Titane : élément 22
Troisième partie : les deux tours

Miguel Tremblay
31 octobre 2004
  1. Première partie : la fracture
  2. Deuxième partie : les gamblers
  3. Troisième partie : les deux tours
    1. Résumé
    2. L'excursion quotidienne
    3. La procédure
    4. La dose
    5. Plus bas
    6. Encore plus bas
    7. Toujours plus bas
    8. Ré-infection
    9. Fin de l'infection
    10. 2003
    11. Exérèse du clou
    12. Quoi faire en attendant?
  4. Quatrième partie : épilogue

Résumé

8 août 2002, je me fracture une jambe et on me pose une barre de titane dans la jambe. Deux semaines plus tard, je retourne à l'hôpital pour un autre séjour suite à une ostéite au siège de la fracture. Je retourne ensuite à la maison.

L'excursion quotidienne

Ben voilà. Je suis encore de retour chez moi. Moins magané mais plus abattu. Je peux me mouvoir avec plus d'aisance dans l'appartement. Ce n'est toujours pas moi qui fais l'épicerie mais je dispose d'une certaine autonomie. Je suis toujours en béquilles. Il me reste encore 5 des 7 semaines de traitement pour l'infection.

Il y a suffisamment longtemps que cette aventure a commencé - 5 à 6 semaines - pour qu'il me soit impossible de situer une de ces parties dans le temps sans un moment de réflexion. Ce qui est derrière est déjà substantiel et ce qui m'attend, pour ce que j'en sais, l'est au moins autant.

J'apprends par coeur le numéro de téléphone de Taxi Villeray; je dois les appeler à presque tous les jours, ma soeur prenant en charge les autres voyages, pour me rendre au CLSC Villeray.

Mon budget « taxi », non-remboursable par les assurances, est substantiel. Pour le trajet De Gaspé-Villeray (chez moi) jusqu'à Jarry-Papineau (CLSC), il en coûte 7 $. Comme il faut bien revenir, ça fait 14 $ à chaque jour. Je dois effectuer ce périple pendant 5 semaines, au minimum, ce qui donne :

(7 jours/semaine) * (5 semaines) * (14 $/jour) = 490 $

Ma proverbiale présence d'esprit fait en sorte que je me trompe régulièrement d'heure de rendez-vous, doublant de la sorte mon tarif quotidien de taxi. Parfois, je profite de la gentillesse d'une infirmière qui me glisse entre deux patients, ce qui m'évite une ballade superflue. Je suis moi-même somme toute.

La procédure

En plus du nettoiement de ma plaie et du changement de pansement, on change le bandage du picc line une fois par semaine. Comme je l'ai déjà mentionné, lorsque cette opération a lieu, des mesures d'aseptie particulières sont requises. L'infirmière et Miguel portent des masques de japonais au centre-ville de Tokyo, des gants en latex sont utilisés (c'est toujours le cas), une technique ISO9000 est mise en application pour toute manipulation d'instruments. L'ambiance est au sérieux à ce moment; on niaise pas.

Les infirmières ont une attitude très différente lors de cet acte. Certaines s'y prennent de main de maître, d'autres ne respectent pas le protocole et y vont un peu n'importe comment. Il existe même différents styles de bandage de picc line. À la fin, j'aurai mon style préféré.

Afin que ma plaie ne se referme pas avec tout le pus à l'intérieur, une technique simple est utilisée. On insère une bande de tissus dans la plaie et on en laisse ressortir un petit bout. Ce petit bout qui sort fait en sorte qu'il est impossible à la plaie de se cicatriser, il faudrait qu'elle passe à travers de la mèche... Puisqu'elle ne se referme pas, il est toujours possible d'envoyer un jet d'eau pour retirer le pus. Ça se nomme une mèche, comme une mèche de chandelle. À chaque fois que mon bandage est changé, on en profite pour mettre une mèche toute neuve.

À l'unité des soins ambulatoire (USA), lorsque je m'y rends le vendredi au lieu d'aller au CLSC, le déroulement est le suivant. Je débarque habituellement le matin, entre 9 et 11 heures, je vais voir les gentilles infirmières à l'accueil et on me dirige vers une des salles attenantes où m'attend un lazy-boy recouvert de vinyle. Une infirmière passe dans la demi-heure suivante, change le bandage du picc line et me fait une prise de sang via celui-ci. Elle ne change pas le pansement de mon infection tout de suite. Non, ce serait trop simple.

À mon arrivée au USA, on appelle le microbiologiste de garde pour lui signaler qu'il doit rencontrer un patient. C'est lui qui change le pansement, du moins qui le défait, et regarde l'état de la plaie. Lorsqu'il se présente, il formule quelques commentaires vagues sur l'avancement de ma guérison puis il consulte le test sanguin de la semaine précédente. Suite à cette lecture, il discourt avec beaucoup de précision sur mon état, usant de mots dont j'ignore pour la plupart la signification. Je me souviens qu'il était souvent question de sédimentation.

Chaque microbiologiste a son style. Un style de discours, de pratique, d'attitude, etc. Et, comme toutes les personnes, ils ont chacun une perception différente du temps d'autrui. Certains passaient dans l'heure suivant leur appel, ce qui laisse le reste de la journée pour se consacrer à une autre occupation que l'attente dans un siège de vinyle. Il y en a d'autres qui, à l'opposé, pouvaient passer vers 18-19 h, faisant ainsi progresser la lecture du bouquin du moment. Le cas le plus extrême : le docteur Richard Morisset. Quinquagénaire sympathique et dévoué, il a un don pour toujours se présenter 5 heures après son appel. Les infirmières ont comme réflexe de lever les yeux au ciel lorsqu'un patient demande « mais où est le docteur Morisset ? ».

J'ai connu 5 microbiologistes sur les 7 pratiquant à l'Hôtel-Dieu. Étrangement, les 2 seules que je n'aurai pas connus sont les 2 femmes du groupe. J'ai consulté mon dossier : il n'y a pas de notes concernant une de mes déviances qui puisse justifier cette situation. Le hasard il faut croire.

Ayant fait la connaissance de plusieurs spécialistes d'un même domaine, j'ai appris bien des choses. Premièrement, il n'y a pas de pratique uniforme. Pour le traitement d'une maladie, la mienne par exemple, ils n'ont pas tous des pronostics identiques, voire semblables. Deuxièmement, ils n'ont pas du tout un comportement similaire envers les patients. Il peut paraître trivial comme constatation que deux êtres humains agissent différemment, mais le constater de visu impose une réflexion. Si deux médecins ont des relations différentes avec le même patient, il y en a nécessairement un qui donnera plus d'informations à son patient ou qui aura un comportement qui fera en sorte que le patient sera amené à poser des questions, à se renseigner. À partir de ces informations, le patient est plus au courant de sa situation et il pourra, dans un premier temps, prendre conscience des options qu'il a et, dans un deuxième temps, faire un choix plus éclairé. En résumé, l'attitude d'un médecin envers son patient est plus qu'un sentiment, elle a de l'influence sur son avenir et, n'ayons pas peur des mots, sur ses chances de survie.

La dose

En plus de mon injection intra-veineuse quotidienne, j'ai droit à un antibiotique buccal toutes les 8 heures. Cette gigantissime quantité de médicaments doit être métabolisée pour être livrée à bon port. Qui est-ce qui s'occupe de ça? Mon foie et mes reins principalement. Pour toute la période du traitement, ces 2 organes fonctionnent à 100 % de leur capacité. Étalé sur des mois, c'est une performance digne de mention qui n'est sûrement pas sans conséquence permanente.

Le foie, travaillant à fond la caisse, la consommation d'une autre substance devant être métabolisée par celui-ci crée un embouteillage à son entrée. Un exemple au hasard : l'alcool. Si j'en consomme une petite quantité, une bière par exemple, l'effet est immédiatement propulsé à la tête. Ce n'est pas le genre d'effet sympathique, plutôt celui ressenti lorsque l'on prend une bière et que l'on est très fatigué. Activité à proscrire. Ne reste que le cannabis pour s'évader un peu.

Plus bas

Je suis à même d'espérer, avec tout ce qui s'est passé, que ces 5 semaines allaient se dérouler assez tranquillement, que je n'aurais pas grand chose à faire. Que mes visites au CLSC et la lecture. Laisser le temps faire son oeuvre.  Je suis naïf.

Un jeudi, une semaine après mon retour chez moi, juste avant de me coucher, je me rends compte que, du petit trou dans mon bras duquel émerge mon picc line, du sang commence à émerger. Je ne fais ni une ni deux, on devient nerveux à la longue, j'appelle Vincent pour qu'il vienne me chercher. On se dirige à l'urgence de l'hôpital maintes fois mentionné.

J'arrive là-bas sans béquille, puisque je ne peux pas vraiment utiliser mon bras gauche à cause du sang qui en sort et de la réflexion que faire un effort avec celui-ci aurait pour effet d'augmenter le débit du sang et, par le fait même, de la pression. Je n'utiliserai plus mes béquilles à partir de ce moment-là pour ces raisons. Je vais donc clopin-clopant, m'étant remis à boiter un peu sur mon pied depuis une semaine. Détail important : l'urgence de l'Hôtel-Dieu ne se situe pas au rez-de-chaussée. Que non! elle est au premier étage... Il existe l'ascenseur me direz-vous, mais il faut tout de même marcher jusqu'à l'ascenseur et non, l'ascenseur n'est pas près de la porte d'entrée et la sortie au 1er n'est pas à côté de l'urgence non plus.

Je me pointe à l'urgence vers 1 ou 2 heures du matin. Je cherche une infirmière... il n'y a personne au poste. Lorsque j'en déniche une, elle inspecte mon bras et constate que le sang a arrêté de couler. N'ayant pas les compétences requises pour changer le pansement du picc line, elle fait venir une autre infirmière et lui demande de le remplacer, croyant que celle-ci à la formation nécessaire. Mauvaise nouvelle, cette dernière ne sait pas plus comment effectuer le changement de pansement. Elles me disent de retourner chez moi, que l'on me changera mon pansement le lendemain au CLSC. J'étais pas content.

Au CLSC, le lendemain après-midi, l'infirmière qui est là est effarée par mon histoire à l'hôpital et par le fait qu'elles n'aient pas touché à mon pansement. Elle le change et constate, une fois enlevé le sang coagulé depuis 18 h, une petite rougeur tout autour de l'ouverture dans mon bras. Cette rougeur est symptôme d'infection. Une autre. Bon, elle me dit de ne pas trop m'en faire, étant donné la dose canon d'antibiotiques à laquelle je carbure, il ne devrait pas y avoir de problème. Rassurant. Et cette petite excavation, à quel accès donne-t-elle directement? Ben voilà.

Quelques jours plus tard, j'ai encore saigné par le dit trou. C'était juste avant ma visite au CLSC où on a encore changé mon pansement, opération qui ne se déroule,  en temps normal, qu'une fois la semaine.  En changeant le pansement, on constate que la surface occupée par la rougeur a augmenté...

Après 2 semaines de traitement, je ne constate, outre la vidange initiale, aucune amélioration à mon infection. Je marche un peu mieux par contre. Sans présence d'infection, il ne resterait que 2 autres semaines avant d'être guéri de ma fracture. Lorsque je marche, la pression au niveau de l'infection sur ma jambe est douloureuse. Je fais quelques pas et je dois m'étendre. Je ne suis toujours pas capable de maintenir ma jambe plus bas que ma taille. C'est dire l'épreuve que fut mon voyage à l'urgence il y a quelques jours.

Avec ces semaines qui s'écoulent, l'automne, dieu merci, a fini par arriver. J'ai tellement souffert de la chaleur que, durant les semaines qui suivirent, je dormis avec la porte patio, qui donne sur ma chambre, ouverte. Même par temps frisquet, autour de 10°C, je préfère m'enfouir sous les couvertures et avoir froid au nez plutôt qu'être à une température confortable. C'est comme si j'avais accumulé la chaleur des mois d'août et de septembre, chaleur que j'étais maintenant en train de dissiper. Je dors assez bien pour la première fois depuis que je me suis fracturé la jambe.  Deux mois de sommeil entrecoupé à cause de la douleur, c'est long pour un homme.

Encore plus bas

Ça fait maintenant 10 semaines que je partage ma vie avec une barre de titane.  Elle me suit partout et ne parle pas trop.

Une journée où je suis au CLSC, je confie à mon infirmière préférée que j'ai une douleur à l'arrière de la jambe, douleur partant de la cheville et se rendant à l'arrière du genou.  Elle me tâte à quelques endroits et m'annonce que j'ai une phlébite.

Attardons-nous sur la signification de tout ça. La page de wikipédia est particulièrement étonnante sur ce sujet (je n'ai rien à y voir). La phlébite et l'embolie pulmonaire sont « deux manifestations de la maladie thrombo embolique : un caillot (thrombus) se forme dans le réseau veineux des membres inférieurs (= phlébite) et peut migrer secondairement dans une artère pulmonaire (= embolie pulmonaire) ». Comme quoi c'est du joyeux. Comment traiter la phlébite? « En règle générale, on emploie un traitement anticoagulant sous cutané [...] ».

Si je consomme des médicaments anticoagulants, que va-t-il advenir du trou à l'air libre par lequel passe mon picc line? Le sang va se mettre à couler puisqu'il aura perdu la capacité de boucher le trou en coagulant, le principe de l'anticoagulant quoi. Qui dit sang qui coule, dit plaie ouverte, dit infection. C'est animé de ces réflexions que je me retrouve dans un taxi en direction de l'urgence. Encore. J'étais à 2 doigts du découragement le plus total. Ce 10 minutes est le nadir de cette narration en trois parties.

Après une attente de 2 ou 3 heures aux urgences mineures, attente durant laquelle ma soeur m'aura rejoint, un généraliste se nommant le docteur Lachance (!) vient me voir. Notons en passant que le concept d'« urgences mineures » est un peu effrayant lorsqu'on l'entend pour la première fois. L'urgence normale, c'est déjà long, alors si en plus c'est une urgence mineure, l'imagination ne peut que s'enflammer à l'idée du temps que l'on peut y attendre avant de parler à un médecin. Le doc me tâte lui aussi à quelques endroits, pas les mêmes que l'infirmière, et m'annonce qu'il serait étonnant que ce soit une phlébite. Il m'envoie tout de même passer un Doppler; enfin un concept dont je connais la définition. Conclusion : pas de phlébite pour Miguel. Seulement une très grosse peur. Suffisamment grosse pour son état présent, aussi piteux soit-il.

La veille de cette nième visite à l'hôpital, je suis allé au cinéma, la première fois depuis le mois de juillet, avec dame Béatrice. C'était, et de loin, ma plus longue expédition sans béquilles. J'ai marché plus que d'habitude et ma pauvre jambe n'était pas habituée à soutenir un tel effort. Je n'y ai pas pensé avant plusieurs jours, mais la douleur de ma jambe devait provenir du contrecoup de cet effort, et non d'une phlébite quelconque.

Le docteur Lachance m'a communiqué une information sur un phénomène inconnu de ma personne jusqu'alors. Environ 1 an après la pose de la barre de titane, l'os qu'elle soutient commence à souffrir d'ostéoporose. C'est pour cette raison qu'il est recommandé d'enlever la barre après 1 an. En ce qui me concerne, c'est la première fois que j'entends parler de cette recommandation. L'impérial docteur Tremblay m'avait glissé dans une conversation qu'il n'y avait pas d'avantages à retirer la barre de titane, qu'il était d'usage de la laisser là pour toujours. Je pris la décision la faire retirer. Infection et ostéoporose, c'en est trop.

Lorsque mon état ne nécessita plus de mèche, on me confia la tâche de nettoyer moi-même ma plaie à la maison. Je connaissais le modus operandi, l'ayant observé quotidiennement en application sur ma personne depuis plus d'un mois. En procédant de la sorte, je n'ai plus besoin de fixer un rendez-vous indéplaçable au CLSC, de prendre le taxi, de mobiliser une infirmière pendant 30 minutes, et ce, à chaque jour. Bref, tout le monde est content. On me fournit le matériel et on me fit pratiquer pour voir si je suis capable de le faire moi-même, test que je passe haut la main. N'ayant plus à me rendre quotidiennement dans un établissement de santé, je commençai à me rapprocher de la vie dite « normale ».

Trousse de lavage sur une table montrant un gros tas d'instruments divers.

Toujours plus bas

La semaine suivante, je constate que la vilaine toux, qui me suit depuis mon congé de l'hôpital, ne fait qu'empirer. Je tousse comme un tuberculeux. Me demandant si je ne suis pas un peu hypocondriaque, je me rends non pas à l'hôpital, j'ai trop peur de rester enlisé aux urgences mineures, mais à une clinique sans rendez-vous sur Saint-Denis. C'est la clinique la plus crado que j'ai jamais vue, et mon expérience de la chose commence à être non négligeable. La salle d'attente n'est qu'un corridor avec des chaises disposées de part et d'autre. C'est un peu comme si j'avais décidé de faire une clinique dans mon appartement et de le réaménager, un peu, pour pouvoir asseoir une vingtaine de personnes. Terrible.

Un généraliste, dont le nom m'échappe totalement, me reçoit et me touche la poitrine à différents endroits, me fait tousser et me dit que j'ai une toux sèche qui est causée par quelque chose d'inconnu. Autrement dit, il en sait autant que moi. Il me prescrit un médicament que je dois prendre deux fois par jour. On ne parle pas de pilules ici mais bien d'un inhalateur nouveau genre. Il me fait penser au film eXistenZ de David Cronenberg. Il s'agit d'un disque bombé  (voir le truc mauve sur l'image de ma trousse de lavage que l'on ouvre sur le côté, dévoilant ainsi un bouton. Une fois que l'on appuie sur le bouton, une petite gélule, j'imagine, éclate et l'on doit aspirer le tout (soit un bronco-dilatateur et de la cortisone si je me souviens bien) dans un petit orifice sur le côté. On pourrait s'attendre à ce qu'une fois le tout inhalé, un goût se retrouve en bouche. Eh bien non. C'est comme si on avait respiré dans une paille avec rien à l'autre bout, sinon de l'air. J'ai même appelé le pharmacien, un type avec qui je me suis fait copain depuis le temps, pour savoir si c'était normal de ne rien goûter et il m'a répondu que oui. C'est idiot mais la fameuse croyance qu'un médicament, pour qu'il soit efficace, se doit d'être désagréable lorsqu'il est administré, existe bel et bien. Un autre médicament à ajouter sur la liste.

Assez parlé de complications. Parlons plutôt de ma jambe, la gauche. J'ai commencé à faire de la physiothérapie le 27 septembre 2002. Je fais plein d'exercices quotidiennement tel que ma physio, prénommée Geneviève et fort jolie, me l'ordonne. Je fais du vélo stationnaire (la provenance de ce vélo dans mon magnifique appartement sera expliquée ultérieurement), des exercices d'étirement, de renforcement de la cheville et des muscles de la jambe en plus de pratiquer mon sens de l'équilibre. Le tout dure entre 1h et 1h30. On pourrait se dire que, ne travaillant pas, je n'aie que ça à faire dans la journée mais l'on se fourverrait.  J'en suis venu à penser qu'être obligé de suivre une routine, quelle qu'elle soit, à TOUS les jours, est extrêmement barbant.

Après trois semaines de ce régime, je suis maitenant capable de marcher, sans béquille il va sans dire, à petits pas et ce sans boiter. Lorsqu'on va quelque part à pied en ma compagnie, on apprend à apprécier le paysage. Chaque matin présente une amélioration sur le précédent et, considérant que cette situation est véridique depuis ma fracture, j'en arrive au constat que je partais de loin. Je n'ai plus de douleur le matin, seulement à la fin de la journée, une fois que j'ai marché et que j'ai fait mes exercices. Je peux aussi garder ma jambe au dessous de ma taille pendant quelques temps, une heure je dirais, ce qui est une nette amélioration.

Pour ce qui est de la plaie qui était ouverte sur mon abcès, elle est maintenant refermée. Elle est restée ouverte plus d'un mois!

La vie à mon appartement s'est quelque peu calmée. Il y a beaucoup moins de gens qui passent me voir, mon état étant moins critique et le capital de sollicitude des copains s'étant, avec raison, un peu épuisé. Je suis maintenant capable de faire du lavage, de passer le balai et même la moppe. C'est dire si j'en ai fait du chemin. Je suis également, à mon grand bonheur, capable de m'endormir après 22 h et de me lever plus tard que 6h. Ça laisse plus de latitude lorsque j'ai des activités le soir. Je ne peux toujours pas prendre d'alcool mais c'est un moindre mal.

Parlant de mon appartement, contrairement à la présentation initiale, je n'y suis maintenant plus seul. Non pas que j'ai fait l'immense honneur à une dame de venir partager ma vie, non. C'est plutôt frérot qui a décidé de mettre du tapis dans sa vie et, pour se faire, a changé de char et de blonde, dans l'ordre. Sa nouvelle blonde, appelons-là Sophie, n'appréciant pas le fait qu'il était toujours en colocation avec son Ex, l'a sommée de changer d'endroit pour dormir. Ayant un grand coeur et ayant déjà vécu pareille expérience, à quelques nuances près, sans parler du fait que j'avais besoin d'un vélo stationnaire pour mes exercices, je lui ai sous-loué la pièce faisant office de bureau pour qu'il s'y installe. Penser que mon frère pourrait m'aider avec les menus travaux de l'appartement (poubelles, vaisselle, ménage, etc.) serait faire fausse route. C'est plutôt une surcharge de travail pour moi puisque, comme il le dit lui-même : « n'étant jamais là, pourquoi ferais-je quelque chose? » Mais j'étais au courant de ceci lorsque j'ai accepté de le dépanner, il n'y a donc pas de surprise et pratiquement pas de frustration. Avec le frère venait également un deuxième chat, j'ai nommé l'Ahuri, ou encore l'Hirsute, de couleur orange et faisant de la litière ainsi que, disons-le, de l'appartement en entier, un endroit pestilentiel après son passage.

Mon chat et celui de mon frère, sur le dossier de mon divan recouvert d'un drap jaune

Je confiai à mon frère la tâche de brancher nos deux ordinateurs sur le modem haute vitesse. En effectuant l'opération il déplaça la tour de mon ordinateur puisqu'il manquait quelques pieds de fil. Il n'a pas jugé bon d'éteindre l'ordinateur avant de la soulever. Il est donc rentré dans un état cataleptique, l'ordinateur pas mon frère, état dans lequel il est demeuré, malgré mes nombreuses tentatives de réanimation. Je l'ai ramené au magasin où il est resté pendant 4 jours (4 jours sans ordinateur!), sur les tablettes. Un type m'a finalement appelé pour me dire que tout allait bien, qu'il n'avait rien trouvé de défecteux et que ça me coûtait 25 $ pour les avoir dérangés pour rien. Ouf! Ça n'aura coûté que 25 $, aux frais du frérot bien sûr.

Description de l'ampleur du désastre s'il eût fallu que mon ordinateur trépasse lors de cet incident. Je dois être, au minimum, 4 heures par jour assis devant cet engin, pas seulement pour lire sur internet ou pour télécharger de la musique, j'ai également passé un temps fou à configurer tous mes logiciels dont Linux (longue vie aux logiciels libres!), afin que tout soit conforme à mes désirs. Ce travail fastidieux, et pas très excitant pour tout dire, aurait été à recommencer. Je me fiche du matériel, tout était garanti, mais le nombre d'heures et les efforts perdus m'auraient mis en rogne pour longtemps. Heureusement pour le fraternel, rien de tout ceci n'est arrivé. J'ai par contre ajouté à ma liste de choses à faire une série de copies de sauvegarde qui devrait me préserver, en partie, d'un tel désastre.

Isolé, cet incident ne m'eût pas retourné outre mesure, mais en sus de tout ce qui m'était arrivé, lire que rien n'allait comme on aurait pu s'y attendre (fracture, infection, picc line, etc.), il y avait de quoi être en crisse et je l'étais. Le comble fut atteint lorsque, par une journée comme les autres, j'allumai la lumière de la cuisine et que l'ampoule rendit l'âme dans un dernier éclair. Rien, rien, ne fonctionnait comme il faut. C'est l'ampoule qui m'a fait le plus de peine de toute ma vie.

Ré-infection

Je rencontrai mon orthopédiste le 18 octobre 2002. Après avoir regardé les radiographies de ma jambe, il me déclara que ma fracture n'était pas assez refermée pour pouvoir enlever la barre de titane, retrait ayant pour finalité d'éradiquer l'ostéite. Je le revois dans 4 semaines, soit le 15 novembre. Voilà pour la barre.

Pour ce qui est de l'infection, j'ai maintenant fini mes 6 semaines d'injections intraveineuses. Je passe une scintigraphie au gallium le 25 octobre et, dépendamment des résultats normalement disponibles 3 jours plus tard, le microbiologiste décidera de recommencer le traitement intraveineux ou de l'arrêter, ce qui entraînerait le retrait de mon picc line. Ce serait bien de ne plus avoir de picc line. Je pourrais prendre une douche plutôt qu'un bain.

Le vendredi suivant, le 1er novembre, veille du jour des morts, je vais faire mon tour au USA. Le microbiologiste de garde est le docteur Vega. N'ayant pas encore le résultat de mon test mais étant arrivé à la fin de mon traitement de 7 semaines, il décide de l'interrompre ou de ne pas le recommencer, selon le point de vue. Je suis plus inquiet que soulagé. Il a beau être microbiologiste, il n'est pas devin pour autant. Il n'a pas l'information en main pour savoir si j'ai toujours une infection ou non. Il a pris une chance. Le sale.

Deux jours plus tard, est-on surpris? la bosse sur le côté de ma jambe a recommencé à faire mal et à grossir. Encore, toujours, à l'urgence.

Étant donné qu'un premier traitement n'a pas fonctionné et qu'il est toujours impossible, selon mon médecin traitant, de retirer la barre de titane, que reste-t-il à faire sinon recommencer un 2ième traitement antibiotique? Un autre 7 semaines, ce qui nous mène à la mi-décembre. Pas mal pour une fracture survenue début août. Dois-je mentionner que le microbiologiste que je rencontre à ce moment-là n'est pas du tout optimisme quant à mes chances de guérison?

C'est armé d'une prescription pour 4 pilules par jour, pendant 7 semaines, soit 49 jours, que je me présente à la pharmacie. Le pharmacien sort sa calculatrice : 196 pilules. Le tout tient dans 2 flacons de dimensions semblables à une tour à bureau et d'une capacité de 14 Campino (voir photo ci-bas). C'est le plus gros format disponible en pharmacie.

Les deux tours

Pendant cette même semaine, je suis retourné au travail, celui pour lequel je suis rémunéré. Ce n'est pas trop difficile, mon patron est conciliant et les confrères et consoeurs sympathiques. On me demande si j'ai maigri. J'estime avoir perdu 20 livres depuis ma fracture. Oui, je suis plus petit face au reste de l'univers.

Quelques mots sur l'apparence de ma jambe gauche. Tout muscle a déserté ce membre. Je n'ai plus aucune courbe, que ce soit sur ma cuisse ou sur ma jambe; le mot mollet ne s'applique plus du tout. Rien qu'une jambe aux allures rachitiques. Mes premières soirées, durant lesquelles je dus rester debout furent éprouvantes. Les muscles n'étant plus du tout habitués à fournir un effort, j'avais toujours des courbatures semblables à celles ressenties après une activité sportive intense (un match d'Ultimate par exemple), alors que je n'avais pas fait grand chose sinon me maintenir à la verticale. Le tout a duré un mois avant que je puisse tenir debout sans que ce soit un exploit.

J'ai aussi des zones « mortes » sur ma jambe. J'avais perdu la sensation sur 2 de mes orteils, sensation maintenant retrouvée. De plus, l'épiderme situé sur le côté gauche de la cicatrice sur mon genou était lui aussi manquant à l'appel. Une surface d'environ 1 pouce carré. Je retrouverai une sensation sur cette partie de mon corps à la vitesse d'un millimètre par mois, dixit la physiothérapeute.

Fin de l'infection

Les 7 semaines suivantes furent, à mon grand bonheur, sans incident notable. Ma convalescence alla bon train, je marchais de mieux en mieux, ayant retrouvé une vitesse quasi acceptable à Noël. À la fin du deuxième traitement intraveineux, mon infection était éradiquée. Lorsque les résultats parvinrent au microbiologiste et qu'il m'annonça la nouvelle, quelque part à la mi-décembre, il n'y eut aucune effusion de joie. Que non. Je demandai plutôt de conserver mon picc line en place une semaine encore. Je ne voulais pas repasser par l'intervention pour en reposer un autre en cas de rechute; on devient méfiant à la longue.

Une semaine plus tard, comme rien d'inquiétant n'était arrivé, on enleva mon picc line. La manière de procéder est très simple, l'infirmière tire un grand coup sur le boyau et hop! le picc line est sorti. On pose un bandage, et voilà.

Également par précaution, le microbiologiste me fait une prescription pour 4 semaines d'antibiotiques buccaux, pour ne pas prendre de chance ni d'alcool durant le temps des fêtes.

2003

Je qualifie l'année 2002, sans hésitation aucune, d'année de marde. Faut être vulgaire des fois. Au sortir de cette année, soit en janvier 2003, mon infection était officiellement guérie et je ne prenais plus, pour la première fois en 5 mois, aucun médicament.

Je marche à un rythme normal et sans boiter. Je recommencerai à courir en avril de la même année, ma jambe étant en quelque sorte barrée lorsque j'essayais avant cette date. Je courus pour la première fois devant l'église sur de Castelnau. Quand on en vient à se demander s'il sera possible de courir encore un jour, c'est le genre de moment dont on se souvient.

Église de Castelnau

Exérèse du clou

Qu'en est-il de ma barre de titane? Suite à la conversation que j'eus avec le docteur Lachance, j'exigeai du docteur Tremblay qu'il la retire. C'était loin de faire son affaire et il ne sera jamais très coopérateur à ce sujet. Il m'a demandé pourquoi je désirais qu'on la retire. Simple : ostéoporose + risque d'infection. Il n'a pipé mot. Cependant, alors que normalement il est possible de retirer la barre 12 mois après sa pose, pour moi ce sera 18 mois, étant donné l'infection qui a ralenti le processus de guérison. Soit. Rendez-vous en décembre 2003.

Décembre 2003. Je rencontre le docteur Tremblay pour une inspection. Il me dit que tout va bien, ma jambe est guérie et solide, aucune trace d'infection. Il ne mentionne d'aucune façon l'exérèse du clou (nom officiel de l'intervention). Pas qu'il ne s'en souvienne plus, oh non. Lorsque je lui rappelai que je voulais la faire retirer, il se tint coi, ouvrit un tiroir et en extirpa un formulaire pour une intervention chirurgicale. Il le remplit et me signifia qu'il allait m'opérer au cours de l'année prochaine. Je lui demandai s'il était possible d'être le moindrement plus précis. Il rit. Combien de temps avant l'opération vais-je être avisé? « Bah, une à deux semaines » qu'il me répondit, comme si c'était une question sans intérêt.

Un mois plus tard, soit en janvier 2004, je rencontrai celui qui est maintenant mon microbiologiste attitré, le docteur Morisset. Je lui demandai de contacter mon orthopédiste pour activer les choses. Il rétorqua qu'il n'avait aucun pouvoir sur cette intervention, n'étant pas le médecin traitant. Je lui expliquai à quel point le docteur Tremblay était réticent à retirer la barre et qu'il se contrefichait de tout risque d'infection, que lui, en tant que microbiologiste, il savait que la barre était plus à sa place à l'extérieur de mon corps qu'à l'intérieur. Il me répondit qu'il allait voir ce qu'il pouvait faire.

Une semaine plus tard, je reçus un avis à l'effet que je vais être opéré en mars. Février, mars, avril, mai.  Quatre mois passent. Quatre mois où l'on est toujours sur la touche. À chaque fois que je reviens chez moi et qu'il y a un message sur le répondeur, je me demande toujours si ce n'est pas pour mon opération. Moment où ma vie normale s'arrêtera pour, au minimum, un mois. Au minimum puisque, on en conviendra, toute intervention chirurgicale peut amener son lot de complications.

En mai je n'ai toujours aucune nouvelle.  J'appelle la clinique où le docteur Tremblay a son bureau et sa charmante secrétaire m'annonce qu'il serait étonnant qu'il m'opère puisqu'il prend sa retraite en juin. Elle va lui en parler. Hé ben. Faut quand même avoir du front. Il m'a dit qu'il m'opèrerait dans l'année qui suit en sachant qu'il ne pratiquerait plus 6 mois plus tard. Comme quoi il était très intéressé à ce qu'on m'enlève cette barre.

Deux semaines plus tard, je reçois une enveloppe sans adresse de retour (voir image 3), que mon nom comme destinataire. Je l'ouvre. Rien à l'intérieur. Je regarde une deuxième fois et j'en sors un petit papier (voir l'image 4) à l'entête du docteur Gilles Roger Tremblay. C'est tout.

Enveloppe
Prescription

J'appelle au numéro qui s'y trouve et je résume la situation à la dame qui me répond.  On m'informe que j'ai rejoint la clinique orthopédique St-Urbain. Ça explique l'acronyme C.O.S.U, quoique le C me rappelle le symbole de l'euro (€). Elle me dit ensuite que ça doit être pour une référence. On m'affecte un nouveau docteur, Nicolas Newman, ainsi qu'une date pour un rendez-vous, le 4 novembre 2004 à 13 h 30.

Je passerai un examen, j'imagine, on ne m'a rien révélé ne craignez rien, et on me donnera un autre rendez-vous pour l'opération dans l'année qui vient.  Moi qui pensais faire une trilogie.

Il y aura une 4ième partie à cette épopée.  Je souhaite de tout coeur n'avoir qu'à rédiger un épilogue.

Quoi faire en attendant?

Deuxième partie : les gamblers
Quatrième partie : épilogue

Titane : élément 22, Troisième partie : les deux tours

Création : 31 octobre 2004
Villeray
N 45° 33′ W 73° 36′

Titane : élément 22, Troisième partie : les deux tours

Dernière mise à jour : 29 janvier 2011,
Villeray,
N 45° 33′ W 73° 36′