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Journalisme citoyen vs journalisme professionnel

Couverture du Journal de Montréal le 6 mai 2012

Fabien Deglise, journaliste au Devoir, était l'invité de l'émission de radio les Chemins de travers le dimanche 19 mai à Radio-Canada. Le thème de l'émission: « Le journalisme emporté par les réseaux sociaux ». Lors de la deuxième heure de l'émission, M. Deglise se désole de l'action des « journalistes citoyens », colportant ragots, ne vérifiant pas les informations qu'ils diffusent et cachant leurs affiliations (politiques, environnementales, commerciales, etc.). Il met ces journalistes en opposition aux journalistes professionnels, possédant une formation, vérifiant les informations et étant soumis à un code d'éthique. Comme exemple de traitement biaisé des journalistes citoyens, il prend le printemps érable, indiquant qu'à en croire son babillard Facebook et son fil Twitter, Montréal était à sang et en état de siège.

Or, les journalistes professionnels ne sont pas à l'abri des défauts du journalisme citoyen identifiés par M. Deglise. Dans un premier temps, suivre les évènements québécois du printemps érable sur LCN ou dans le Journal de Montréal, médias nourris par des journalistes professionnels, montrait ni plus ni moins un portrait semblable: Montréal était à sang et tenu en otage par les émeutiers. Le Conseil de Presse du Québec (CPQ) a d'ailleurs été particulièrement critique envers les médias traditionnels, Québécor plus que les autres, dans la couverture de ces évènements.

D'autre part, le code d'éthique auquel M. Deglise fait allusion est selon toute vraisemblance celui de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Mais à quoi sert un code professionnel s'il n'a aucun pouvoir coercitif? Et que penser de Québécor, qui refuse de reconnaître le CPQ, organe de surveillance de la presse du Québec mis sur pied pour contrebalancer la trop grande concentration des médias? Il n'a qu'à ignorer ses blâmes et ne pas couvrir ses constats dans ses propres médias, et voilà l'affaire réglée.

La concentration de la presse au Québec, comme dans beaucoup de pays dans le monde, a créé une catégorie importante de citoyens qui sont laissés pour compte dans la couverture médiatique, tant dans le traitement que dans les sujets couverts. Et c'est cela qui a favorisé l'éclosion des réseaux sociaux: une deuxième voix pour les producteurs et les consommateurs de contenus d'information, une voix « citoyenne ».

C'est ce qui explique en bonne partie la popularité de ces réseaux et c'est un sujet sur lequel M. Deglise fait malheureusement l'impasse dans son analyse. Offrir une vision manichéenne des médias sociaux ne fait pas avancer la compréhension de ce mode de communication, mais nous conforte plutôt dans l'opinion indémodable que « c'était mieux dans le temps ». Il y a certes de nouveaux problèmes créés par le journalisme citoyen, et il est important de les identifier. Mais il y a également des avantages indéniables, dont celui de donner une voix aux laissés pour compte de la couverture médiatique traditionnelle, professionnelle. Et ne serait-ce que pour cette cause unique, les médias sociaux constituent aujourd'hui une force qui peut changer le monde.

Le symbole Richard Martineau

Richard Martineau avec un nez de clown

Richard Martineau, fort probablement à son corps défendant, est le porte étandard des aversaires du printemps érable. Comment a-t-il pu en arriver là?

Richard Martineau, c'est l'omniprésence médiatique de l'opinion

Tout d'abord chroniqueur estimé dans le journal Voir, un hebdomadaire culturel indépendant, il publie aujourd'hui dans un quotidien de l'empire Québécor, le Journal de Montréal, au rythme époustouflant de 6 fois par semaine. Décupler ainsi le débit de ses opinions n'est pas sans risque, la pertinence risquant fort d'être diminuée. Pour citer Dany Laferrière, Richard Martineau n'a pas suffisamment de ressources intellectuelles pour combler toutes ces pages avec pertinence, ses textes finissant par incarner la vacuité et la superficialité de l'information en continu qui pourrit notre paysage médiatique. Il effleure tous les sujets, il a été qualifié d'omnichroniqueur dans son ancien journal, le coup de gueule demeurant son principal outil.

Richard Martineau, c'est l'opinion qui peut être achetée

En changeant de journal, l'orientation de ses opinions a convergé vers celle de son patron, comme cela a été démontré avec éloquence dans le cas des frais de scolarité. Il rétorquera à cela que ses opinions ont évolué, et nous devons lui accorder le bénéfice du doute. Mais cela n'a au fond que peu d'importance. Que ses opinions aient évolué ou non, les apparences sont contre lui, ce qui dans le paysage médiatique actuel fait de lui un chroniqueur de plus promouvant les intérêts du propriétaire de son journal.

On peut dès lors supposer que Richard Martineau a bradé son opinion pour de l'argent, l'argent d'une mégacorporation tentant d'influencer le gouvernement pour qu'il suive son idéologie.

Richard Martineau, c'est le sophisme à l'oeuvre

Ce qui a fait lever le gâteau, c'est le gazouillis concernant la belle vie des étudiants au iPhone et à la sangria sur une terrasse à Outremont. Cette affirmation est si poreuse qu'elle donna une cible parfaite au feu convergent des adversaires de la hausse. Il a trouvé son vis-à-vis: à son opinion tirée quotidiennement à plus de 200 000 exemplaires, il a eu face à lui 200 000 manifestants qui ont répondu par leurs pancartes et leurs textes.

Le capharnaüm des idées de Richard Martineau et son arsenal de sophismes ont fait ici oeuvre utile: il a poussé ses adversaires à organiser leurs idées, à reposer leur argumentation sur des faits et à les diffuser pour contrer la présence de Québécor, ce qui n'est pas une mince tâche. Ça a donné de bons textes expliquant en quoi son affirmation était un tissu de sophismes (voir ici, , et cette parodie de Wikipédia).

Richard Martineau, c'est un symbole

On l'a vu sur des affiches à la manifestation du 22 mars, il est utilisé dans les discours des chefs étudiants, on l'invite pour se justifier à TLMEP (partie 1, partie 2). Richard Martineau est maintenant l'homme, à tort ou à raison, qui incarne le raisonnement facile, l'opinion tous azimuts et le pouvoir qui utilise toutes les plateformes pour mousser les positions qui l'avantagent. Qu'il soit d'accord ou non n'a maintenant plus d'importance; Richard Martineau est un symbole qu'il a lui-même créé et qu'il nourrit quotidiennement depuis des années.

Pour toutes ces raisons, c'est une aubaine pour le Québec d'avoir une personne telle que Richard Martineau: il incarne de façon caricaturale les raccourcis intellectuels d'une certain classe dominante. Et un adversaire est d'autant plus facile à combattre lorsqu'il a un visage!

C'est pour ces raisons que Richard Martineau est maintenant un symbole. Et paradoxalement, ce symbole est surtout utile à son adversaire.