Ce billet est le sixième et dernier de la série Du désintérêt politique. Cette série présente des hypothèses expliquant le désintérêt de la population pour la politique dans les démocraties occidentales. Vous pouvez consulter toute la série en vous rendant sur le billet d'introduction.
Devant la montée en puissance des mégacorporations, le pouvoir de l'État sur la vie des citoyens semble diminuer. Ces corporations ont une influence accrue sur les politiques économiques, internationales et réglementaires des nations.
Devant l'étiolement du pouvoir de l'État, les citoyens optent pour un repli vers les mouvements abordant une seule problématique, plutôt que vers les partis politiques traditionnels qui semblent impuissants ou complaisants face à ces pressions. Ces mouvements, afin d'être distingués des gouvernements, sont regroupés sous un concept négatif: les organisations non gouvernementales (ONG).
Comme la majorité des ONG se concentre sur un seul enjeu (environnement, féminisme, paix, antimondialisation, etc.), il est possible aux individus de cibler une ONG agissant sur un enjeu important à leurs yeux. Il est ainsi plus aisé d'être en accord avec les positions d'une ONG, concentrée sur une seule problématique, plutôt que sur celles d'un parti politique traditionnel qui doit avoir une multitude de positions face aux enjeux touchant la société. Il est possible de magasiner ses ONG pour qu'ils correspondent à nos principes, comme on compose un bouquet de fleurs, alors que les partis politiques sont plutôt comme des boîtes de chocolats assortis; il y en aura toujours quelques-uns qui nous déplairont.
Un parallèle peut aussi être fait entre l'explosion du nombre des ONG et la société de consommation. La montée des ONG correspond en effet à la diversification des produits de consommation dans les années 70. Selon ce nouveau paradigme moussé par l'industrie de la mise en marché, l'individu se différencie par ce qu'il consomme, la diversité des produits disponibles lui permettant d'exprimer sa personnalité et d'être unique par ses choix. Il en serait de même pour les ONG, chaque personne peut choisir une cause et l'ONG qui lui correspond et s'y identifier. On lui remettra même un insigne (ruban, bracelet) pour afficher cet appui.
Certaines ONG sont actives par delà les frontières des États. De cette façon, elles ont une étendue rivalisant avec celle des mégacorporations ayant des intérêts dans plusieurs pays. Pour plusieurs enjeux, les ONG sont donc mieux adaptées que les États, dont le pouvoir ne dépasse habituellement pas ses frontières, pour faire contrepoids à ces corporations.
Ajoutons à cela que la pression médiatique à laquelle les politiciens sont soumis est plutôt absente auprès des porte-parole ou des dirigeants des ONG.
Pour toutes ces raisons, les personnes désirant s'impliquer pour influencer le fonctionnement de la société opteront souvent pour les ONG plutôt que pour un parti politique. L'effet de ces organisations est plus ciblé, plus concret et l'attention médiatique moins grande. On peut voir cette implication de façon positive: le nombre de personnes s'impliquant dans la société est toujours important, il y a simplement eu migration des partis politiques vers les ONG.
Au Québec
Il y a 40 ans, aucune ONG n'était présente dans les débats de sociétés entourant l'environnement. Pensons par exemple à la construction en 1971 des barrages sur la Grande Rivière à la baie James. Les opposants au Parti Libéral du Québec (PLQ) étaient les Cris et le Parti Québécois (qui prônait plutôt l'utilisation de l'énergie nucléaire).
D'autre part, regardons le dossier contemporain des gaz de schistes. Il y a le PLQ d'un côté, appuyé cette fois-ci par une coalition de corporations gazières. De l'autre côté, on retrouve encore le Parti Québécois mais, cette fois-ci, il est appuyé par une constellation d'ONG de défense de l'environnement (AQLPA, Nature Québec, Greenpeace, etc.).
Hier comme aujourd'hui, le secteur privé est présent aux côtés du parti au pouvoir afin de favoriser son profit. L'élément nouveau, ce sont les ONG qui tentent de leur faire contre poids avec l'opposition. Alors que les partis politiques de part et d'autre demeureront les mêmes, les ONG changeront selon les enjeux.
Au niveau de l'implication personnelle, le cas de Steven Guilbeault est révélateur. Alors qu'il était porte-parole pour Greenpeace Québec, il s'est vu offrir un château fort du Parti Libéral du Canada (PLC), alors en position de former le gouvernement. Étant donné son profil, on peut penser que le PLC lui aurait offert le poste de ministre de l'Environnement dans l'éventualité où il aurait pris le pouvoir. Plutôt que de saisir l'opportunité d'occuper le poste le plus puissant au niveau de la législation environnementale au Canada, sans parler d'influence internationale, Steven Guilbeault a préféré décliner l'offre, pour des raisons personnelles, mais aussi parce qu'il croit que la cause écologique est mieux servie s'il oeuvre dans une ONG plutôt que dans un parti politique, fut-il ministre au pouvoir.
Si les gens ayant l'environnement à coeur suivent la voie tracée par Steven Guilbeault, ils seront d'emblée exclus des postes de pouvoir, les laissant à d'autres sur lesquels ils devront faire pression.
Le problème soulevé par les ONG n'est pas qu'elles canalisent une partie des gens désirant s'impliquer, mais qu'elles véhiculent l'image de l'implication politique comme étant impure. Par opposition, les gens impliqués dans les ONG seraient plus intègres, conservant la virginité de leurs principes.
Toutefois, il ne faut pas oublier que c'est en exerçant directement le pouvoir que l'on a le plus d'effet sur le cours des événements, pas en faisant pression sur ceux qui le détiennent, aussi noble et efficace soit-on.