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Les préjugés ne sont pas une fatalité

Billet originalement publié sur le Huffington Post.

Dans une lettre ouverte au Devoir, Gabriel Villeneuve affirmait plus tôt cette semaine qu'il est un «homme raciste, sexiste et homophobe». Le titre avait de quoi surprendre, surtout lorsque l'on apprend que l'auteur est lui-même homosexuel.

La réplique n'a d'ailleurs pas tardé, témoignant de l'onde de choc provoquée par la lettre ouverte de Villeneuve. Sébastien Bilodeau accuse Villeneuve de manquer de rigueur en opposant simplement les oppresseurs aux opprimés. Mathieu Bock-Côté va plus loin, qualifiant de «délirant» le texte de Villeneuve.

Or, les propos de ce dernier ne peuvent malheureusement être réduits à l'opinion; ils sont plutôt appuyés par la science. Il existe en effet un test en psychologie sociale permettant de mesurer les préférences inconscientes des individus: le test d'association implicite. Le principe de ce test est simple: devant son ordinateur, l'individu interrogé doit départager des catégories de mots ou d'images en cliquant à droite ou à gauche sur son clavier, selon la catégorie. Afin d'éliminer tout biais gaucher/droitier, l'association droite/gauche aux catégories est aléatoire pour chaque test effectué. Chacun peut expérimenter ces tests en se rendant sur le site web du ImplicitProject hébergé par l'Université Harvard.

Par exemple, pour le test portant sur la préférence raciale Blanc/Noir, il faut cliquer à gauche lorsque l'on voit apparaître à l'écran un visage noir, et à droite lorsqu'apparaît un visage blanc. Par la suite, le même exercice gauche/droite est effectué, mais avec des mots à connotation négative et positive. L'ultime épreuve consiste à afficher des visages ou des mots devant également être classés selon des associations: Blanc-positif / Noir-négatif et par la suite Blanc-négatif / Noir-positif. Le délai de réponse entre l'apparition du mot/image et notre réaction pour le classer indique notre aisance à faire des amalgames. On peut ainsi constater que parmi les centaines de milliers d'individus qui ont fait le test racial sur ProjectImplicit, les Blancs ont plus d'aisance à associer les mots positifs avec les Blancs qu'avec les Noirs.

Il y a donc là un biais de préférence qui est partagé par une grande partie de la population. Ces préjugés résultent d'une construction sociale complexe, édifiée à partir d'une exposition plus ou moins consciente à des images à forte résonance (films et médias qui associent la violence aux Noirs), de notre expérience (avoir ou non des Noirs parmi nos proches), ainsi que de plusieurs autres facteurs. Mais quelle qu'en soit la cause, le constat est le même: notre société nous transmet, souvent à notre corps défendant, des préférences basées sur la classification que l'on fait des individus.

Dans le but de mettre à l'épreuve la thèse de Villeneuve, je suis allé sur ImplicitProject.net et j'ai réalisé les tests. C'est confirmé: j'ai un préjugé positif envers les Blancs, les mâles et les hétéros. La découverte de ce biais inconscient ne me réjouit pas, mais il s'agit d'un fait et il ne me sert à rien de le nier. (Avant de me juger, allez faire les tests pour vous-mêmes.) Or, contrairement à l'auteur, je ne me taxe pas de raciste, sexiste et homophobe pour autant. Car bien que je sois soumis à des préférences inconscientes, je fais mes choix de manière consciente. Je peux analyser mes préférences et leur juxtaposer mes valeurs avant de prendre une décision, ce qui me permet d'affirmer que je ne suis ni raciste, ni sexiste, ni homophobe.

Observés dans le contexte québécois, ces tests révèlent que notre société véhicule elle aussi une notion de «normalité» créée par l'inconscient de sa majorité, et que cette normalité est masculine, blanche et hétérosexuelle. Il est dès lors contre-productif de ridiculiser les propos de Gabriel Villeneuve, comme le fait Mathieu Bock-Côté, puisqu'ils sont dans une grande mesure appuyés par la science.

MBC

Au Québec, à l'heure où les questions d'interaction avec l'Autre dans la cité prennent de plus en plus de place et sont souvent instrumentalisées par des politiciens, il est capital de prendre conscience de cette «normalité» qui est la nôtre. Elle est notamment l'héritage d'une époque où la population était plus homogène et où les différences étaient rapidement réprimées. Plutôt que de regretter avec nostalgie cette époque où tout semblait plus simple, appuyons-nous plutôt sur la science pour mettre en place un pays où chaque être humain sera considéré avec la dignité à laquelle il a droit. Voilà un projet qui me semble porteur.