697 billets et 979 commentaires jusqu'à maintenant

Des pétitions détournées par les partis politiques

Billet originalement publié sur le Huffington Post.

Les partis politiques peuvent, légalement, utiliser les adresses courriel des signataires de pétitions électroniques afin d'envoyer des courriels non sollicités. Autrement dit, des pourriels.

C'est de cette manière que le Parti vert (PV) et le NPD on pu m'envoyer des courriels à la fin de la dernière campagne électorale canadienne. Les adresses ont été extraites, selon toute vraisemblance, des pétitions Coule pas chez nous (11 000 signataires) et Non aux sables bitumineux (90 000 signataires), qui ont été remises à tous les partis politiques au début de la campagne.

Comme j'utilise une adresse courriel unique pour signer chaque pétition, je suis en mesure de retracer la source d'une fuite lorsque je reçois un courriel non sollicité. Dans le cas de la pétition Coule pas chez nous, j'ai utilisé l'adresse « cauzio.miguel@ptaff.ca » (cauzio est le nom du site web où était hébergé la pétition) et pour celle Non aux sables bitumineux, j'ai utilisé « equiterre.miguel@ptaff.ca » car le formulaire de la pétition était hébergé sur le site web d'Équiterre.

parti_vert.png

J'ai reçu deux courriels de chacun des partis. Deux à l'adresse « cauzio.miguel@ptaff.ca » (PV et NPD), un à l'adresse « cquiterre.miguel@ptaff.ca » (PV) et quatrième à l'adresse « cquiterre.miquel@ptaff.ca » (NPD). Les pétitions ayant été remises aux partis politiques en format papier, le PV et le NPD ont dû retranscrire les adresses courriel dans un logiciel, et c'est lors de ce processus que les coquilles se sont introduites. La « e »de « equiterre » a été remplacée par un « c », et le « g » de mon prénom pour un « q ».

npd_miquel_thunderbird_crop.png

Munis de cette certitude, j'ai interpellé le Parti vert sur les réseaux sociaux. Daniel Green, lieutenant québécois du PV, s'est excusé quelques jours plus tard pour ce problable détournement d'adresses courriel par son parti politique.

excuses_daniel-green.png

J'ai également contacté Équiterre, responsable de la pétition Non aux sables bitumineux pour leur expliquer ce détournement des pétitions. Ils ont confirmé qu'ils avaient remis la pétition en format papier à tous les partis politiques du Canada, profitant de la campagne électorale pour susciter une prise de position sur cet enjeu.

Prenant le détournement des adresses courriel par le NPD et le PV au sérieux, Équiterre a consulté un avocat pour savoir s'il y avait un recours juridique, dans la mesure où le détournement d'adresses était confirmé. Il existe en effet une loi anti-pourriel au Canada interdisant l'utilisation sans consentement d'adresses courriel pour faire de la sollicitation. Mais, vérifications faites par le juriste, il existe une exception pour les partis politiques et Équiterre n'a aucun recours juridique contre une telle utilisation des informations de leurs pétitions.

L'apprentissage derrière cette découverte, c'est que les partis politiques peuvent légalement détourner toutes les adresses électroniques qui leur tombent sous la main pour faire de la sollicitation.

Conséquemment, les pétitions en ligne sont de la nourriture pour les bases de données des partis politiques sur les électeurs. En effet, ces pétitions contiennent de l'information précieuse sur les signataires: nom complet, adresse courriel, code postal, profil politique (sujet de la pétition).

Le NPD et le PV ont, dans ce cas-ci, profité du travail d'Équiterre et de la fondation Coule pas chez nous pour contacter les signataires, ceux-ci ayant été identifiés comme étant préoccupés par des enjeux environnementaux. Ces partis auraient donc conclu, à tort ou à raison, que les signataires seraient plus susceptibles de voter pour eux et leur ont envoyé un pourriel pour solliciter leur appui.

Ceci soulève des questions. Est-ce que toutes les pétitions envoyées au gouvernement, et non seulement aux partis politiques, peuvent être détournées de la sorte par les partis politiques? Jusqu'à quel point cette pratique est-elle répandue dans les partis politiques? Est-ce que les partis politiques du Québec recourent également cette pratique? Comment réagiront les auteurs, et les signataires, de pétitions électroniques?

Pistes de solution

Pour créer une pétition électronique

Au Canada, les seules pétitions admissibles sont celles en format papier qui ont « des signatures originales inscrites directement et non collées ou autrement reproduites ». Au Québec, une pétition électronique doit avoir été remplie sur le site de l'Assemblée nationale, et avoir été parrainée par un député.

Les pétitions électroniques comme celles mises sur pied par Équiterre et Coule pas chez nous ne sont donc pas reconnues officiellement. Les organisateurs sont donc sans lignes directrices légales pour présenter leurs pétitions aux partis politiques ou aux gouvernements. Cependant, ces pétitions peuvent tout de même avoir un poids politique, dans la mesure où les signataires sont reconnus comme étant de vraies personnes.

Pour établir qu'il s'agit de vrais signataires, les organisateurs des pétitions pourraient calquer les exigences des pétitions papiers reconnues par le gouvernement du Canada. Le gouvernement du Canada exige trois éléments pour qu'une signature sur une pétition format papier soit admissible: la signature manuscrite, la ville et la province du signataire. Rien d'autre: pas de nom, pas d'adresse civique.

petition_papier_gouv-ca_exemple_signature_medium.jpg

Il s'agirait alors pour les organisateurs de remplacer la signature manuscrite par l'adresse courriel des signataires.

petition_electronique_gouv-ca_medium.jpg

Cela retirerait ainsi la possibilité aux partis politiques d'assigner à un électeur les adresses courriel et leur profil politique dans leur base de données, puisqu'il n'y a pas d'information nominative pour identifier les électeurs. Les signataires pourraient toujours recevoir des pourriels des partis politiques, mais leur identité d'électeur demeurera confidentielle.

Pour les signataires de pétitions électroniques

Pour signer une pétition électronique, il faut utiliser son vrai nom et adresse, mais il y a une marge de liberté pour l'adresse courriel fournie. Il est, par exemples, possible d'utiliser un service tel que MyTrashMail.com ou, si vous disposez d'un compte sur Gmail, de personnaliser chaque adresse courriel en utilisant le caractère "+" suivi d'un alias après son nom d'usager (ex: miguel+coulepascheznous@gmail est livré à l'adresse miguel@gmail.com). Si vous optez pour cette dernière stratégie, vous serez identifiés comme électeur dans les bases de données des partis politiques et recevrez des pourriels, mais vous serez capables d'identifier d'où provient le détournement, comme j'ai pu le faire pour écrire ce billet.

Finalement, je vous invite à faire part de votre mécontement aux partis politiques qui détournent les pétitions électroniques de la sorte.

Si vous avez reçu un pourriel d'un parti politique, vous pouvez exiger de l'expéditeur qu'il vous retire de ses listes, en plus de remplir une Soumission de renseignements au Centre de notification des pourriels sur le site du gouvernement du Canada.

Avec suffisament de plaintes, peut-être le législateur comblera-t-il le trou qu'il a volontairement laissé béant?