L'indépendance n'est pas un match de baseball
Billet originalement publié sur le Huffington Post.
Après les deux défaites référendaires de 1980 et de 1995 sur l'avenir du Québec, la croyance qu'un troisième échec serait fatal au mouvement d'indépendance s'est imposée. Un peu comme si l'indépendance était un match de baseball, laissant seulement trois chances au frappeur pour cogner la balle du pays en lieu sûr. Depuis, cette impossibilité de perdre a tellement été dite et redite, tant par les analystes politiques que par les chefs du Parti québécois, que cette croyance s'est transformée en mythe, transmutant la peur de l'échec référendaire en pierre d'assise de la pensée indépendantiste.
En psychologie, cette peur persistante de l'échec a un nom, il s'agit de « l'atychiphobie ». L'une des principales conséquences de l'atychiphobie est la procrastination. La « gouvernance souverainiste », les « référendums d'initiatives populaires», « le référendum dans un second mandat » et la pléthore de stratégies mises de l'avant par le Parti québécois depuis 1995, y compris dans la présente course à la chefferie, entrent dans cette catégorie. Plutôt que de subir un troisième échec, la créativité indépendantiste est mise à profit pour remettre l'ultime consultation à plus tard, pour procrastiner.
Une deuxième conséquence de la peur de l'échec est qu'il mène à l'autodénigrement. À mettre dans cette catégorie les Nicolas Marceau et François Legault de ce monde, qui annoncent que le Québec est trop pauvre pour être indépendant. Ils présentent l'amélioration d'indices économiques, tels que la dette ou le taux de chômage, comme préalable à l'indépendance. Cette technique rend l'échec certain en diminuant les capacités du peuple québécois à ses propres yeux. Et comme l'échec est certain, que faire sinon l'éviter ou la repousser?
Les indépendantistes québécois doivent lutter contre cette peur de l'échec s'ils désirent un jour obtenir leur propre État. Un premier pas dans cette direction serait de réaliser que des nations beaucoup plus petites, avec moins de moyens, et dans des conditions autrement plus adverses que le Québec, ont vu le jour dans les dernières décennies.
Par exemple l'Estonie, pays 38 fois plus petit que le Québec, dont la langue officielle n'est parlée que par un million d'habitants sur la planète. Les Estoniens ont réussi à obtenir leur indépendance non pas contre une petite fédération comme le Canada, mais bien contre l'Union soviétique! Un autre exemple, la Slovénie, 80 fois plus petite que le Québec, et avec seulement deux millions de locuteurs du slovène dans le monde, a réussi à obtenir l'indépendance de la Yougoslavie. Dans ces deux cas, l'indépendance n'est pas survenue par le fruit du hasard ou par l'arrivée fortuite de « conditions gagnantes ». Ces peuples ont participé et préparé leur indépendance, leurs échecs précédents faisant partie de leur histoire.
Les indépendantistes devraient prendre conscience que cette peur de l'échec est injustifiée. Une défaite référendaire n'est pas la fin du peuple québécois, pas plus que l'invasion soviétique n'a pu éliminer le peuple estonien. Les échecs sont des occasions d'apprendre de ses erreurs afin de préparer la victoire finale. Il faut que cesse la procrastination.