Le paiement proportionnel au capital*
Le rapport Ménard a mis en lumière le problème auquel sera confronté la société québécoise dans son avenir. Le vieillissement de la population du Québec aura pour effet d'augmenter considérablement le coût du système de santé. La proportion des coûts reliés au système de santé représente actuellement 43% des dépenses du gouvernement provincial alors qu'il n'était que de 35% en 1995 et on prévoit qu'il sera de l'ordre de 68% en 2030.
Ce rapport propose différentes solutions pour faire face à ce problème. Ces solutions vont de la trivialité (améliorer l'efficacité du réseau, contrôler l'évolution de la dette de l'État) aux revendications traditionnelles du Québec (maintenir la pression sur le gouvernement fédéral afin d'accroître les transferts d'argent aux provinces) en passant par l'augmentation des revenus de l'État (augmentation des tarifs d'Hydro-Québec, augmentation de la taxe de vente du Québec [TVQ]) et des solutions se voulant novatrices (Régime d'asurrance contre la perte d'autonomie, compte de santé et services sociaux distinct des fonds consolidés du gouvernement). Elles ont en communs de ne pas augmenter les impôts puisque les Québécois ont le fardeau fiscal « le plus élevé du Canada ».
Or, les moyens pour augmenter les revenus sont très discutables. L'augmentation de la TVQ et surtout des tarifs d'Hydro-Québec a pour effet direct de diminuer le revenu disponible des couches les plus démunies de la société. D'autre part, augmenter les impôts de la population active serait insuffisant, dans 20 ans il n'y aura plus que 2 travailleurs pour chaque personne agées de plus de 70 ans, sans compter le fait que la population québécoise est déjà la plus taxée en Amérique du Nord. De plus, si le gouvernement optait pour ce dernier moyen,la génération du baby-boom se trouverait à surtaxer les générations suivantes pour leurs propres soins alors qu'eux-mêmes ont eu accès à un revenu disponible très important au cours de leur vie active.
Il faut, selon les recommandations mêmes du rapport, « éviter de transmettre une facture disproportionnée aux générations futures ». Le vieillissement de la population nécessitera des sommes d'argent supplémentaires; il n'y a pas à y échapper. La question est de savoir d'où proviendront ces sommes. La génération des baby-boomers a pu profiter de la conjoncture dû, entre autre, à leur poids démographique au cours de leur vie active. Cette conjoncture leur a permis d'acquérir une importante quantité de biens (que ce soit en placements, en biens immobiliers, etc.).
Or, nous devons considérer les coûts d'une système à long terme et non à l'échelle de quelques années, voire des décennies. Une génération n'a pas à assumer l'accumulation de richesse de la précédente. Il faut donc aller puiser dans la valeur que représente cette accumulation de biens pour pallier au déficit qu'entraînera inévitablement le vieillissement de la population. Évidemment, c'est de façon globable que cette richesse s'est créée au cours des années; ce n'est pas le cas de tous les individus. Il faut veiller à ce que ces derniers aient accès aux mêmes soins, et dans le même système, que ceux ayant des avoirs importants.
En prenant comme principe qu'il ne faut pas augmenter les impôts, je propose donc un système de paiement pour l'accès aux soins de santé basé sur l'actif des individus. Les individus (ou une autre forme d'association à déterminer comme la famille ou les conjoints) auraient, pour avoir accès aux soins de santé, à payer un montant qui dépenderait de leur actif. Des taux seraient fixés et pourraient être changés au besoin. Par exemple, les individus possédant un actif supérieur à 1 million de dollars devraient débourser 90% des coûts de leurs soins alors que ceux ayant un actif inférieur à 100 000 dollars n'auraient rien à payer. Les taux pour ceux ayant un actif entre ce plafond (1 million) et ce plancher (100 000) seraient échelonnés.
De cette manière, les individus ayant un actif supérieur au plancher devraient, pour avoir accès à des soins, dégager des sommes d'argent afin de payer leur partie des frais encourus. Ces individus, disposant de biens dont ils peuvent se départir contre une somme d'argent, pourraient l'utiliser pour payer leurs soins. Un autre moyen de fournir cette somme serait en souscrivant à un régime d'assurance santé privé qui garantirait le paiement de ces soins, gardant ainsi intact l'actif, et le taux à payer, des individus. Cette mesure s'appliquerait à toute la population, et donc à toutes les générations, mais en mettant l'accent sur ceux qui ont le plus accès aux services à condition qu'ils aient des biens.
Soulignons que le système de santé actuel et le système unique de santé privé sont les cas limites de la solution proposée. Dans le cas du système de santé gratuit et universel, la valeur du plancher est infini. En bas du plancher, donc tous les individus, le taux à payer pour avoir accès aux soins est de 0%. Dans le cas du système unique de santé privé, c'est le plafond qui est fixé à 0$, c'est-à-dire que tous les individus doivent payer 100% des frais pour avoir accès aux soins de santé. En fait, dans le cas du système privé, le plancher est plutôt de l'infini négatif puisque même une personne avec un actif négatif, c'est-à-dire endettée, devra payer.
La solution du système de paiement basé sur l'actif permet donc de faire une transition continue à partir de maintenant (en faisant payer ceux qui ont un actif de plus de 10 millions de dollars) et de revenir au système de soins gratuit et universel. Ce sera au gouvernement du Québec d'établir les taux selon ce qu'il juge juste et nécessaire. Le taux maximal de 100% ne devrait jamais être atteint, peu importe le montant de l'actif. De cette façon l'État serait incité à la performance, il ne pourrait refiler le coût total de la facture aux usagers et l'amélioration de l'efficacité se traduirait en économies, mais surtout, on évite ainsi de se retrouver avec un système de santé privé.
Ce système semble avoir le défaut que les gens en santé pourraient profiter de leurs richesses, ce qui ne serait pas le cas pour ceux nécessitant des soins. L'existance d'un plancher, en deça duquel les individus n'ont pas à payer pour avoir accès aux soins, prévient justement ce possible déséquilibre. Ce sera à la société de juger à quel montant a droit un individu de telle sorte que son droit au bonheur ne soit pas compromis (équivalent du revenu de citoyenneté appliqué à l'actif) et utilisant l'excédant de cette somme pour le bien commun.
*Le terme de capital est utilisé au sens keynésien, c'est-à-dire aux richesses utiles de toutes sortes. Le capital comprend par conséquent les moyens de production, l'outillage, les stocks de marchandises, les maisons d'habitation, etc. En aucun cas ce mot n'est pris dans le sens restreint de monnaie qu'on lui donne parfois, par exemple lorsqu'on parle de mouvements internationaux de capitaux (source: Département des sciences économiques et sociales de l'Académie de Versailles).