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Mot du jour: déliquescence

déliquescence: nom féminin. a. Décadence complète. b Affaiblissement des capacités intellectuelles; décrépitude.
Source: Le petit Laroussse illustré, 1996.

Exemple: Le gaz de schiste, c'est un cas de déliquescence des pouvoirs publics. (Jacques Parizeau)

Du désintérêt politique: la montée des ONG

Des filles et des garçons

Ce billet est le sixième et dernier de la série Du désintérêt politique. Cette série présente des hypothèses expliquant le désintérêt de la population pour la politique dans les démocraties occidentales. Vous pouvez consulter toute la série en vous rendant sur le billet d'introduction.

Devant la montée en puissance des mégacorporations, le pouvoir de l'État sur la vie des citoyens semble diminuer. Ces corporations ont une influence accrue sur les politiques économiques, internationales et réglementaires des nations.

Devant l'étiolement du pouvoir de l'État, les citoyens optent pour un repli vers les mouvements abordant une seule problématique, plutôt que vers les partis politiques traditionnels qui semblent impuissants ou complaisants face à ces pressions. Ces mouvements, afin d'être distingués des gouvernements, sont regroupés sous un concept négatif: les organisations non gouvernementales (ONG).

Comme la majorité des ONG se concentre sur un seul enjeu (environnement, féminisme, paix, antimondialisation, etc.), il est possible aux individus de cibler une ONG agissant sur un enjeu important à leurs yeux. Il est ainsi plus aisé d'être en accord avec les positions d'une ONG, concentrée sur une seule problématique, plutôt que sur celles d'un parti politique traditionnel qui doit avoir une multitude de positions face aux enjeux touchant la société. Il est possible de magasiner ses ONG pour qu'ils correspondent à nos principes, comme on compose un bouquet de fleurs, alors que les partis politiques sont plutôt comme des boîtes de chocolats assortis; il y en aura toujours quelques-uns qui nous déplairont.

Un parallèle peut aussi être fait entre l'explosion du nombre des ONG et la société de consommation. La montée des ONG correspond en effet à la diversification des produits de consommation dans les années 70. Selon ce nouveau paradigme moussé par l'industrie de la mise en marché, l'individu se différencie par ce qu'il consomme, la diversité des produits disponibles lui permettant d'exprimer sa personnalité et d'être unique par ses choix. Il en serait de même pour les ONG, chaque personne peut choisir une cause et l'ONG qui lui correspond et s'y identifier. On lui remettra même un insigne (ruban, bracelet) pour afficher cet appui.

Certaines ONG sont actives par delà les frontières des États. De cette façon, elles ont une étendue rivalisant avec celle des mégacorporations ayant des intérêts dans plusieurs pays. Pour plusieurs enjeux, les ONG sont donc mieux adaptées que les États, dont le pouvoir ne dépasse habituellement pas ses frontières, pour faire contrepoids à ces corporations.

Ajoutons à cela que la pression médiatique à laquelle les politiciens sont soumis est plutôt absente auprès des porte-parole ou des dirigeants des ONG.

Pour toutes ces raisons, les personnes désirant s'impliquer pour influencer le fonctionnement de la société opteront souvent pour les ONG plutôt que pour un parti politique. L'effet de ces organisations est plus ciblé, plus concret et l'attention médiatique moins grande. On peut voir cette implication de façon positive: le nombre de personnes s'impliquant dans la société est toujours important, il y a simplement eu migration des partis politiques vers les ONG.

Au Québec

Il y a 40 ans, aucune ONG n'était présente dans les débats de sociétés entourant l'environnement. Pensons par exemple à la construction en 1971 des barrages sur la Grande Rivière à la baie James. Les opposants au Parti Libéral du Québec (PLQ) étaient les Cris et le Parti Québécois (qui prônait plutôt l'utilisation de l'énergie nucléaire).

D'autre part, regardons le dossier contemporain des gaz de schistes. Il y a le PLQ d'un côté, appuyé cette fois-ci par une coalition de corporations gazières. De l'autre côté, on retrouve encore le Parti Québécois mais, cette fois-ci, il est appuyé par une constellation d'ONG de défense de l'environnement (AQLPA, Nature Québec, Greenpeace, etc.).

Hier comme aujourd'hui, le secteur privé est présent aux côtés du parti au pouvoir afin de favoriser son profit. L'élément nouveau, ce sont les ONG qui tentent de leur faire contre poids avec l'opposition. Alors que les partis politiques de part et d'autre demeureront les mêmes, les ONG changeront selon les enjeux.

Au niveau de l'implication personnelle, le cas de Steven Guilbeault est révélateur. Alors qu'il était porte-parole pour Greenpeace Québec, il s'est vu offrir un château fort du Parti Libéral du Canada (PLC), alors en position de former le gouvernement. Étant donné son profil, on peut penser que le PLC lui aurait offert le poste de ministre de l'Environnement dans l'éventualité où il aurait pris le pouvoir. Plutôt que de saisir l'opportunité d'occuper le poste le plus puissant au niveau de la législation environnementale au Canada, sans parler d'influence internationale, Steven Guilbeault a préféré décliner l'offre, pour des raisons personnelles, mais aussi parce qu'il croit que la cause écologique est mieux servie s'il oeuvre dans une ONG plutôt que dans un parti politique, fut-il ministre au pouvoir.

Si les gens ayant l'environnement à coeur suivent la voie tracée par Steven Guilbeault, ils seront d'emblée exclus des postes de pouvoir, les laissant à d'autres sur lesquels ils devront faire pression.

Le problème soulevé par les ONG n'est pas qu'elles canalisent une partie des gens désirant s'impliquer, mais qu'elles véhiculent l'image de l'implication politique comme étant impure. Par opposition, les gens impliqués dans les ONG seraient plus intègres, conservant la virginité de leurs principes.

Toutefois, il ne faut pas oublier que c'est en exerçant directement le pouvoir que l'on a le plus d'effet sur le cours des événements, pas en faisant pression sur ceux qui le détiennent, aussi noble et efficace soit-on.

Aujourd'hui, j'appelle Nathalie

J'ai réalisé que le bureau de Nathalie Normandeau devait prendre tous les appels téléphoniques. J'ai donc appelé et j'ai demandé, gentiment, un moratoire sur les gaz de schiste.

Pour lui demander vous aussi:

Nathalie Normandeau: 1 800 490-3511

La tomassisation

Tony Tomassi

La tomassisation est un néologisme issu du nom de l'ancien ministre Libéral de la Famille, Tony Tomassi. C'est une technique qui consiste à identifier et publiciser un prétexte afin de justifier une volte-face.

C'est cette technique que le gouvernement de Jean Charest a utilisée pour renvoyer le ministre de la Famille Tony Tomassi. Soupçonné d'avoir participé à un réseau de corruption permettant d'accorder des permis de garderie à des contributeurs du parti Libéral du Québec (PLQ), Tomassi a été renvoyé sous prétexte qu'il avait eu en sa possession la carte de crédit de son ancien employeur alors qu'il occupait son poste de ministre.

La gravité de cette accusation, par rapport à celle de corruption, était minime. Mais, si la direction du PLQ voulait se débarrasser de Tony Tomassi, il fallait un prétexte. Comme il s'agissait d'une volte-face, le PLQ avait jusqu'ici appuyé le ministre face aux attaques de l'opposition, il fallait invoquer une nouvelle information qui n'était pas reliée aux attaques concernant les garderies. Aussitôt qu'une autre histoire a fait surface, la fameuse carte de crédit, la direction du PLQ s'est indignée et a déchu Tony Tomassi, et du cabinet des ministres, et du parti Libéral. Personne n'y croit vraiment, mais quelques mois plus tard, c'est la raison qui est retenue pour son départ. Mission de communication réussi.

La technique de la tomassisation permet de changer d'idée et de pouvoir garder la tête haute, puisque c'est un nouvel élément qui influence le jugement, pas la réflexion, la prise de conscience ou la pression publique.

La ministre des Ressources naturelles du Québec, Nathalie Normandeau, doit en ce moment être en train de réfléchir à un moyen d'utiliser la technique de la tomassisation pour les gaz de schiste. Peut-être que son lit est fait sur la question, mais comme toute bonne politicienne, elle doit penser à un moyen de conserver une marge de manoeuvre dans ce dossier.

Peu importe l'imposition ou non d'un moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste, la nouvelle dauphine de Jean Charest aura un coût politique à payer dans ce dossier. Soit elle persiste et se met la population contre elle, on ne touche pas impunément à l'eau au Québec, soit elle fait volte-face et montre ainsi un manque de caractère.

La meilleure façon de s'en sortir? La tomassisation. Une opportunité a été manquée lorsqu'une nouvelle étude a démontré que l'exploitation des gaz de schiste pouvait compromettre le bilan d'émission des gaz à effet de serre (GES) du Québec. Madame Normandeau aurait ainsi pu changer d'idée, non pas parce que la nappe phréatique est en danger, non sous la pression de la population, mais parce que le dépassement du plafond d'émission de GES coûtera éventuellement cher au Québec lorsque sera mis en place la bourse du carbone.

Le PLQ invoque des raisons économiques pour justifier son aveuglement pour exploiter les gaz de schiste, il peut aussi invoquer une raison économique pour changer d'idée. Il faut simplement que cette volte-face soit sur la base d'une nouvelle information, aussi faible soit-elle. Le département des communications s'occupera du reste.

HDLC dans Le Devoir (3)

J'ai envoyé le texte du billet sur L’impératif d’un moratoire sur les gaz de schiste au courrier au lecteur du Devoir.

Il a été publié dans la section lettre de l'édition du 2 septembre 2010.

L'impératif d'un moratoire sur les gaz de schiste

Les corporations gazières s'en viennent. Elles ont de l'argent et une stratégie éprouvée aux États-Unis. Elles ont enrôlé des lobbyistes québécois. À leur tête, le héros du verglas. Elles sont prêtes.

Objectif: extraire les gaz de schiste du sous-sol québécois en évitant toute embûche juridique ou réglementaire. Au coeur de la stratégie: la rapidité.

Les conséquences de cette extraction sur l'environnement ne sont pas mals connues, telles qu'elles le prétendent et que répètent les ministres concernés du gouvernement du Québec. Elles sont inconnues.

Et ce n'est pas un hasard ou faute de temps si elles sont inconnues. C'est grâce à un copinage avec l'administration américaine dans les années 2000, qui mena à un blocage systématique des études sur les impacts de l'exploitation des gaz de schiste.

Lorsque cette exploitation a démarré aux États-Unis, les citoyens ont été laissés à eux-mêmes. L'État étant de pair avec les corporations, la population s'est retrouvée avec des moyens financiers et juridiques dérisoires pour se défendre. C'est à eux de prouver, à la pièce, que l'eau et l'air de leur milieu se sont dégradées, souvent jusqu'à les intoxiquer, suite à l'exploitation d'un puits de gaz de schiste dans leur cour arrière. Même dans l'éventualité où un combat juridique et scientifique contre ces corporations puisse être gagné, il ne peut l'être qu'un puits à la fois. Une bataille peut théoriquement être remportée, mais la guerre est perdue d'avance. Les corporations gazières le savent, leur stratégie a été élaborée à cette fin.

C'est cette complaisance et cette ignorance qu'on tente d'importer au nord des frontières américaines, chez nous.

Contre l'organisation des corporations, la population a aussi sa propre organisation. Fruit d'une longue évolution et d'un consensus historique, elle est toute puissante en ce domaine. Elle a pour rôle la protection du bien commun, notamment de l'environnement. Il s'agit de l'État.

Les corporations ont peur du pouvoir de réglementation qu'a le gouvernement. Elles savent qu'une fois en place, elles n'auront par la suite que peu de recours, sinon la persuasion. On assiste donc présentement à une frappe préventive des corporations gazières.

L'État québécois est le dernier rempart que possède la population pour se protéger contre l'action aux conséquences inconnues des corporations gazières. Si le gouvernement marche aveuglément main dans la main avec ceux-ci, au lieu de remplir son rôle, la population qu'elle représente se retrouvera écrasée, dispersée, avec à sa disposition des recours inefficaces.

Un moratoire sur l'exploitation des gaz de schiste doit être imposé avant qu'il ne soit trop tard. Bien sûr pour éviter d'être mis devant un fait accompli et de voir le sous-sol du Québec balafré par les puits, mais surtout parce que le gouvernement doit être aux côtés de la population, non pas contre elle.

Du désintérêt politique: médias et valeurs

Des filles et des garçons

Ce billet est le troisième de la série Du désintérêt politique. Cette série présente des hypothèses expliquant le désintérêt de la population pour la politique dans les démocraties occidentales. Vous pouvez consulter toute la série en vous rendant sur le billet d'introduction.

La concentration de la presse, à travers les acquisitions d'entreprises et la consolidation des marchés, a mené à une uniformisation du traitement de l'information. Les conglomérats qui possèdent ces médias tendent à influencer le point de vue des publications. Cette influence ne se fait pas nécessairement par un contrôle direct du contenu, mais bien par une influence globale sur la direction adoptée par les médias. En particulier, le contenu n'est pas contrôlé, mais en moyenne il s'oriente certainement vers une direction qui ne doit pas déplaire aux propriétaires.

Peut-être sous cette influence, la portion représentée par les secteurs de la finance et de l'économie occupent une place de plus en en plus importante dans les médias d'information, alors que celle réservée à la pauvreté, au chômage et aux autres problèmes sociaux tend à diminuer (source Democracy and the News).

Cette exposition tend à favoriser l'adoption des valeurs propres aux secteurs de la finance et de l'économie, comme la rentabilité à court terme et les mesures d'efficacité, comme valeurs de la société en général, puisqu'elles sont prépondérantes dans les médias. À long terme, ceci incite le lectorat à adopter ces valeurs dans leur analyse de la société et des gouvernements.

Le discours emprunté par les partis politiques doit par la suite faire la promotion de ces valeurs, puisque tel que démontré dans le billet sur la cible des partis politiques, ce sont ces valeurs qui ressortent dans les sondages d'opinion.

Dans ce contexte, les individus qui ont une vision différente des positions que devrait défendre l'État dans les orientations de la société ne se reconnaissent pas dans l'attitude adoptée par les élus et les candidats, car la place accordée à l'économie et à la réussite financière du gouvernement occupe toujours la première place dans les initiatives.

De plus, l'influence des grandes industries semble disproportionnée dans ce contexte, leurs suggestions semblent avoir une oreille attentive dans les gouvernements en place.

On peut aussi penser que la primauté de ces valeurs rapproche les grands financiers des représentants de l'État, des députés aux hauts fonctionnaires, tant au niveau idéologique que sur le terrain. Cela tend à favoriser la participation politique des représentants de ces domaines, puisqu'ils y retrouvent leurs valeurs.

Ceci fait en sorte que l'individu considère son pouvoir d'influence comme étant insignifiant auprès du gouvernement. Son opinion ne semble pas faire le poids devant la force des grandes entreprises qui ont leurs entrées directes auprès des gouvernements et qui partagent leur philosophie.

S'ensuit donc une désaffection des processus démocratiques, puisque ce sont les entreprises qui ont du pouvoir, pas les individus.

Au Québec

On ne peut bien sûr évoquer les médias au Québec sans évoquer les 2 corporations qui possèdent plus 95% de la presse écrite: Québécor et Power Corporation (via Gesca). Une société où le relais d'information entre le gouvernement et la population, chaînon essentiel dans une démocratie saine, est assuré par seulement 2 canaux a assurément une diversité de points de vue anémique.

La loi sur le déficit zéro adoptée par le gouvernement Bouchard en 1996 entre en droite ligne avec ces valeurs économiques. On peut aussi voir dans le slogan du PLQ pour les élections de 2008 l'importance accordée à ces valeurs: L'économie d'abord, Oui.

La gestion par le gouvernement québécois du récent débat sur l'exploitation des gaz de schistes tend aussi à corroborer cette explication. Cette exploitation pour le Québec est « synonyme d’enrichissement collectif et de création d’emplois », aux dires d'André Caillé, président de l’Association pétrolière et gazière du Québec. Avant même que des débats sur les impacts environnementaux aient lieu, et sans consultation de la population habitant à proximité des lieux d'exploitation, les chiffres annoncés par les sociétés qui profiteraient de ces retombées sont repris directement par les représentants de l'État semble obtenir l'aval de l'État québécois.