De la mescaline
Ce billet est le premier d'une série de trois portant sur les drogues hallucinogènes. Le lecteur pourra retrouver l'ensemble du triptyque en consultant les billets de ce blogue portant l'étiquette hallucinogène.
Il y a quelques années de cela, mon frère m'a donné un livre qui était soumis à l'élagage à la bibliothèque où il travaillait à ce moment-là: The hallucinogens [1]. Ce livre, publié en 1967, est une monographie sur la question dont il porte le titre, les drogues hallucinogènes.
Il a trainé dans ma bibliothèque à la maison pendant quelques années, attirant le regard curieux des convives qui eurent la chance de passer un peu de temps dans mon salon. Je ne l'ai ouvert que récemment et, je dois dire, je ne suis pas déçu.
Contrairement à ce que le nom savant de monographie laisse présager, ce livre contient une bonne partie de témoignages et de notes des auteurs qui peuvent être lus comme un roman. Certes, des équations chimiques et des noms de molécules forment l'essentiel de son contenu, mais le texte qui peut être lu par le quidam de passage, comme moi, vaut largement le détour.
Je transcris ici un passage [2], traduit par moi, qui relate un des premiers témoignages (1922) d'une personne sous influence de la mescaline.
L'illusion des sens est le facteur intéressant à cette étape. Des objets forts ordinaires peuvent paraître tout à fait merveilleux. En comparaison, le monde normal tel qu'il nous apparaît à tous les jours semble pâle et morne. Des symphonies de couleurs sont perçues. Les couleurs luisent avec une délicatesse et une variété qu'aucun être humain ne pourrait produire. Les objets baignent dans des couleurs tellement vives, bougent et changent leurs teintes si rapidement que la conscience est à peine capable de suivre. Alors, après un bref instant, des arabesques colorées et des figures apparaissent dans un jeu sans fin, estompées par des ombres noires, ou brillant d'une lumière radieuse. Les formes qui sont alors produites sont de variétés charmantes; des formes géométriques de toutes sortes, sphères et cubes changeant rapidement de couleur, triangles avec des points jaunes desquels émanent des chaînes dorées ou argentées, tapisseries rayonnantes, tapis, dentelles en filigrane bleu ou sur un fond sombre, des rayures rayonnant en rouge, vert, bleu ou jaune, des motifs de carrées sur une broderie dorée, étoiles avec une teinte bleu, verte ou jaune, qui semblent être des réflexions de cristaux magiques, paysages et champs lumineux avec des pierres précieuses de plusieurs couleurs, arbres avec des fleurs jaunes pâles, et plusieurs choses dessous. En plus de ces objets, des personnes de forme grotesque peuvent fréquemment être aperçues, nains colorés, créatures fabuleuses, plastiques et bougeantes ou immobiles, comme dans une photo. À la fin de la psychose un homme avec les yeux ouverts voit des oiseaux blancs et rouges et, avec les yeux clos, des demoiselles blanches, des anges, la Vierge Marie et le Christ dans une couleur bleue pâle. Une autre patiente a vu son propre visage lorsqu'elle fermait les yeux.
C'est avec difficulté que j'ai traduit ce texte, les mots utilisés étant d'une grande précision dans la langue de Shakespeare. Ce qui me fait émettre la recommandation suivante: si jamais vous faites de la mescaline, ou une autre drogue hallucinogène, arrangez-vous pour ne pas être avec un unilingue anglophone ayant du vocabulaire, vous risquez de ne pas saisir grand chose.
Suite à cette lecture, j'ai compris pourquoi les dessins psychédéliques (consulter l'origine de ce mot, ça vaut le détour) proposaient une orgie de couleurs. J'ai aussi pris conscience, paradoxalement, que ces drogues offraient une expérience d'un autre niveau de conscience, me rappelant ainsi L'Heptade d'Harmonium ou encore la théorie des niveaux de conscience de Timothy Leary, très à la mode dans les années 60 et 70, les années psychédéliques.
De plus, les personnes à qui j'ai parlé de cette lecture et ayant eux-mêmes fait l'expérience de drogues hallucinogènes, principalement du PCP (ou LSD?) je crois, se sont tous montrés très enclins à me raconter leurs expériences. Le meilleur exemple que l'on m'ait donné est celui d'un voyage, on visite un autre endroit et on en revient avec de nouvelles sensations, de nouvelles expériences que l'on ne connaît pas ici. Curieusement, ces personnes ne désiraient pas consommer de nouveau des drogues hallucinogènes, elles étaient contentes d'en avoir fait l'expérience mais ne voulaient pas recommencer. J'en déduis que le pouvoir toxicomanogène de ces drogues est très réduit, sinon nul.
Sur le même sujet, je vous recommande l'écoute du témoignage de Claude Gagnon, artiste contemporain du Québec, qui nous parle de son expérience du LSD dans une capsule de l'expo 67 diffusée à Radio-Canada. Son commentaire est aussi inspirant et clair que le témoignage copié ci-haut.
Finalement, on m'a proposé de regarder de ce vidéoclip d'Alain Bashung, si jamais j'étais sous l'influence d'un hallucinogène. Bonne écoute!
[1]: Hoffer A & Osmond H (1967). The Hallucinogens. Academic Press, New York. ISBN 0-12-351850-4.
[2]: Ibid., p. 5