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8 choses à savoir sur la loi 101

Billet originalement publié sur le blogue d'Option nationale.

La Charte de la langue française (CLF), communément appelée loi 101, célèbre cette année ses 40 ans. Outre l’affirmation du français comme langue officielle du Québec, et son rôle dans l’éducation en français pour les immigrants, on connaît peu de choses de la CLF. En expliquant 8 aspects moins bien connus de la CLF, j’espère que les Québécois seront à même de mieux connaître ce texte fondamental dans l’histoire contemporaine du Québec. Le lecteur plus curieux pourra en apprendre plus en lisant le livre d’Éric Poirier intitulé La Charte de la langue française, ce qu’il reste de la loi 101 quarante ans après son adoption.

1. La loi 101 et la Charte de la langue française (CLF) désignent la même chose

À la suite d’une élection générale, les élus sont appelés à siéger au parlement pour adopter des lois. On appelle ces périodes une session parlementaire. Lorsque débute une session parlementaire, les projets de loi sont numérotés, à partir du numéro 1 et en croissant par la suite.

La Charte de la langue française, à l’origine le premier projet de loi du gouvernement Lévesque, était donc en principe le projet de loi 1. Celui-ci mena à des auditions publiques. Comme on jugea qu’il y avait encore trop de mémoires à étudier, que les mêmes commentaires — positifs ou négatifs — revenaient toujours et considérant l’arrivée de la rentrée scolaire de septembre 1977, Camille Laurin a mis fin aux travaux abruptement et a donc été obligé de déposer un nouveau projet pour accélérer le pas : le projet de loi 101. C’est ce nouveau projet qui sera étudié article par article en commission parlementaire puis adopté en août 1977 sous le nom de « Charte de la langue française ».

2. La CLF faisait de la version française la seule version officielle des lois québécoises

Jusqu’à l’adoption de la CLF, tous les lois et règlements du Québec étaient rédigés en français et en anglais et les deux versions avaient valeur officielle. Puisque la CLF entend faire du Québec un État français, doté en conséquence d’une seule langue officielle, on décida de changer cette pratique. À partir de ce jour, seule la version française des lois québécoises eut valeur officielle.

Dès le lendemain de l’adoption de la CLF, cette clause fut contestée devant les tribunaux. Elle a été jugée inconstitutionnelle, car l’article 133 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB) de 1867 indique que :

Dans les chambres du parlement du Canada et les chambres de la législature de Québec, l’usage de la langue française ou de la langue anglaise, dans les débats, sera facultatif ; mais, dans la rédaction des registres, procès-verbaux et journaux respectifs de ces chambres, l’usage de ces deux langues sera obligatoire. En outre, dans toute plaidoirie ou pièce de procédure devant les tribunaux du Canada établis sous l’autorité de la présente loi, ou émanant de ces tribunaux, et devant les tribunaux de Québec, ou émanant de ces derniers, il pourra être fait usage de l’une ou l’autre de ces langues.

Les lois du parlement du Canada et de la législature de Québec devront être imprimées et publiées dans ces deux langues. [Nous soulignons]

C’est donc le texte qui donna naissance au Canada en 1867, dont seule la version anglaise est officielle, ironiquement, qui a préséance sur la CLF.

Avant l’adoption de la loi 101, les lois étaient adoptées en français et en anglais, mais en cas de divergence entre les deux versions, la loi 22 prévoyait la règle suivante :

Art. 2 « En cas de divergence que les règles ordinaires d’interprétation ne permettent pas de résoudre convenablement, le texte français des lois du Québec prévaut sur le texte anglais. »

Paradoxalement, la loi 22 de Bourassa allait plus loin que la loi 101 actuelle pour ce qui est du statut de la version française des lois.

3. Bien que son nom indique que ce soit une charte, la CFL est en fait une loi normale

En droit canadien, une loi peut avoir une valeur supérieure aux autres lois s’il y a un article à cet effet qui le précise. Dans ce cas, les autres lois doivent être compatibles avec la loi à laquelle on a accordé une forme de supériorité par le parlement qui l’a adoptée.

Au Québec, la Charte des droits et libertés de la personne, adoptée en 1975, a un tel statut. En effet, l’article 52 stipule que :

 Aucune disposition d’une loi, même postérieure à la Charte, ne peut déroger aux articles 1 à 38, sauf dans la mesure prévue par ces articles, à moins que cette loi n’énonce expressément que cette disposition s’applique malgré la Charte.

Bien que la CLF porte le nom de charte, elle n’est cependant pas supérieure aux autres lois puisqu’elle ne contient pas une telle clause. Elle peut donc être attaquée en vertu des lois qui disposent de cette forme de supériorité, comme l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, la Charte canadienne des droits et libertés, la Charte des droits et libertés de la personne du Québec. Ce type de contestation a été effectué à de nombreuses reprises depuis son adoption il y a 40 ans.

La CLF n’a donc pas préséance sur les autres lois du Québec : c’est une loi normale.

4. La CLF reconnaît les langues autochtones comme langues d’enseignement pour les autochtones

L’objectif de la CLF était de proposer un nouvel équilibre entre les langues tout en créant des conditions favorables au maintien et à l’enseignement des langues autochtones. Ceci prend la forme d’une mention explicite dès le 3e paragraphe du préambule de la CLF qui indique que :

L’Assemblée nationale reconnaît aux Amérindiens et aux Inuit du Québec, descendants des premiers habitants du pays, le droit qu’ils ont de maintenir et de développer leur langue et culture d’origine.

Les langues autochtones sont de plus reconnues comme langues d’enseignement dans l’article 87 :

Article 87 : Rien dans la présente loi n’empêche l’usage d’une langue amérindienne dans l’enseignement dispensé aux Amérindiens ou de l’inuktitut dans l’enseignement dispensé aux Inuit.

5. Toute personne qui communique avec une entreprise exerçant au Québec a le droit d’être servie en français

Il devrait être possible de mener sa vie complète en français au Québec, si on exclut les emplois qui nécessitent la maîtrise d’autres langues.

Deux articles expriment ce droit. Tout d’abord l’article 2 qui encadre les relations des citoyens avec l’État :

Toute personne a le droit que communiquent en français avec elle l’Administration, les services de santé et les services sociaux, les entreprises d’utilité publique, les ordres professionnels, les associations de salariés et les diverses entreprises exerçant au Québec.

Dans un deuxième temps, les autres services offerts au Québec, notamment par le serveur privé, sont encadrés par l’article 5 qui stipule que :

Les consommateurs de biens ou de services ont le droit d’être informés et servis en français.

Au Québec, notre argent peut être unilingue français. C’est un droit protégé par la CLF.

6. La majorité des jugements défavorables à la loi 101 ont été rendus par des tribunaux québécois, ceux dont les juges sont nommés par le pouvoir fédéral

La majorité des jugements qui ont porté sur la CLF n’étaient pas des jugements où l’enjeu était la constitutionnalité de la loi, mais plutôt où il était question de l’interprétation de l’une ou l’autre de ses dispositions. La Cour suprême du Canada s’est prononcée quant à elle sur la constitutionnalité de la CLF une dizaine de fois depuis son adoption en 1977. Quant à eux, les tribunaux québécois les plus importants hiérarchiquement (la Cour supérieure et la Cour d’appel) ont été appelés à l’interpréter à 27 reprises. 78 % du temps (21 fois sur 27), entre deux interprétations possibles, ces jugements ont retenu une interprétation restrictive de la CLF, donc défavorable au français.

En mars 1984, par exemple, la Cour d’appel du Québec interprétait que l’article 41 de la CLF :

L’employeur rédige dans la langue officielle les communications qu’il adresse à son personnel. Il rédige et publie en français les offres d’emploi ou de promotion.

ne s’appliquait que lorsque le travailleur « exigeait » d’avoir ses communications en français, et « manifestait l’intention d’exercer activement ce droit ». Par cette interprétation, qui faisait dès lors jurisprudence, la Cour transforma une obligation applicable généralement aux relations entre un employeur et un travailleur en option devant être revendiquée activement par chaque employé, individuellement.

7. La CLF garantit l’enseignement primaire et secondaire en langue anglaise pour les membres de la communauté anglo-canadienne

La publication originale de la CLF visait à protéger les membres de la communauté anglo-québécoise en leur permettant d’envoyer leurs enfants dans le système public québécois de langue anglaise.
L’article 73 a) du texte de 1977 spécifiait en effet que :

73. Par dérogation à l’article 72, peuvent recevoir l’enseignement en anglais, à la demande de leur père et de leur mère,
a) les enfants dont le père ou la mère a reçu au Québec, l’enseignement primaire en anglais,

On voit que dans cette clause, le Québec se percevait comme une nation contrôlant ses frontières et adoptait un texte qui prévoyait la protection d’une minorité vivant sur son territoire, c’est-à-dire au Québec.

En 1982, cinq ans après l’adoption de la CLF, le Canada rapatrie sa constitution, ajoutant dans celle-ci des textes qui ont préséance sur ceux du Québec, dont la Charte canadienne des droits et libertés. Dans cette charte, l’article 23 vise explicitement à restreindre l’application de la CLF :

Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

On parle dès lors de la « clause Québec » pour le texte original qui s’oppose à la « clause Canada » qui réfère à la Charte des droits et libertés.

Après un jugement de la Cour suprême déclarant la « Clause Québec » inconstitutionnelle, l’article est modifié par le parlement du Québec en 1993, afin de se soumettre au texte canadien. Il se lit aujourd’hui :

73. Peuvent recevoir l’enseignement en anglais, à la demande de l’un de leurs parents :
1° les enfants dont le père ou la mère est citoyen canadien et a reçu un enseignement primaire en anglais au Canada, pourvu que cet enseignement constitue la majeure partie de l’enseignement primaire reçu au Canada ;

8. La CLF est une loi protégeant l’identité québécoise

Au courant des années 1960, la société québécoise a connu une période de profondes transformations que l’on a surnommée « Révolution tranquille », visant à rompre avec de nombreuses traditions et institutions canadiennes-françaises afin de créer une nouvelle identité nationale québécoise. La langue était dans ce contexte un aspect majeur de cette nouvelle identité.

En raison des conflits politico-linguistiques de la fin des années 60 et 70 (lois 85, 63 et 22, commissions Laurendeau-Dunton et Gendron) au Canada et au Québec, le gouvernement péquiste de René Lévesque a fait adopter la CLF en 1977. Un des objectifs était d’affirmer le fait français au Québec, d’assurer que la langue française ne soit pas seulement un caprice folklorique, mais qu’elle soit la langue du travail, du commerce et des affaires ; bref, la langue du pouvoir. Cela permettrait d’arrêter la minorisation des francophones et de s’assurer que la langue française (plutôt qu’anglaise) reste la langue commune à tous les Québécois.

C’est pour cette raison que la première phrase de la CLF, qui est demeurée intouchée depuis 1977, est :

Langue distinctive d’un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d’exprimer son identité.

Les lois du Québec protégées comme un roman

Billet originalement publié sur le Huffington Post.

Une association de locataires se trouverait dans l'illégalité si elle envoyait une copie de la loi sur le bâtiment à ses membres. Dans le même esprit, un auteur dont le livre porterait sur une loi ne pourrait pas inclure celle-ci dans son ouvrage. Il est en effet illégal de copier et de redistribuer une loi du gouvernement du Québec. En d'autres mots, les textes de loi du Québec sont protégés de la même façon qu'un roman de Michel Tremblay.

Pour recopier et distribuer une loi du Québec, il faut obtenir la permission écrite du gouvernement du Québec. Cette permission sera accordée, au cas par cas, moyennant certains frais et le respect des contraintes.

J'ai découvert cela en travaillant sur l'historique du texte de la Charte de la langue française (CLF). En 2015, je désirais en effet créer un dépôt incluant toutes les versions de la CLF, pour qu'il soit possible de comparer l'évolution historique du texte de loi en juxtaposant n'importe quelle version côte à côte. Il n'existait à ce moment aucun outil permettant de le faire et, comme cette loi est fondamentale pour l'histoire et l'identité québécoise, je désirais donner un tel outil aux Québécois (Note : le site LégisQuébec a été lancé pendant les 15 mois qu'ont duré mes échanges avec le gouvernement visant à libérer les lois du Québec. Bien que ce site présente certaines fonctionnalités que je désirais mettre en ligne, il ne les contient pas toutes, sans compter que toute reproduction est interdite).

Exemple comparaison loi
Modifications de l'Article 58 de la CLF

Après plusieurs centaines d'heures de travail à recréer les versions des lois (il y a près d'une quarantaine de versions) en me basant sur la Gazette officielle du Québec, j'ai contacté les responsables du droit d'auteur du gouvernement du Québec pour connaître les conditions sous lesquelles il serait possible de mettre en ligne les versions de la CLF, afin que tous les internautes aient la liberté de :

  • lire toutes les versions de la loi ;
  • de copier toutes les versions de la loi ;
  • d'étudier toutes les versions de la loi ;
  • d'analyser, d'extraire et de redistribuer toutes les versions de la loi.

On m'informa que les frais reliés à cette demande s'élevaient à 450,00 $ plus taxes (50 $ par tranche de cinq ans, pour la période de 1977 à 2022). Je devrais aussi mentionner qu'il ne s'agissait pas d'une version officielle de la loi et que celle-ci est disponible sur le site Web des Publications du Québec. Les deux conditions me semblèrent sensées, mais les coûts, excessifs. En outre, les conditions de redistribution sont aussi strictes que celles du gouvernement du Québec : il est impossible d'étudier les différentes versions pour en faire des publications ou encore pour illustrer un aspect particulier des modifications de la CLF.

À la réception de ces conditions, j'étais outré. Il me fallait payer pour publier les versions d'une loi de mon gouvernement, financé par mes impôts (ainsi que ceux de mes parents et de mes grands-parents) et régissant notre environnement linguistique. Et ceci est vrai pour tous les lois et règlements du Québec ! Comment peut-on étudier et comprendre le contexte légal qui nous régit si on doit d'abord obtenir l'approbation du gouvernement, et par la suite payer pour l'étudier !?

Afin de pallier cette absurdité, le gouvernement du Canada a de son côté émis un décret en 1997 où il est notamment écrit qu'Attendu que, pour une société démocratique, il est d'une importance fondamentale que les textes constituant son droit soient largement diffusés et que ses citoyens y aient libre accès ; […]:

Toute personne peut, sans frais ni demande d'autorisation, reproduire les textes législatifs fédéraux, ainsi que leur codification, les dispositifs et motifs des décisions des tribunaux judiciaires et administratifs de constitution fédérale, pourvu que soient prises les précautions voulues pour que les reproductions soient exactes et ne soient pas présentées comme version officielle.

Vingt ans plus tard, le gouvernement du Québec n'a toujours pas conclu que l'accès aux lois est d'une importance fondamentale dans une société démocratique.

Pensant que c'était simplement par ignorance que le gouvernement du Québec agissait ainsi, j'ai contacté le bureau du ministre responsable de la Protection et de la Promotion de la langue française (Luc Fortin) pour lui expliquer la situation. Son ministère a confirmé que le droit d'auteur s'appliquait dans sa pleine puissance pour les lois du Québec et qu'il ne pouvait rien y faire. Comme je refusais de croire que le gouvernement du Québec restreignait consciemment l'accès aux lois, j'ai persévéré et contacté la ministre responsable de l'Accès à l'information et de la Réforme des institutions démocratiques (Rita de Santis). Dans une réponse invoquant la répartition des pouvoirs de la loi constitutionnelle de 1867 (!), son bureau a également confirmé que le gouvernement du Québec a le droit de contrôler ses textes de loi comme il le fait, ce que je n'avais d'ailleurs jamais mis en doute.

Cependant, le bureau de Mme de Santis a également indiqué que le Centre de services partagés du Québec, qui est responsable des droits d'auteur du gouvernement du Québec, conjointement avec le ministère de la Culture et des Communications et le Secrétariat du Conseil du trésor, effectuait présentement des travaux de révision des Normes en matière d'acquisition, d'utilisation et de gestion de droits d'auteur des documents détenus par le gouvernement, les ministères et les organismes publics désignés par le gouvernement. Ces normes, qui m'empêchent de partager l'historique de la CLF avec mes concitoyens, devraient donc être revues au cours de la prochaine année financière.

Mais de quelle manière ces normes seront-elles revues ? Est-ce que le gouvernement du Québec suivra le gouvernement du Canada, pour qui le libre accès aux lois fait partie d'une société démocratique, et laissera les citoyens accéder et étudier librement les textes de loi ? Ou optera-t-il pour une version édulcorée de leur présent contrôle, par exemple en laissant tomber les frais, mais en exigeant l'obtention d'une permission du gouvernement ?

D'ici là, et nonobstant les grands discours du gouvernement du Québec sur le gouvernement ouvert et transparent, les versions de la CLF sont légalement contraintes à demeurer sur mon ordinateur.