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Rendez à César ce qui est à César

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Ce billet est le premier volet du tryptique portant sur le nouveau testament. Deuxième volet, troisième volet.

Luc 20: 20-26

Le tribut à César

20 Ils se mirent à observer Jésus; et ils envoyèrent des gens qui feignaient d'être justes, pour lui tendre des pièges et saisir de lui quelque parole, afin de le livrer au magistrat et à l'autorité du gouverneur.
21 Ces gens lui posèrent cette question: Maître, nous savons que tu parles et enseignes droitement, et que tu ne regardes pas à l'apparence, mais que tu enseignes la voie de Dieu selon la vérité.
22 Nous est-il permis, ou non, de payer le tribut à César?
23 Jésus, apercevant leur ruse, leur répondit: Montrez-moi un denier.
24 De qui porte-t-il l'effigie et l'inscription? De César, répondirent-ils.
25 Alors il leur dit: Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.
26 Ils ne purent rien reprendre dans ses paroles devant le peuple; mais, étonnés de sa réponse, ils gardèrent le silence.

Un commentaire à « Rendez à César ce qui est à César »

  1. Sureau
    29 août 2008 | 11:33

    On retrouve cet épisode sans différence notable dans les trois évangiles synoptiques (Mc 12,13-17, Lc 20,20-261). C’est l’histoire d’un piège raté.
    Les Pharisiens de concert avec les Hérodiens veulent « l’attraper par une parole » (chez Mc), « le prendre en défaut sur quelque parole » (chez Lc). La question porte l’impôt – en latin census - imposé par l’envahisseur romain. Elle n’est pas absurde en soi car ce « tribut » est le signe odieux de l’asservissement des armées de César dont le buste figure sur les pièces de monnaie romaine avec l’inscription : Tibère César, fils du divin Auguste, Auguste. Cette prétention divine est choquante pour le Peuple de Dieu.
    Mais ceux qui posent cette question agissent par hypocrisie, fourberie, perversité ou astuce (on trouve ces aimables qualificatifs dans les trois évangiles). Les Pharisiens se mêlent ici aux Hérodiens, qui défendent à la fois la dynastie régnante avec l’appui des colonisateurs romains. Aussi Jésus ne peut leur échapper. L'alternative est redoutable. S’il répond qu’il faut payer l’impôt, les Pharisiens auront beau jeu de discréditer devant le peuple ce Messie compromis avec l’argent idolâtre. Car accepter de payer la taxe revient à reconnaître la légitimité du pouvoir qui l’impose. Dans le cas contraire, les partisans d’Hérode pourront le faire arrêter comme un dangereux révolutionnaire. Collabo ou résistant : il faut choisir !
    Le Seigneur ne se laisse évidemment pas enfermer dans cette question. En leur demandant d'abord la « monnaie du tribut », il commence par les piéger doublement en révélant leur hypocrisie. En effet, la scène se déroule dans le Temple (cf. Mt 21, 28). Or non seulement ils ont eux sur eux l'argent de l'occupant, mais cet argent porte l'effigie du « divin César », alors que la loi interdisait d'introduire toute image dans l'enceinte sacrée. La possession de la monnaie idolâtre révélait leur allégeance à César.
    La réponse de Jésus touche à l’ordre symbolique. Le denier porte l’effigie (ou l’image) de César mais l’homme est créé à l’effigie (ou l’image) de Dieu, ainsi qu’il écrit dans la Genèse (Gn 1,27). Restituez à César cette monnaie impériale : puisqu’elle porte sa marque, elle lui appartient. Le seul propriétaire du denier est celui qui y figure, et quand il meurt, on remplace son effigie par celle du nouvel empereur. Ne donnez pas à César ce qui appartient à Dieu : nous-mêmes.
    Les adversaires de Jésus sont « étonnés ». On imagine leur dépit. Ils sont renvoyés à leurs responsabilités : utilisant la monnaie de l’occupant pour leur commerce, ils sont invités à payer la taxe imposée. Il y a de l’humour voire de l’ironie dans la réponse du Seigneur. Car il a bien peu de considération pour l’argent, au point qu’il invite à s’en défaire (Lc 12,33), puisque « difficilement ceux qui ont des richesses pénètrent dans le Royaume de Dieu » (Lc 18,24). Provisoire, éphémère, l’argent n’a pas d’importance à ses yeux. César veut-il ses deniers? Pas de problème. Rendez-lui son dû.2
    La réponse « étonnante » du Seigneur est difficile à comprendre. Il ne répond même pas à la question : faut-il payer l'impôt. En effet, on ne peut pas l'interpréter comme l'énoncé d'un devoir fiscal (encore moins comme un appel à l'obéissance à l'occupant). Cela explique plus aisément pourquoi, trois jours plus tard, devant Pilate, Jésus sera accusé d’avoir suscité la rébellion fiscale (Lc 23,2). L'accusation était fausse, mais le Christ n'avait pas Sa réponse a donc troublé les esprits binaires. Comme elle ne cesse de piéger ceux qui, trop rapidement, imaginent mettre en balance l’autorité politique que symbolisée par le devoir fiscal et le Royaume de Dieu.

    Deux domaines ?

    Si la question était un piège pour Jésus, la réponse a été un piège pour les commentateurs. Elle se prête à une diversité d'interprétations.
    Nombre de commentateurs l’ont comprise comme le fondement scripturaire de la distinction des deux pouvoirs et de leur compatibilité. Ainsi Joseph Huby, savant exégète jésuite :
    « la parole du Seigneur dépassait la circonstance qui l’avait provoquée. Elle posait la distinction des deux domaines, le domaine de Dieu et le domaine du pouvoir civil, et le principe de morale qui règle leurs rapports. La fidélité au Père céleste prime tout, mais elle se concilie avec les devoirs envers la société civile. Tant que la puissance humaine s’exerce pour le bien des sujets et sans s’insurger contre la loi divine, elle a droit à l’obéissance. Comme l’expliquera plus tard saint Paul, en développant la même doctrine (Rm 13,1-7), se soumettre à la puissance séculière c’est encore se soumettre à Dieu, puisqu’il est la source de toute autorité. »3
    1/ Il faut d'abord remarquer que l'épisode du paiement du tribut à César se situe dans le contexte de l'aggravation du conflit entre Jésus et les Juifs. Chez Matthieu, il est situé après la parabole des noces royales, chez Marc comme chez Luc après celle des vignerons homicides. La tension monte, annonçant la Passion. Chez Marc comme chez Luc, au chapitre suivant, le Seigneur prédit que les persécutions des chrétiens seront emmenés devant « des rois et des gouverneurs à cause de mon Nom » (Lc 21, 12; Mc 13, 9). A la veille d'être crucifié par l'autorité politique, il semble curieux que Jésus profite de ce moment pour délivrer un enseignement paisible sur la séparation des pouvoirs et surtout sur la reconnaissance d'un domaine réservé au pouvoir civil.
    2/ De plus, si le sens obvie de sa réponse était l'affirmation de la légitimité de César fût-ce en matière purement fiscale, il tomberait dans le piège, se disqualifierait aux yeux des Juifs pieux. Comment imaginer que le Seigneur puisse défendre un système politique idolâtre, faisant de César un dieu auquel tout citoyen romain devait rendre un culte? Les premiers chrétiens moururent en refusant de sacrifier au divin César, interprétant l'enseignement de Jésus dans le sens d'une relativisation du politique:
    « il ne faut pas oublier la leçon du Christ rapportée par saint Matthieu qui a servi de base à toutes les interprétations politiques du message chrétien jusqu'à nos jours. « Rendez à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu» (22, 21). Car elle est en rupture totale avec la tradition, l'histoire et les mentalités romaines où le « politique » et le « religieux » coexistent étroitement, comme éléments nécessaires à la civitas. À tout le moins, elle entraîne un relativisme vis-à-vis de la chose publique, même s'il s'avère positif. Pour les chrétiens, les pouvoirs politiques doivent tenir de Dieu leur propre justification et, selon le message du salut, ils doivent aussi conduire leurs actions en fonction de normes morales précises. Ce qui aboutit à mettre en oeuvre de nouvelles relations entre le politique et l'éthique. »4
    Jetons un coup d’œil sur l’utilisation que fait le Catéchisme de l’Eglise catholique du « Rendez à César ». Elle est sobre :
    « Dès le commencement de l’histoire chrétienne, l’affirmation de la seigneurie de Jésus sur le monde et sur l’histoire (cf. Ap 11, 15) signifie aussi la reconnaissance que l’homme ne doit soumettre sa liberté personnelle, de façon absolue, à aucun pouvoir terrestre, mais seulement à Dieu le Père et au Seigneur Jésus-Christ : César n’est pas " le Seigneur " (cf. Mc 12, 17 ; Ac 5, 29). » (n°450)
    « Le citoyen est obligé en conscience de ne pas suivre les prescriptions des autorités civiles quand ces préceptes sont contraires aux exigences de l’ordre moral, aux droits fondamentaux des personnes ou aux enseignements de l’Evangile. Le refus d’obéissance aux autorités civiles, lorsque leurs exigences sont contraires à celles de la conscience droite, trouve sa justification dans la distinction entre le service de Dieu et le service de la communauté politique. " Rendez à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu " (Mt 22, 21). " Il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes " (Ac 5, 29) » (n°2242).
    3/ On connait la formule de Clemenceau: « Rendez à César ce qui est à César, et tout est à César. » Dorothy Day affirmait de son côté que si l'on rend à César ce qui est César, il ne lui reste pas grand chose. En fait, rien. Tout est à Dieu, y compris le pouvoir qui vient de Lui, comme Jésus le rappelera à César. César lui-même est une créature de Dieu.

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