaèlique... la langue officielle du pays... et celle-ci ne nous serait d'aucun usage en Malaisie. Alors, il fut décidé de nous envoyer étudier en Angleterre... pour un degré universitaire. Moi, je fus dirigé sur Londres pour y enseigner, en même temps qu'étudier... et Gaston s'achemina vers le scolasticat d'Englewood. Nous fûmes ainsi séparés pour de bon.
Pendant que Gaston et moi nous nous préparions pour les missions... à Québec... deux jeunes frères faisaient la même chose à Toronto... Lawrence Spitzigg... et Steven Anthony Knoll. Tous les deux dans la fleur de l'âge. Larry, 19 ans, brillant jeune homme aux yeux bleus, cheveux blonds et frisés. Il avait un sourire qui pouvait faire fondre la glace... il possédait toutes les qualités requises. Steven... un peu plus agé... 23 ans... accusait une maturité de jugement très solide. Tous deux quittèrent Toronto un mois avant nous et se dirigèrent directement vers Englewood, Angleterre, pour y prendre leur degré à l'Université de Cambridge... Gaston les rejoignait en octobre 1937.
Je les rencontrai tous les trois, durant les vacances de janvier 1938. Dès les premières paroles nous étions devenus des amis inséparables... Quatre canadiens errants, loin de leurs foyers...LES QUATRES MOUSQUETAIRES CANADIEN... LARRY... GAS... STEVE... MIKE.
Au mois de juillet '38, on entendit l'appel général. « Préparez-vous à vous embarquer pour la Malaisie. » « Où ça se trouve la Malaisie? » Nous ne le savions pas? « Le savez-vous? » C'est un si petit pays sur les cartes du monde qu'on peut à peine le voir...
Pour nous récompenser du bon travail de l'année, les supérieurs nous donnèrent le grand tour des Iles Britanniques... l'Irlande comprise. Une réception sans pareille nous attendait partout... Le Frère visiteur Brendan avait préparé notre venue... « Traitez-les comme moi-même. » A ce beau tour là fut ajoutée une visite de quelques villes sur le continent... Paris... Strasbourg... Bâle... Milan... Venise... Bologne... Rome... Capri... et départ de Naples le 23 septembre: « SOYEZ-LA ». A tous ceux qui nous ont reçus et aidés durant ce voyage merveilleux, nous disons MERCI.
Enfin nous sommes sur le pont du gros bateau, le BIANCAMANO,... quatre missionnaires en route pour l'Extrême-Orient, un pays inconnu!... Y arriverons-nous jamais?... Un an déjà que nous sommes partis du Canada... et toujours en route... Gaston âgé de 21 ans, Larry 20, Steve 24 et Mike 30, tous dans le bel âge des rêves dorés.
Voici quelques propos que nous entendions journellement autour de nous... « En tous les cas, vous allez dans un pays qui va vous chauffer la tête »... comme disaient quelques pessimistes qui n'y étaient jamais allé. « Le climat va vous rendre fou,...plus que vous l'êtes déjà... » « La vie y est très dure et des sauterelles pour nourriture »... « On va peut-être vous manger!!! Il y a des cannibales, en quête de jeunes canadiens bien gras »... « Des bêtes féroces sur quatre pattes sortent des bois pour dévorer les habitants isolés et d'autres animaux plus terribles encore, qui n'ont pas de pattes... ils rampent et sournoisement vous attaquent »... Comme il s'en dit des sottises sur les missions!... Ces conversations n'étaient pas bien encourageantes pour quatres jeunes inexpérimentés, comme nous. Devenir fou!... être mangé!... Ca ne nous souriait pas trop, sur le bateau.
On passe par le canal de Suez... chaud le jour, froid la nuit, comme dans le désert qu'il traverse. On file à 8 noeuds à l'heure, pour ne pas faire une grosse vague, qui passerait par-dessus les remparts et ramènerait du sable dans le canal... Dans l'Océan Indien, premier contact avec les MOUSSONS... La mer est tourmentée et couverte de « moutons blancs ». De hautes vagues secouent notre barque pas trop légère... Peu de passagers aux repas! Où sont-ils? Vous le devinez... couchés entre les bras du MAL DE MER... Les tas de draps sales qui s'accumulent dans les couloirs en disent plus que les paroles. Gaston fut un petit peu malade. Il était trop « ordilleux » pour le laisser voir... Pour une couple de repas, il n'avait « pas faim ». C'est ce mot qui disait (nom illisible) Jean Paul
A Bombay, on débarque pour se délier les jambes en faisant un petit tour de ville... Sur les vérandas, il y a des formes humaines, enveloppées dans des draps blancs qui ressemblent à des linceuls... Peut-être des gens qui ont été assassinés? ... marchons vite... sortons d'ici... De grandes mares de sang rouge sur les trottoirs!... Une bataille peut-être? ... Filons... ils pourraient nous attaquer... Allons plus vite, c'est dangereux ici, le soir... On arrête à un restaurant pour reprendre notre souffle.. et quelque chose de plus... de gros rats..courent partout sous les tables... On attire l'attention du garçon de table,
qui, avec une belle face noire, toute grimaçante, qu'on pourrait prendre pour un sourire, dit: Ils nettoient bien le plancher, n'est-ce pas, Monsieur? C'est GRAVE.
Seulement de retour au bateau, on découvrit nos erreurs... Les cadavres? Ce sont les gardiens de nuit des maisons,... et comme tous les gardiens!... ils dorment des fois! Des mares de sang?... des gens qui, tout en causant,... chiquent des feuilles de bétel... et crachent sur le trottoir... pour ne pas salir les crachoires!!... De simples explications peuvent cacher d'extraordinaires choses! quand on ne connaît pas les endroits et les gens.
A Colombo, même désir de visiter. Mais ici, on ne se laissera pas embarder... On prend un taxi pour faire le tour... D'abord on rencontre nos amies les corneilles, par milliers!... Elles nous saluent bruyament avec les traditionnels Kaw!... Kaw!... Elles sont les nettoyeuses attitrées des rues, et respectées de tout le monde, comme les pigeons de Venise... En face d'un temple Hindou, on s'arrête un moment... Des frissons nous courent par tout le corps, en voyant les derviches, danser tout nu, autour de gros chaudrons fumants... Dans les ténèbres qui remplissent le temple... la fumée des bâtons d'encens monte vers le toit... Pris de peur, nous filons en vitesse... la frayeur nous donne des ailes et un fou rire au chauffeur, étonné. Un peu calmé, on visite un temple de Bouddha. Avant d'entrer il a fallu enlever nos chaussures pour ne pas salir les beaux parquets et pour montrer notre respect... C'est une partie de l'étiquette locale!... Comme nous en avons à apprendre, avant de nous sentir chez nous, en Orient!
Le 4 octobre '38 notre gros transport le BIANCAMANO accostait à Singapore. Première impression?... Le voyage a été beaucoup trop court... seulement 22 jours de Naples à Singapore... mais des années en arrière... Quelle est cette senteur?... Ce sont les parfums d'Orient,... épicés et huileux... Y a-t-il quelqu'un pour nous rencontrer? « OUI », un frère est assis sur une pile de planches, là dehors,... il est habillé en noir comme les frères du Canada. Qui est-il? On va vite le savoir... car aussitôt la passerelle mise en place... il monte à bord et prend contrôle de nos bagages... C'est le frère Henri (Petit Napoléon) le directeur de St. Patrick. Il nous fait monter dans sa voiture, avec chauffeur... et nous voilà sur une belle route de macadam. De chaque côté de nous, des belles maisons en pierres et en ciment... de gros magasins, des banques commerciales très imposantes. « Où sont les forêts pleines de serpents venimeux et de grosses bêtes féroces?.. Où sont les fameux canibales?... Pas ici... à moins qu'ils ne se cachent en arrière de banques. » A la résidence, on nous reçoit comme des FRERES, l'accueil est chaud et fraternel. Comme FRERE, on trouve la même bienvenue partout dans le monde.
Durant le dîner, le Biancamano... passe tout près de l'école, bâtie sur le bord de la mer... Le navire se dirige vers la Mer de Chine. Pour nous ce fut une drôle de sensation que de le voir disparaître à l'horizon. Notre dernier lien avec le monde que nous connaissions est rompu, brisé. Nous sommes seuls, en pays étranger,... en mission.
Les mets ici sont différents... tout est différent. Le riz est le principal plat du repas. Gaston ne connaissait pas les sensations brûlantes que donne le chilly pris en grande quantité. Il en prit une cuillerée à thé... et les larmes de repentir lui remplirent les yeux... Il ne savait que faire... Il ne pouvait pas avaler cette boule de feu qui lui écorchait la langue et la gorge... Le Directeur pris de sympathie... lui dit: « Allez vous laver la bouche mon Frère... »
Le lendemain, les deux frères de Toronto, Lawrence et Steve Anthony, se dirigèrent vers notre école de St.Joseph... Singapore. Gaston, mon petit frère fut mis à bord d'un train à destination de Taiping, quelque 250 milles plus au nord...
Quatre canadiens dans la même communauté., c'eut été trop demander pour un directeur... Dès notre arrivée en Malaisie, nous fûmes séparés, éparpillés,... un ici... l'autre là. Ils ne doivent pas se rencontrer... ces quatre missionnaires révolutionnaires!... Nous ne nous sommes jamais réunis, les quatres canadiens en Malaisie, après ça.
La principale difficulté rencontrée dans toutes les missions c'est l'adaptation. Comment devenir un natif du pays... comment vivre comme eux... penser comme eux... manger comme eux. Certains y arrivent facilement, d'autre y parviennent lentement, après de multiples efforts.
Gaston Tremblay se fit tout à tous en un rien de temps. Naturellement facile à approcher, les Malaisiens l'aimèrent dès les premiers contacts,... entre maîtres et élèves, parents et maîtres,... professeurs séculiers et Frères... Ceci est essentiel, en dépit d'avis contraires de certains... « Fuyez le monde. » Comment les convertir tout en les fuyant?... Les religieux sont beaucoup appréciés en Malaisie et respectés de tous. On porte la robe blanche à la chapelle.. en classe... sur les rues... sur les trains... jamais personne ne passe de remarques... tout au contraire, ils aiment nous voir ainsi vêtus. C'est le signe de notre profession.
Mais à toute médaille il y a un revers. Si ce ne sont pas les gens de l'extérieur qui nous donne du trouble... Eh bien! on s'en donne entre frères. On ne se comprend pas toujours. Ici, en Malaisie, nous avons tant de races, de nationalités... de couleurs... et de types... dans nos communautés. C'est presque impossible de ne pas se marcher sur les orteils de temps en temps. On ne parle pas de notre pays... on ne compare pas le leur avec le nôtre... on ne cause pas de politique... tous ces sujets sont tabous.
Voici ce que dit de lui un Frère de sa communauté de ce temps-là. « J'ai rencontré le Frère Gaston pour la première fois à Taiping... une petite ville du nord de la Malaisie. Dans ce temps-là, son anglais n'était pas parfait et fluent... mais il enseignait avec verve et énergie... pas toujours selons les règlements du Département...mais très efficacement... et les enfants l'adoraient. »
Un autre témoignage du même frère... « Son travail de classe fut splendide.. et il se mérita un grand nom comme professeur émérite. Il organisa une foire et construisit pour l'occasion “UN MERRY GO ROUND“ (un carousel) comme il y en a dans les cirques... mais sur une petite échelle... 12 sièges seulement pour les enfants... Avec l'aide de l'armée, il avait réussi à assembler toutes les pièces nécessaires... et ça marché... Foi de Tremblay... je vous l'avais bien dit. » Le Frère James Dooley continue... « Gaston était un homme au coeur d'or...Personnellement je pense qu'il aurait été plus heureux si on l'avait placé dans une école technique ou une école des ingénieurs... Il était doué de ce côté-là. » Ça c'est vrai (illisible), il était très agile et inventif. De succès en succès sa popularité alla croissante parmi les gens qui appréciaient son entier dévouement à sa tâche.
En 1941, les armées japonaises précédées des hordes Coréennes, envahirent la Malaisie et emprisonnèrent tous leurs ennemis. Gaston fut mis en prison à Taiping et fut traité cruellement par les gardiens. Il fut battu plusieurs fois pour ne pas pouvoir réciter les mots de l'hymme national japonais « KYMYGAYO ». Il finit par l'apprendre et on le laissa un peu tranquille. Les prisonniers étaients pressés comme des sardines, dans des cellules faites pour un... ils étaient jusqu'à 15...et même 20. C'était en soi un tourment que de se voir ainsi groupés comme des animaux. La malpropreté qui y régnait faisait croire à des étables mal entretenues... la puanteur et la chaleur y étaient insupportables... la nourriture de pauvre qualité et donné avec parcimonie... irrégulièrement... Elle était passée pas dessous la porte comme on fait pour des chiens furieux. Notre Gaston là-dedans fondit comme la glace au soleil. Quand il en sortit il était réduit de moitié et sa santé était très ébranlée.
Le Frère James Dooley, qui fut emprisonné avec lui, a ceci à dire: « Quand les japonais envahirent la Malaisie en '41, la ville de Taiping fut déclarée... VILLE OUVERTE, cela veut dire qu'il n'y avait pas de provision en réserve pour l'armée et pas de soldats pour la défendre. Ce fut dans ces pénibles circonstances que Gaston montra son vrai métal de religieux et d'homme au grand coeur. Il travailla jour et nuit sous une pluie diluvienne, à transporter des provisions sur son dos, sur une distance de 9 milles, par des sentiers agrippés aux flancs des montagnes dans la jungle. Il se dépensa ainsi, non seulement pour la communauté en besoin... mais aussi pour les réfugiés avec eux. Comme résultat de ces efforts surhumains, il attrapa une vilaine toux dont il ne put se débarrasser, et dont il souffrit pour le reste de l'occupation. En plus, on sait qu'il avait toujours souffert de violents maux d'estomac. Gaston est mort le 29 avril 1977 à la maison des Frères à Québec = J. Paul son frère
Le Frère James, son compagnon d'infortune continue: « Emprisonné au commencement de la guerre... Gaston eut soin des malades avec moi. Les médecines n'existaient pas et la nourriture... seulement un peu de riz bouilli. Durant tout ce temps, le Frère Gaston fut la charité même. Il prit soin des cas les plus humiliants comme la dysenterie, que personne ne voulait toucher. »
Plusieurs de ses patients moururent et Gaston les enterra de ses propres mains pendant que lui-même pouvait à peine se traîner, tant il était malade et étiolé. Il fit pour les autres ce qu'il aurait aimé que les autres fissent pour lui.
Adopté par quelques bons amis, à sa sortie de ce trou sordide, il réussit à sa sauver la vie en jardinant, jusqu'au jour où il fut envoyé à Malacca. Dans cette ville, les Frères vivaient dans leur propre maison, non loin de la prison.. Jour et nuit il y avait des alertes... et le sommeil en était réduit à une sorte de somnolence ou inconscience. Il a dû jardiner avec vigueur... et il fit du marché noir, comme tout le monde, pour obtenir les Feuilles de Bananes... nécessaires pour l'achat de vivres, comme sucre, épices, poison, etc... (Feuilles de Bananes... argent japonais avec le dessin d'un arbre à Bananes) Jean (nom de famille illisible) a de cet argent.
La lutte finie, Gaston ne fut pas rapatrié tout de suite... pas avant que les autres canadiens LARRY, STEVEN et MIKE ne soient de retour de leur congé au Canada. On avait peur que les Mousquetaires ne reviennent pas. Après un court séjour dans leurs familles, les trois sont retournés de plein gré... pour continuer le travail dans la vigne du Maître. Alors seulement les autres frères, y compris Gaston, partirent à tour de rôle pour leur congé bien mérité... et tous sont retournés à leur mission. Il n'y avait pas de crainte à avoir... on travaille pour le bon Dieu...
En novembre '46, le Frère Gaston, son tour arrivé, quittait la Malaisie pour venir se reposer dans sa famille. Il était vraiment fatigué et en bien pauvre santé après ses expériences de guerre... mais encore plein de vie et d'enthousiasme... la tête remplie de plans nouveaux et révolutionnaires, pour cette époque.
Il voyageait par avion et je le rencontrai à Londres où Larry, Steven et moi nous attendions des moyens de transport par bateau, vers l'Orient. Mr Mac Namara, un frère du district de Londres, se joignit à nous pour célébrer la réunion de tous les membres du club des MOUSQUETAIRES CANADIENS... Que de choses à dire et à raconter... expériences personnelles et situation présente de nos écoles en Malaisie.
Quand les écoles furent réouvertes, après la capitalisation des japonais...tous les maîtres qui avaient disparu pendant les hostilités, répondirent à l'appel des Frères, et les classes recommencèrent avec une population d'écolier très âgés. Ces grands enfants... quelques-uns de plus de 20 ans... n'avaient rien appris durant la guerre... les écoles leur étaient fermées et il leur fallait travailler pour aider leurs familles dans le besoin. Tous les jeunes de plus de 14 ans devaient travailler, sous le régime japonais... Avec ces grands gars-là...le matériel se trouva trop petit ou bien fit défaut complètement. Les étudiants se présentèrent par milliers. Il fallut les tasser comme des prunes dans des salles trop
exiguës. Le matériel scolaire trop petit... les gars trop gros... pas de livres... (ceux-ci avaient été brulés)... pas de cahiers non plus. Ces temps heroïques durèrent presque deux ans. Durant plusieurs années, le gouvernement nous permit d'avoir des élèves plus âgés que l'âge réglementaire... il fallait donner une chance à ces enfants victimes de la guerre mondiale et de ses folies. Des écoles privées surgirent ici et là avec des contributions exorbitantes demandées aux parents pour faire vivre les profiteurs des misères des autres... Gaston a vécu dans leur plénitude ces durs temps d'après guerre. Réorganiser quoi? avec quoi? Tout manquait... Une vraie belle situation pour un Tremblay-Romaine... Il s'y donna à coeur joie et complète liberté. Le nouveau directeur l'estimait énormément et avait confiance en ses qualités de leader.
Gaston retournait au pays avec l'idée de se reposer et ensuite suivre un cours de typographie... pour pouvoir ouvrir une imprimerie en Malaisie, à son retour après deux ans. Son repos, il le prit... ses deux ans d'étude, il les a eus... mais son imprimerie en Malaisie? C'est resté au fond des tiroirs... avec les autres promesses. Ca coûte moins cher faire imprimer en pays d'Orient, où la main d'oeuvre est à bon marché. Il avait passé ces deux années à notre maison de St-Jean-Bosco.
Durant ses années au pays Saguenayen, il y eut les premiers pourparlers pour vendre la terre à Port-Alfred... et Gaston fit la connaissance de ses petites...petites-petites soeurs, qu'il n'avait jamais vues ou connues. Il était devenu « L'ONCLE GASTON » d'une armée de petits et petites romaines...
Notre Frère Gaston ne resta pas longtemps simple professeur après son retour en Malaisie. Son talent d'organisateur fut mis à profit. Il devint le principal de notre école primaire de Brickfield... 1,600 élèves. Ce nouveau champ d'actions était idéal pour lui. Libre de ses mouvements, il passait tout son temps à son école... partant de bonne heure... et revenant tard. La majorité de ses enfants étaient très pauvres... ils venaient d'un district ouvrier...Tamils pour la plupart. (des noirs venus des Indes, pour faire les travaux qui ne demandent pas trop de matière grise dans la tête).
Son zèle ardent ne connut pas de bornes... il élargit son champ de jeux... bâtit une aile... pour mieux voler...les enfants des autres institutions autour de lui!!... Tout le monde voulait venir à l'école de Gaston. Il organisa des bazars... des macarons... des « marchatons »... des « couratons »... des « parlatons »...tout ce qui pouvait aider ses petits noirs. Il fut admiré même par ceux qui n'avaient pas le courage d'en faire autant. Il demandait aussi, à ce que l'on disait, trop de places au grand collège de St-Jean pour ses brillants élèves...il voulait leur donner une chance. Sa position en autorité lui permit de mettre sur pied... au moins essayer de lancer de l'avant, ses grands projets...rêvés depuis longtemps, il voulu les faire sortir du monde des chimères et en faire des réalités.
Pour tous ses ouvrages, le bon Dieu crée des hommes capables de les accomplir...à chaque trou sa cheville... à chaque métier ses experts.. et pour Gaston il fit un travail tout particulier que personne n'avait osé essayer de faire auparavant. Ce fut de PROUVER QUE CEUX QUI ONT UNE BONNE ECRITURE, ET SAVENT S'EN SERVIR, FONT PLUS DE PROGRES, QUE LES GRIFFONNEURS.
Au commencement de l'année, il consacrait des heures et des jours à la caligraphie... dans sa classe... pendant que les autres maîtres couvraient le programme prescrit... les petit chinois de Gaston... et ses pauvres noirs de même...couvraient des pages de belles lettres bien formées. Après deux ou trois mois, il commençait le syllabus officiel pour de vrai... et allait à fond de train, parce que ses garçons pouvaient prendre leurs notes en vitesse. Rapidement ils rattrapaient les autres et les dépassaient, pour arriver les premiers aux examens de fin d'année,... fiers d'eux-mêmes et contents, satisfaits, même surpris de leurs merveilleux résultats. « LES ELEVES A GASTON » pouvaient être pointés du doigt, dans les classes supérieurs. Ils étaient parmi les premiers.
Avant la guerre, nous avions des cours de calligraphie... organisés dans toutes les classes du cours primaire... et des compétitions s'étendaient au niveau national. Mais après le conflit, on n'avait plus le temps de pratiquer l'écriture. Les enfants barbouillaient quelques lignes... comme des hiéroglyphes...et ça passait pour de l'écriture. Le niveau de ce sujet était réellement très bas. Les enfants avaient écrit en japonais et en chinois pendant des années...et ne connaissaient guère l'alphabet que nous utilisons.
C'est alors que fut mise sur pied la Méthode Tremblay. Des cahiers d'exercices furent imprimés et des cours donnés aux maîtres volontaires. Mais la Méthode Tremblay n'a jamais été adopté par le département de l'instruction publique
Un autre projet bien cher à Gaston... fut sa METHODE RAPIDE POUR APPRENDRE L'ANGLAIS. Une méthode basée sur la conversation et la gammaire. Un feu roulant de question et réponses à tous les temps et modes des verbes... au positif... au négatif... à l'intérrogatif... intérrogatif négatif etc... Avec le même verbe, il faisait plus de mille phrases, une vraie merveille pour aider la conversation. Le meilleur moyen d'apprendre à employer des mots que l'on connaît déjà... Ca demande un parfait contrôle de la classe, qui devrait être peu nombreuse pour donner plus de chances de parler aux individus. Il en fit l'essai au Canada où il eut des succès avec des groupes d'adultes, ... dix leçons pour un cours complet... Dans les classes d'enfants en bas âge, ça ne prend pas... et avec la jeunesse folle qui ne veut pas étudier...n'essayez pas... c'est le pandémonium.
Le livre ne contient qu'une vingtaine de pages...remplies de directives,... comment faire!... mais ça donne de la matière pour des jours et des jours de
travail et du fil à retordre aux professeurs faibles en anglais. Elle demande beaucoup de patience et de savoir faire... et c'est ce qui manque aux jeunes... la patience. Ils veulent aller trop vite, et voir tout le petit livre en une heure, sans se donner la peine de pratiquer ce qui y est prescrit. Un peu de vocabulaire est nécessaire et l'usage de celui-ci est vite augmenté, quand on commence à y ajouter les compléments aux verbes et les qualificatifs aux noms. Il n'y a pas de limite aux variations que l'on peut y amener.
Un religieux doit être avant tout un homme... mais tous les hommes ne peuvent pas être des religieux. Un FRERE, c'est réellement tout un homme... un homme qui pense beaucoup aux autres et peu à lui-même. Il est toujours avec les enfants des autre... prenant soin de les garder contre tout mal, et de les instruire de mieux qu'il peut, selon des syllabus déterminés par les parents qui travaillent dans les ministères. Il doit aussi les former à une discipline de acceptée par la société qui les environne. Cela ne fait pas toujours plaisir à certains individus... les parents mous et les élèves dorlotés. Conclusion, quelques maîtres peu consciencieux laissent tout faire pour devenir populaire. Mais attendez et questionnez ces mêmes enfants devenus hommes... Etonnantes réponses qui font honte si cela est possible, à ces professeurs mercenaires. « Les enfants n'aiment pas travailler fort en classe? » « Qui a dit ça? » L'expérience prouve que plus on demande des enfants plus ils en donnent et avec beaucoup de joie... ils sont pleins de vie et veulent toujours en découvrir davantage. Le contraire est malheureusement vrai. Les jeunes d'aujourd'hui ne sont pas tous des GOGOS. Ils peuvent faire la différence entre un maître qui fait bien son devoir et l'autre qui s'assied sur le coin du bureau, fume...et ne fait rien d'autre qu'attendre la paye. L'un est dévoué, l'autre ne l'est pas... c'est ce qui fait la différence entre un frère comme Gaston et certains autres professeurs.
Le frère Gaston se dépensa corps et âme pour ses éleves. Son souvenir... son nom...ses oeuvres... sont encore de ce côté-ci et font la satisfaction bien méritée de ceux avec qui il a travaillé si ardemment.
En classe, il parlait fort et vite...pas moyen de le faire asseoir tranquille, comme dit la règle... « avec un petit signal dans la main droite. » Pas pour Gaston... il aurait fallu des clous de 12 pouces, croches aux deux bouts...pour le tenir en place sur un banc. Un feu roulant de questions tenait les élèves sur le qui vive. Les éclats de rire venant de sa classe éclataient comme le bruit que fait le bouchon d'une bonne bouteille de champagne...ouverte par un expert. Ca faisait POP et puis rien...le calme et la paix... Ses petits chinois travaillaient comme ...des CHINOIS...et je vous dis que ça travaille fort, sans se laisser prier... avec un beau sourire de contentement... parce qu'on a foi en eux. On sait qu'ils peuvent en faire beaucoup si on demande beaucoup... Les chinois de la Malaisie en veule pour leur argents...ils paient pour aller à l'école et Gaston leur a donné le meilleur de lui-même pendant 35 ans.
Les prières des heures et des demis sont récitées ponctuellement dans sa classe, peu importe la minorité des catholiques...ça ne dérange rien... tout le monde prie. Dans sa ruche...le Bon Dieu aimait à rendre visite de temps en temps... Maintenant, on ne fait plus ça. Depuis l'indépendance, les Musulmans ont pris le dessus et s'opposent à ces manifestations de foi. On arrête quand même la leçon, et tout le monde prie en silence...le dieu qu'il aime... ou le Bouddha qu'il honore, ou encore simplement tourne la figure vers LA MECQUE et salue le Prophète Mahomet.
Homme à tout faire, Gaston ne se laissait pas tirer les oreilles pour donner ses fameux numéros durant les concerts... Il était un « STAR » sur l'harmonica.. excellent sur le « ruine-babine »... la bombarde... bon sur l'accordéon et passable sur le violon. Il possédait une vraie belle voix sonore et pouvait danser une bonne gigue en plus de la danse du petit bonhomme. Tout ça sans savoir rien de la théorie musicale et ses mystère. Pour lui, la pratique était plus amusante.
Avec ses mains magiques il pouvait faire une « CADILLAC » avec des morceaux de quatre ou cinq FORD...pêchés sur les dépotoirs de Port-Alfred. Il mit quinze jours et quinze nuits... pour faire partir une motocyclette, que ses amis avaient condamée à la broyeuse... Il passa à travers les semelles de ses bottines à force de pédaler pour la faire partir. Enfin, la pauvre machine...morte depuis bien des années...commença à tousser faiblement et à se secouer sour les durs coups de pied qu'elle recevait... « Mieux vaut la vie que la mort...dans ces conditions. Il ne me laissera jamais en paix. » Il fit revivre et rouler sur les grandes artères de Port-Alfred et Grande-Baie... Qui veut, peut – ça c'est Gaston – l'homme à tout faire.
En '72, le Frère Gaston laissait la Malaisie...sa mission presque achevée. Il se retira à Port-Alfred, sa ville natale, et s'engagea comme professeur d'anglais à Chicoutimi. C'était du nouveau pour lui, accoutumé qu'il était de faire la pluie et le beau temps, comme principal d'école...de se retrouver simple petit maître... Ici les garçons sont plus agés et beaucoup moins travailleurs que ceux avec lesquels il avait vécu en Malaisie.
Après deux années d'enseignement à Chicoutimi, une maladie intestinale, depuis des années dormante et menaçante... le frappa. Ses ulcères chroniques prirent le dessus et il fut terrassé et cloué sur la table d'opération...LE LION EST TRES MALADE... Il se couche humblement et fit sa paix avec Dieux « TA VOLONTE ET NON LA MIENNE. » Des semaines de convalescence suivirent. Gaston flottait entre la vie et la mort... Tous les parents essayaient de lui cacher le sérieux de son état et lui faisait de même pour ne pas leur causer de peine... On aurait dit que la moitié du monde riait de l'autre moitié.
Le docteur l'avait « patché » avec du plâtre et lui avait généreusement donné deux ans à vivre... Wilbrod le savait, tout le monde le savait...mais personne en
parlait, « SECRET » bien gardé. Gaston priait ainsi: « Merci mon Dieu... aidez-moi à les vivre ces deux années, du mieux que je pourrai... je veux les vivre en plein... et ne pas me laisser abattre par cette pensée de la mort.. donnez-moi le courage et le temps de vous aimer comme je ne vous ai jamais aimé. »
Dieu fit des merveilles pour son serviteur... « Celui que l'on croyait mort... vit encore. » Sa santé s'améliora tellement qu'en '75, il retournait en Malaisie pour une courte visite. Il alla revoir ses anciens pâturages... à la demande des maîtres de BRICKFIELD où il avait été principal pour de nombreuses années... son successeur au poste de principal...était venu avec sa femme, rendre visite à Gaston, en apprenant qu'il était bien malade. Combien en aurait fait autant?.. Quel bel hommage à un dévoué religieux qui se dépensa sans compter pour eux! C'était une manière éloquente de dire MERCI. Ses anciens lui donnèrent une réception quasi royale... Il ne manquait que le tapis rouge...mais les couronnes de fleurs y étaient en abondance. Ses amis mirent à sa disposition une belle automobile,...lui qui n'en avait jamais eu pendant son séjour en Malaisie...Dans son temps, il roulait en motocyclette. Cette auto... il en disposa aussi longtemps qu'il fut en visite. Ces choses-là lui réchauffèrent le coeur et lui firent tant de bien qu'il commença à donner son cours d'anglais dans le centre de réhabilitation des Frères de St-Gabriel.
C'était avec joie que nous le voyions se promener partout... lui que l'on croyait parti pour d'autre monde. Sa belle humeur était communicative comme d'antan...ses histoires aussi intéressantes et aussi drôles. Quelle force de caractères...pas de plaintes. Privément il me dit comme ça: « Mike, je veux vivre ma vie en plein comme si rien n'était... je vais me battre jusqu'au bout contre la maladie et les docteurs... mais pas contre Dieu que j'aime bien gros. Il m'a donné tant de consolations à son service et tant de plaisir avec mes frères que j'estime beaucoup. Je suis content d'être un fils de saint Jean-Batiste de La Salle. »
Son permis de séjour étant expiré... il a quitté sa Malaisie comme un homme qui court pour répondre à un appel urgent... pas d'au revoir...pas d'adieu. Son retour fut comme une réponse à un télégramme du Maître. « PREPARE-TOI MON FILS, TU EN AS PAS POUR LONGTEMPS MAINTENANT. »
Quelques mois après son arrivée à Port-Alfred, il est terrassé à nouveau... les derniers spasmes DU LION BLESSE A MORT... Que de souffrances il a dû endurer avec ce paquet de plâtre sur l'estomac... qui se désagrégeait lentement mais sûrement.
La fin arriva vite. Elle avait été prévue et préparée. Sa patience fut mise à l'épreuve durant ses derniers jours... sa foi en son dieu et en ses frères fut secouée...il se sentit abandonné... tout comme son Maître. Enfin son grand amour de Dieu prit le dessus et son âme purifiée par la souffrance s'épanouit... Ceux qui le visitère alors, ont pu voir un autre Gaston que celui qu'ils avaient cru connaître. Son regard franc... son sourire large...et sa foi vibrante faisaient « bel » à voir...
Enfin le Maître appela son serviteur pour lui donner son « chèque »... et je suis sûr que Gaston...satisfait, remercia avec effusion le bon Dieu...son nouveau Supérieur... Mais, comme Gaston aimait beaucoup à parler...je l'entends dire à son arrivée au ciel: « Merci Monsieur, pour les belles années passées dans votre vigne. Elles furent un peu trop courtes...mais il vous a plu de m'appeler. C'est peut-être que vous avez besoin d'un jardinier en chef... ou d'un joueur de “ruine-babines” pour votre orchestre célestre... je suis prêt à vous servir. S'il vous plait, donnez-moi un petit coin ombragé, comme celui que mon papa a donné pour bâtir l'église de la paroisse Notre-Dame-de-la-Baie en arrière de chez nous. Vous savez mon Dieu que j'aimerais beaucoup être dans le coin des Tremblay-Romaine. Ils sont tous des catholiques... qui ne sont pas bons du tout comme pelleteurs de charbon. Vous en avez certainement une grosse “gang” ici. »...
Merci mon dieu,... j'aimerais m'asseoir un peu.
Frère Gaston, mon frère, est mort à 61 ans. Il était d'une famille de santé très forte, dont les membres vivent très vieux. Il est mort aujourd'hui pour s'être donné tout entier, au service de sa congrégation jusqu'à la fin... malgré qu'il aurait eu la chance de s'en retirer, comme bien d'autres, pour une vie plus facile. Il a persévéré...il a eu beaucoup de misères physiques...il en a eu assez pour mourir jeune. Les misères morales,... il n'a pas eu de « troubles » avec elles... parce qu'il était un fidèle serviteur de Dieu et c'est prouvé.. pour moi du moins, son frère... je le crois sincèrement.
Lors de mon passage au salon funéraire, où les Frères sont venus en très grand nombre, j'ai souligné...dans un petit discours...en paroles directes... que nous étions tous biens contents d'eux et que nous avions un autre missionnaire dans la familles...qui s'en revenait au pays...en parlant du Frère Paulin...et nous en étions fièrs.
Pour moi et bien d'autres...on lui doit à ce cher Gaston, missionnaire, qui a persévéré jusqu'à la fin et pour nous qui étiont famille, le droit d'être fier. Nous l'avons tous tant aidé par nos prières, notre support moral et j'oserais dire...même financièrement.
Nous avons aussi aimé ses amis missionnaires qui sont venus dans nos familles et qui ont été traités comme s'ils avaient été nos propres frères. Laissons-le donc tranquille ce valeureux frère Gaston qui comme tant d'autres, mérite de dormir... comme il le désirait. D'après le rapport de plusieurs personnes, comme ses frères René, Axel, Jean-Paul et bien d'autres... il voulait dormir avec ses FRERES en communauté dans le cimetière, à Québec. C'est là qu'il dort très heureux... j'en suis sûr.
R.I.P.
Jean-Paul
A mes FRERES et PARENTS bien-aimés
J'étais bien malade,
Vous m'avez visité.
Je souffrais terriblement,
Vous m'avez consolé.
Mon corps déchiré par la toux,
Vous m'avez entendu.
J'ai crié, crié pour votre aide,
Vous êtes tous accourus.
Merci.
Dans ma chambre... cloué au lit par la douleur,
Epuisé par les déchirements d'estomac,
Seul avec mon corps souffrant et mon coeur demandant d'être compris..
Je suis demeuré seul avec vous Mon Dieu... mon Bien-Aimé.
Attendant patiemment votre dernier appel...
« VIENS... GASTON, T'EN AS EU ASSEZ... »
Mon corps épuisé par la souffrance... a purifié mon âme angoissée. Les douleurs acceptées... mon âme a vu la LUMIERE avec une intensité que la foi en mon Sauveur n'a fait qu'augmenter. La paix, la joie, la tranquillité ont envahi tout mon être. Mon dieu pardonnez-moi tout ce qui a pu vous offenser dans ma vie fougueuse, et trop courte. J'aurais aimé en faire beaucoup plus... rendre service à mes frères... davantage, me dépenser plus pour leur donner le bonheur...mais vous en avez décidé autrement.
QUE VOTRE VOLONTE SOIT FAITE ET NON LA MIENNE.
Vôtre... Gaston Tremblay.
Bien chers frères,
Ce que je veux vous offrir ce matin, ce n'est pas à proprement parlé un commentaire de l'Ecriture sainte mais plutôt une occasion de méditer sur une vie d'homme, en souhaitant que votre pensée et votre prière iront au-delà des paroles que je prononcerai. Le frère Gaston et le seigneur méritent bien que nous nous arrêtions quelques insitants sur l'oeuvre qu'ils ont réalisée ensemble.
Le chrétien dont l'Eglise bénit la dépouille ce matin et dont elle honore la mémoire fut un disciple de Jésus dont la fiche présente des états de services dignes d'exemple.
Le frère Gaston est né le 4 avril 1916. Il est entré au Petit-Noviciat en 1931, a pris l'habit religieux en 1932, a fait ses premiers voeux en 1933 et sa profession perpétuelle en 1941. A cette date, il comptait déjà 5 ans de dévoument en Asie où, d'ailleurs, il se dépensera jusqu'en 1971. C'est une fiche statistique qui nous fait voir que sur 61 années de vie qui lui furent prêtées par le Seigneur, frère Gaston en a consacré 45 à la vie religieuse dont 34 dans un pays d'adoption à titre de missionnaire. Mais il serait très injuste de résumer ainsi une vie d'homme comme celle du frère Gaston, une vie qui n'est pourtant pas facile à cerner puisque vécue loin de nous, mais aussi parce que frère Gaston avait des façons de faire et de parler un peu compliquées, non pas par mauvaise volonté ou goût de tromper, mais plutôt à cause d'une grande simplicité d'âme.
Bien que je connaisse frère Gaston depuis 6 ans surtout et que j'aie eu plusieurs contacts personnels avec lui, je me sentirais injuste de m'appuyer sur ceux-ci seulement pour vous inviter à méditer le témoignage que nous offre cette vie d'homme vécue à plein. Je me réfère donc davantage aux nombreuses lettres qu'il a adressées à ses supérieurs provinciaux successifs depuis 1937. Il en ressort des filons majeurs, tels ceux-ci :
Fidélité au Seigneur: Frère Gaston a été un homme « donné » au Seigneur et n'a pas voulu remettre en question le don initial. Soumission à la volonté de Dieu : Une soumission active, je dirais, c'est-à-dire qu'il préférait le « Aide-toi et le Ciel t'aidera » au « Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons ». Comme pour tout humain, cette préférence l'a peut-être amené à l'occasion à teinter la volonté de Dieu de la sinne propre!.. Son action était sous-tendue par la foi en Dieu. Parmi ses expressions favorites, on retrouve celles-ci à: « travailler dans la vigne du Seigneur », « être berger de son troupeau ».
Courage de vivre: Frère Gaston a été un courageux. Il a vécu la cruauté de la guerre, le camp de concentration avec ses menaces de mort, l'isolement, etc. Atteint sérieusement dans sa santé ces dernières années, il a manifesté une force de caractère peu ordinaire pour surmonter ce handicap.
Fierté de sa vocation: Tout au long de ses lettres, on retrouve fréquemment ce sentiment de fierté d'être F.E.C., de travailler de façon spéciale dans la vigne du Seigneur. En 1937, il demandait au frère Visiteur Germain pourquoi il avait été choisi pour partir en mission. Le Provincial lui répondit: « c'est parce que vous marchez la tête haute sans avoir le nez en l'air »!
Un homme engagé: Il fut aussi ce que l'on appelle un « homme d'oeuvres » actif: il a bâti une école en quêtant les sous, a composé une méthode de caligraphie, pour ne citer que quelques réalisations matérielles.
Un homme Détaché: Il a accepté généreusement d'être relayé par la jeune génération des frères de Malaisie; il a accepté de « donner sa terre » pour que des plus jeunes fassent mieux.
La souffrance grandit son homme dit-on!.. Frère Gaston a eu sa part de souffrances. Souffrances physiques (1er camps de concentration et ses mauvais traitements, une santé particulièrement délabrée sur la fin); souffrances morales aussi (isolement d'un pays et d'une famille qu'il aimait, difficultés de la réadaptation à Port-Alfred lors de son retour définitif).
Son dynamisme et son courage à vivre lui ont permis de poursuivre le combat sur des terrains où d'autres se seraient retirés beaucoup plus tôt. Comme saint Paul, frère Gaston peut dire: « J'ai combattu jusqu'au bout le bon combat, j'ai achevé ma course, j'ai gardé la foi. Et maintenant, voici qu'est préparée pour moi la couronne de justice, qu'en retour le Seigneur me donnera... ».
Bien sûr que, comme dans toute vie humaine, il y a eu des faiblesses, à nos yeux, dans la vie du frère Gaston. Mais on lui lui a probablement assez soulignées de son vivant pour qu'on les taisse maintenant. Arrêtons-nous plutôt aux dons, aux grâces que le Seigneur lui a attribués et que le frère Gaston, n'en doutons pas, a tenté de faire furctifier à 100%. C'est mieux nous disposer à reconnaître l'action de Dieu dans cet homme, (les merveilles que Dieu a commencé de réaliser en nous, comme dirait saint Paul); c'est mieux nous disposer aussi à rendre grâce à Dieu pour tout ce qu'il a réalisé de merveilleux par lui et à lui adresser cette prière :
Nous te rendons grâce, Seigneur Dieu pour cet homme qui nous était si proche, si cher et qui à présent nous est ravi. Nous te rendons grâce pour tout l'amour qui émanait de lui, pour sa générosité à travailler dans ton coin de vigne en Malaisie. Nous t'en prions, que rien de cette vie d'homme ne périsse, que tout ce qu'il a vécu et accompli soit profitable au monde; que tout ce qui était saint pour lui soit respecté par ceux qui lui survivent, que tout ce qu'il fit de grand continue à vibrer en nous alors même qu'il est mort.
Nous t'en prions, qu'il puisse vivre encore dans notre coeur, dans notre courage à vivre, dans nos pensée, dans notre conscience.
Que tous ceux qui lui étaient chers soient, à cause de sa mort, unis profondément les uns aux autres.
Nous t'en prions par le Christ Notre Seigneur, AMEN!
F. CHARLES CANTIN