La tentative de colonisation française à l'île de Sable en 1599
Le pire de tous ces désastres fut la colonie française de l'île de Sable aux abords des bancs de pêche. Après le traité de Vervins, Henri IV parraina les entreprises de colonisation d'un personnage excentrique au nom exotique de Troilus de Mesgouez, marquis de La Roche-Helgomarche. En 1597, La Roche envoya à l'île de Sable une expédition de pêche qui parut être de bon rapport. L'année suivante, Henri IV accordait à La Roche des lettres patentes pour implanter une colonie en Amérique du Nord. Le roi investit plus tard douze mille écus dans l'entreprise.
Le projet se buta aussitôt à des difficultés. Peu de gens s'étaient portés volontaires, problème récurrent dans l'histoire de la colonisation française. La Roche se vit obligé de conscrire des gueux et des vagabonds. Il persuada aussi les autorités royales de lui vendre des criminels condamnés à mort et à qui on avait donné le choix entre la potence ou l'Amérique.
La Roche recruta un capitaine du nom de Thomas Chefdostel et lui ordonna de débarquer les colons à l'île de Sable. On n'aurait pu imaginer pire emplacement: une dune de sable désolée sur les confins du Grand Banc, à cent soixante kilomètres de la côte, battue par d'âpres vents et enveloppée des brumes épaisses de l'Atlantique. En 1599, les soixante colons de La Roche mirent pied à terre avec leur chef, le commandant Querbonyer, qu'accompagnait un petit détachement de soldats chargé de maintenir l'ordre. La Roche leur laissa des matériaux pour se bâtir des abris et un magasin, resta quelque temps et rentra en France. Il avait promis d'envoyer des navires de ravitaillement chaque année, et il tint parole en 1600 et en 1601. Les navires revenaient au moment convenu, mais la colonie ne put prendre racine, et La Roche perdit son crédit en métropole. En 1602, les colons se mutinèrent, assassinèrent les officiers dans leur sommeil et pillèrent le magasin. La Roche apprit ce qui s'était passé de pêcheurs qui étaient passés par là et retint le navire de ravitaillement. Les colons réussirent `tirer une maigre subsistance du poisson, des loups marins et du bétail ensauvagé qui avait été abandonné sur l'île par un navire espagnol. Il n'y avait pas de bois ou de pierre sur l'île, et les colons se mirent bientôt à vivre « comme des renards dans la terre ». Les vivres venant à manquer, ils s'étaient mis à s'entre-tuer. Au bout de quelques années, la plupart des colons étaient morts. Un navire retrouva onze survivants aux visages émaciés, aux cheveux emmêlés et vêtus de peaux de loups marins et les ramena en France.
Extrait du livre « Le rêve de Champlain » de David Hackett Fisher, Boréal, p. 137, ISBN-13 : 9782764620939