Le 12 novembre 2007, le projet One Laptop Per Child (OLPC) viendra enfin à terme. Le fameux ordinateur XO-1, nom de l'ordinateur portable du OLPC, sera mis en marché. Bien que le prix sera de 188 $ au lieu des 100 $ prévus à l'origine, il en reste que ce projet est un fabuleux succès. Le portable XO-1 est d'une grande qualité. Il renferme même certaines caractéristiques techniques qui ne se retrouvent même pas sur des ordinateurs portables hauts de gamme. Voyons plus en détail ce qui se cache sous le capot de cette petite bombe.
On ne peut que s'incliner devant cette belle initiative : donner l'occasion à de nombreux enfants d'accéder à l'éducation et à la technologie. Ceci est fort louable. Pourtant il y a probablement des conséquences adverses à un tel programme. Un fait troublant demeure : en Afrique, les enfants constituent probablement la partie de la population qui est la plus vulnérable. Donner un ordinateur portable à ces enfants pourrait créer des situations imprévues. C'est peut-être les transformer en cibles potentielles. En effet, ces ordinateurs sont très attrayants pour plusieurs acteurs opérant sur ce terrain. Une école fraîchement équipée d'ordinateurs portables pourrait devenir la cible idéale pour des criminels, insurgés ou tout autre groupe armé.
Comment ces ordinateurs pourraient-ils bénéficier à une bande armée? La description même des caractéristiques techniques de l'ordinateur nous fournit la grande majorité des réponses.
Les composantes physiques du XO-1 rendent cette machine toute désignée pour un usage militaire. En effet, les caractéristiques sont quasi conformes aux normes militaires (mil-spec). Le boîtier est conçu pour résister à une chute de 1,6 m tout en étant imperméable à l'eau et à la poussière. Ces ordinateurs pourraient facilement être opérés dans un environnement humide et pluvieux comme les jungles du Congo, ou encore dans un environnement sec et chaud, comme le désert du Darfour. Les troupes canadiennes en Afghanistan mènent une lutte constante contre la poussière. Leur matériel informatique, pourtant dispendieux et haut de gamme, en souffre beaucoup.
À l'inverse, le XO-1 n'a aucune pièce mobile, le rendant presque indestructible. Le disque dur n'est constitué que de mémoire flash et il ne possède pas de lecteur DVD. Les disques durs et les lecteurs sont d'importantes sources de bris des ordinateurs modernes.
Ce qui est vraiment le coeur des capacités du XO-1, c'est la magie de la réseautique qui opère en son sein. Le portable a les capacités WiFi traditionnelles, c'est-à-dire les standards 802.11b et 802.11g, les standards les plus courants du sans fil. Ce sont les protocoles que nous retrouvons dans nos routeurs à la maison ou dans les cybercafés. Ce qui distingue le XO-1, c'est sa capacité WiFi 802.11s. Ce nouveau standard IEEE sans fil est ce que l'on appelle du maillage de réseau sans fil (mesh networking). Lorsqu'un utilisateur allume son XO-1, l'ordinateur portable localise et se connecte automatiquement aux autres ordinateurs portables du même type autour de lui. Le but recherché par cette fonctionnalité est que, dans une école au milieu de la brousse, des enfants puissent sans difficulté se créer un réseau interne sans fil, sans équipement réseautique spécialisé. Cette connectivité serait tout aussi aisée pour des insurgés ou des guérillas, dans un camp de fortune au milieu de la brousse. Rapidement un réseau pourrait être créé et les usagers pourraient s'échanger des courriels immédiatement, sans serveur central. Ce n'est pas tout, puisque l'ordinateur contient une webcam et un micro, ces troupes irrégulières pourraient tenir des vidéo-conférences impromptues en pleine savane! Les capacités sans fil de ce portable ont été testés dans l'Outback australien et des connections sans fil ont été réalisées sur plus de 2 km de distance! Évidemment, en pleine jungle ou en milieu urbain la portée serait fortement réduite, mais les antennes du XO-1 sont beaucoup plus performantes que celles de nos ordinateurs portables classiques. De plus, il est facile de fabriquer des antennes de fortune avec des matériaux aussi simples que du fil de fer et du papier d'aluminium, permettant d'accroître la portée du réseau.
La magie du 802.11s ne s'arrête pas à former instantanément un réseau interne sans fil. Voyons comment ce réseau pourrait se connecter à internet. Les téléphones portables sont omniprésents en Afrique et des réseaux ultra-modernes s'y développent très rapidement. Par exemple, c'est en Somalie que les appels cellulaires sont les moins chers au monde! Revenons à notre scénario. Imaginons un groupe de 50 insurgés qui veut planifier une attaque sur un objectif. Ce groupe aimerait coordonner l'attaque avec un autre groupe distant de 100 km. Si un seul usager branche son téléphone portable sur son XO-1, il aura accès à une connexion internet. Grâce à la magie du maillage de réseau sans fil, son ordinateur distribuera alors le signal internet à tous les autres ordinateurs du groupe, sans configuration préalable! Nous aurions maintenant deux groupes armés distincts, séparés de plusieurs centaines de kilomètres, qui forment maintenant un seul réseau et ce grâce à quelques XO-1 et un téléphone portable chacun! Ces groupes pourraient alors échanger de l'information, des photos, des objectifs, des vidéos de surveillance, etc.
Poussons le scénario un peu plus loin. Ces groupes, en réseaux, pourraient utiliser des outils collaboratifs et produire des ordres complexes en collaboration. Installer un engin wiki sur un XO-1 serait un jeu d'enfant (sans jeu de mots!). Il existe même des « wiki on a stick » qui permettent d'avoir un engin wiki sur une barrette de mémoire USB. Aucune connaissance de réseautique ne serait nécessaire pour un petit groupe afin d'obtenir un engin collaboratif puissant, qui leur permettrait d'accélérer leur cycle de planification.
Je suis bien conscient que le scénario que je propose est très pessimiste, mais malheureusement, il est fort réaliste. Dans les pays occidentaux, je ne crois pas que nous verrons des gens se servir beaucoup du XO-1 à des fins commerciales ou criminelles car, avec ses couleurs distinctes, le XO-1 se reconnaît partout. Il y aurait alors une certaine stigmatisation sociale à utiliser un ordinateur originalement conçu pour les enfants démunis en Afrique. Par contre, en Afrique, je ne crois pas que cette stigmatisation sociale sera suffisante pour empêcher des bandes armées ou des criminels de simplement voler les ordinateurs portables des enfants. Des milliers d'enfants sont engagés de force dans des groupes armés. Voler un ordinateur pour des gens rompus à de telles atrocités sera d'une facilité déconcertante.
Je prédis que dans les 6 mois suivant les premières distributions massives de XO-1 en Afrique, nous verrons beaucoup de ces ordinateurs détournés vers le marché noir. Peu de temps après, nous pourrons nous attendre à voir des changements dans les tactiques, techniques et procédures des groupes armés sur le terrain. Nos adversaires potentiels pourraient alors devenir de plus en plus dangereux.
Je vous laisse sur cette pensée : le Pakistan est sur la liste des premiers pays où le XO-1 sera distribué. Verrons-nous cette technologie nouvelle et prometteuse tomber rapidement dans les mains des Talibans? Des Talibans planifieront-ils des attaques contre les troupes de l'OTAN avec des ordinateurs originalement destinés aux enfants? Il est fort possible que oui. Il n'est que logique pour nous de considérer cette possibilité et de travailler tout de suite à des mesures pour contrer, bloquer et infiltrer les maillage de réseau sans fil de nos adversaires.
Ottawa, 21 octobre 2007
Yannick Lemieux