De l'anglais en réunion
Il est de la langue anglaise comme d'une goutte de colorant dans l'eau. Il suffit d'une seule goutte pour que l'ensemble en prenne la couleur.
Cette frustration d'être en réunion où une majorité écrasante des participants a comme langue maternelle le français, mais que la présence de quelques anglophones, voire d'un seul, suffit à faire de l'anglais la langue de conversation de toute la réunion, est partagée par plusieurs personnes. Certes, puisque je travaille au gouvernement du Canada, ceci fait en sorte que je suis régulièrement confronté à cette situation. Mais elle est loin d'être unique à ce milieu.
Ceux qui travaillent dans des milieux où la présence d'anglophones est chose commune, que ce soit dans une compagnie multinationale, dans un milieu où les partenaires d'affaires parlent cette langue, ou que quelques participants soient de langue maternelle anglaise (même s'ils sont bilingues) peuvent aussi témoigner de cette réalité.
En écoutant Éloge du chiac, film qui se déroule au Nouveau-Brunswick en 1968, j'ai entendu Suzanne, une petite Acadienne d'une dizaine d'années, qui témoigne aussi de ce fait (4:35).
Consternation. Ce fait transcende donc l'espace, le temps et les générations. Une réflexion s'impose.
Lors des réunions internationales auxquelles j'ai participées, la langue utilisée était bien sûr l'anglais. Certes, cette langue est la langue maternelle des Américains et des Anglais présents autour de la table, mais même s'ils avaient été absents, l'anglais aurait été la langue utilisée. Le choix de cette langue ne dépend pas de leur présence. Ce qui n'est pas le cas lors d'une réunion au Québec.
La conversion à la langue anglaise lors des réunions pourrait être une conséquence de la force des francophones du Canada: ils ont historiquement toujours été plus bilingues que leurs compatriotes de langue anglaise (référence: Site de l’aménagement linguistique au Canada). La langue anglaise, de par son importance mondiale qui s'accroit depuis des décennies, fait de cette langue un incontournable pour tout ceux, francophones ou autres, qui veulent communiquer avec l'extérieur. Ceci est doublement vrai au Canada, c'est la langue de la majorité en plus d'être la lingua franca internationale.
Cependant, l'analyse ne résiste pas lorsqu'appliquée au Québec. En effet, les Québécois ayant l'anglais comme langue maternelle sont en proportion plus souvent bilingues que leurs compatriotes ayant le français comme langue maternelle (66,1% contre 33,6%, données de 2001). Ce devrait donc être une réalité canadienne et non québécoise.
Pourquoi donc l'anglais prend-il toujours le dessus dans les réunions?
Le fait que les francophones doivent utiliser une langue seconde pour discuter afin qu'une petite minorité de participants puissent suivre a ceci d'aliénant: notre langue maternelle, et donc celle avec laquelle nous avons le plus de précision et le plus d'éloquence, celle avec laquelle nous sommes le plus efficace, est oblitérée afin de pouvoir faire participer un petit nombre qui eux, bénéficient ainsi de cet avantage que nous concédons.
La frustration vient surtout du fait que l'utilisation de la langue seconde est, sauf rarissime exception, à sens unique. C'est toujours le francophone qui s'efface pour faire place à l'anglais.
Faisons-nous assez d'efforts pour, au moins, tenter de parler en français et d'offrir aux anglophones présents de participer dans cette langue s'ils sont bilingues? Par expérience, non.
Avons-nous ce comportement par politesse? Par goût de montrer que nous savons parler anglais? Par habitude de toujours parler en anglais en présence d'un anglophone? Par réflexe d'effacement du Canadien français devant l'anglais?
Vraiment je l'ignore, mais ça m'achale.