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L’anthropocène contre l’histoire

Billet originalement publié sur Facebook. Vous pouvez consulter la série de mes critiques de livre en suivant l'étiquette Critique sur ce blogue.

Anthropocène contre l

Ça fait un petit bout que je ne lis plus d'ouvrages sur les mesures et observations des changements climatiques (CC), sauf peut-être lorsque ça concerne spécifiquement le Québec. D’une part, je n’ai pas besoin de nouvelle information pour être convaincu des CC et, d’autre part, c’est une lecture qui me déprime.

Je me concentre plutôt sur les causes sociales, humaines, qui peuvent permettre de changer le cours des choses. « L’anthropocène contre l’histoire » entre dans cette définition. Il se concentre essentiellement sur une analyse du passé pour comprendre comment nous en sommes venus, collectivement, à une telle utilisation des combustibles fossiles. Il s’agit ici d’une analyse marxiste, où on comprend la dynamique de la révolution industrielle à la lumière de la lutte des classes.


La popularisation de la machine à vapeur s’est répandue 40 ans après le dépôt du brevet par James Watt (1769). Ce n’est donc pas la technologie seule qui a été révolutionnaire, mais bien le contexte social qui a suscité sa monté en popularité en Angleterre au XIXe siècle, pour se répandre dans le monde par la suite.

Au moment de l’invention de la machine à vapeur, les usines de coton anglaises utilisent la force hydraulique pour actionner la machinerie nécessaire au filage. Les usines sont situées sur le bord des rivières, et des villages sont construits tout près pour héberger les ouvriers, à l’image des villes minières comme Schefferville.

L’énergie hydraulique est moins couteuse que celle produite par le charbon. Cependant, les usines sont soumises aux aléas du flux des rivières qui peut, dans une certaine mesure être régularisé, mais ce sont des travaux onéreux.

L’éloignement de la main d’œuvre des rivières, combiné à la fluctuation de l’énergie hydraulique, favorise l’essor de la machine à vapeur. En effet, comme le charbon peut être déplacé facilement, il est possible de l’amener en ville où se trouve une main d’œuvre abondante. Les usines seront donc construites non pas où se trouve l’énergie, la rivière, mais là où se trouve les ouvriers.

Ce problème est d’ailleurs encore présent aujourd’hui : les énergies renouvelables ne peuvent pas être déplacées. Elles ne peuvent suivre les populations et se déplacer au gré du capital. On vit encore ce déplacement des usines vers les endroits où la main d'œuvre est économique, comme en Chine présentement.

Autre avantage de la machine à vapeur actionnée par la combustion du charbon : la régularité. En effet, la machine à vapeur fournit de l’énergie à la demande. Il est dès lors possible d’actionner la machine à vapeur en continue, et d’exploiter la main d’œuvre non pas selon le débit de la rivière, mais bien selon la quantité de charbon fournit à la machine à vapeur.
Ce sont ces deux conditions réunies qui ont favorisé, à partir de 1820, l’essor de la machine à vapeur dans les villes d’Angleterre, même si l’énergie hydraulique était, au final, moins dispendieuse. C’est d’ailleurs vers cette époque que la quantité d'énergie fournie par le charbon dépasse ce que l'île aurait pu fournir par les moyens traditionnels (bois, vent, hydraulique). En d’autres mots, le capital a besoin des combustibles fossiles pour continuer à s’accroître, car l’énergie fournie par la nature lui est insuffisante.

Afin de profiter de ce combustible, le capital se déplace vers la main d’œuvre. Il s’agit ici du fait d’une classe sociale particulière, les riches propriétaires Anglais de l’époque, qui profite de la combustion du charbon, et non le fait de tous les humains en Angletterre et encore moins de par le monde.

La route du charbon s’exportera par la suite en suivant la route de l'Empire, la vapeur remplaçant le vent pour déplacer les bateaux. Dès lors, des réserves de charbon seront nécessaires afin de ravitailler les bateaux de la marine anglaise. Des explorations seront effectuées un peu partout sur la planète, afin de trouver des réserves exploitables. Les populations vivant près des gisements découverts étaient la plupart du temps au fait de son existence, et de la possibilité de l’utiliser comme combustible, mais préféraient utiliser des matières comme le bois comme combustible. Ces communautés étaient souvent traditionnelles, et les Anglais tentent de les transformer afin de pouvoir ouvrir des mines et avoir des ouvriers disponibles. Très souvent, ces personnes sont plus ou moins intéressées à devenir mineur de charbon, un métier très difficile et, selon les conditions d'exploitation anglaises du XIXe siècle, peu rémunérateur.

La conquête du charbon, le premier combustible fossile, suivra ainsi la route anglaise, et se popularisera dans les pays de l’Empire, notamment en Inde, en raison du flux constant que permet sont exploitation. Cela permet les conquêtes militaires par bateaux à vapeur, on encore le déplacement rapide de troupes sur le territoire (prélude aux massacres de la première mondiale qui n’auraient pu avoir lieu sans le chemin de fer pour bouger rapidement les troupes conscrites à la frontière).
On a ainsi les éléments en main pour comprendre la thèse de l’auteur. L’anthropocène étant défini comme une ère géologique où ce sont les humains qui ont transformé la planète, il s’y oppose en indiquant que cela n’a rien à voir avec les humains au sens large, mais bien à une petite frange de ceux-ci, animée par l’accumulation du capital.

C’est en cela que l’anthropocène serait en lutte contre l’histoire, cette dernière indiquant que ce sont les capitalistes qui ont créé, et bénéficié, des combustibles fossiles. Les combustibles fossiles sont un condensé des rapports inégalitaires. Aucun humain ne s'est lancé dans son exploitation pour satisfaire besoin vital. Il nécessite le salariat.

Il avance deux faits qui appuient la thèse de l’élite ayant causée la majeure partie des CC, plutôt que l’espèce dans son ensemble :
Un dixième de l'espèce contribue à la moitié des émissions issue de la consommation. Le 1% le plus riche de la planète a une empreinte écologique 175 fois plus grande que 10% le plus pauvre (p. 59-60)
73% des émissions cumulées entre 1751 et 2010 sont le fait de 90 entreprises (p. 171)

L’auteur explore ensuite le lien entre les révolutions et le climat. On y trouve l’exemple Ottoman du XVIIe siècle et de la Syrie contemporaine. La région qui est la plus vulnérable face aux CC est le Moyen-Orient. Cette région vivant déjà une situation géopolitique pour le moins complexe, on peut penser que les prochaines décennies y seront très difficiles.
On termine le livre sur la narration d’un acte illégal d'activistes en Allemagne où l’auteur exposer la prise du pouvoir comme la solution. Le tout avec une citation de Lénine.


Livre en trois parties, chacune ayant fait l’objet d’une publication à part entière et rassemblées dans cet ouvrage, l’anthropocène contre l’histoire a le mérite de remettre sur la table une vision qui est, selon moi, mise de côté par les élites politiques dans les dernières décennies : la lutte des classes. On réalise qu’il est possible d’avoir la vision d’un autre futur que celui de la productivité telle qu’elle nous est présentée par les tenants du capitalisme. On voit également que les émissions de CO2 sont étroitement reliées à la répartition de la richesse.

Cette analyse vient cependant au coût d’une dialectique marxiste parfois lourde à lire pour le profane. J’ai sauté quelques paragraphes d’une écriture qui semblait par segment plutôt destinée à une revue spécialisée qu'au lecteur du dimanche. Il y a également des formules mathématiques qui n'en sont pas, ce qui irrite quelque peu pour une personne habituée au formalisme des mathématiques.

L'auteur identifie des sujets où il devrait y avoir de la recherche historique pour mieux comprendre les causes de l'avènement de la civilisation/économie/capitalisme fossile. Il permet ainsi de bien mettre en contexte ses thèses dans le corpus scientifique.

Cela dit, j’ai bien aimé la mise en contexte historique de l’Angleterre du XIXe siècle de même que son rapport avec l’Inde. Ne serait-ce que pour ça, la lecture du livre en vaut la peine.

La partie sur les analyses littéraires est cependant le point faible du livre. D’une part, parce qu’il faut connaître les livres en question pour bien comprendre son analyse, ce qui est un exercice impensable pour le commun des mortels, et d’autre part parce qu’une note de bas de page du traducteur vient torpiller le propos de l’auteur. Celui-ci explique en effet que dans la version originale arabe d’un ouvrage analysé, les mots choisis par l’auteur ne s’y retrouvent pas vraiment et qu’ils ne peuvent appuyer la thèse décrite…

Finalement, les solutions arrivent très tard dans le livre, en page 195 dans un livre qui en contient 214. Elles sont données sous forme de liste, sans n’être étoffée d’aucune manière. Clairement, cet ouvrage est plus dans l'analyse des causes que dans la recherche de solutions.