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Ent'deux joints tu pourrais écrire un billet

Extrait de la biographie de Pierre Bourgault:

Guillement français, ouverture

Un jour, le texte d'une chanson lui vient presque d'un seul trait: « Ent' deux joints tu pourrais faire queq'chose/ Ent' deux joints tu pourrais t'grouiller l'cul ». Cette chanson, baptisée tout naturellement Ent' deux joints, sera sa plus célèbre.
« Il l'a écrite devant moi très vite, en moins de 30 minutes », se souvient Steve Fiset. Bourgault veut tout de suite la donner à Robert Charlebois. Afin de la lui présenter, il organise chez lui un repas auquel prend aussi part Geneviève Bujold, toujours belle, énergique, intelligente et tranchante.
La rencontre ce soir-là est très vive, se rappelle Robert Charlebois.

Ça avait été vraiment bien arrosé et bien « jointé » aussi. Bourgault m'avait alos montré Ent' deux joints. Je pense qu'il n'y avait pas encore de refrain. C'est moi qui avais trouvé le « grouille, grouille, grouille-toi l'cul ». Ce n'était pas monté comme une chanson. Mais je n'ai fait au fond que le montage et la musique. Tout était là! Je crois qu'il en a été fier toute sa vie. Bourgault était convaincu, dès le départ, qu'il avait quelque chose d'extraordinaire pour moi. Et c'est devenu en effet un très gros hit. Le lendemain de notre rencontre, la chanson était terminée.

La chanson dépeint tout à la fois une situation historique et ses conséquences, selon la perspective anticolonialiste de Bourgault, avec une remarquable économie de moyens. Le refrain est scandé comme un appel à l'action, urgente, nécessaire, alors que le coeur de la chanson s'applique à projeter des instantanés de la condition québécoise.

Ta soeur est aux États ton frère est au Mexique
Y font d'l'argent là-bas pendant qu'tu chômes icitte
T'es né pour un p'tit pain c'est ce que ton père t'as dit
Chez les Américains c'pas ça qu't'aurais appris

Y t'reste un bout' à faire faut qu't'apprennes à marcher
Si tu fais comme ton père tu vas t'faire fourrer
Ah j’sais qu't'es en hostie pis qu't'en as jusque là
Mais tu peux changer ça vite ça presse en maudit
Ent'deux joints tu pourrais faire qu'qu'chose
Ent'deux joints tu pourrais t'grouiller l'cul

T'as un gouvernement qui t'vole à tour de bras
Blâme pas l'gouvernement mais débarasse-toé z'en
Couche-toé pas comme un chien pis sens-toé pas coupable
Moé j'te dis qu't'es capable c'pays-là t'appartient

[…]

T'a pas besoin d'crier t'a juste à te t'nir debout
Ça sert à rien d'brailler mais faut qu't'ailles jusqu'au bout
T'a rien à perdre vois-tu parc'qu'ici au Québec
Tout commence par un Q pis fini par un bec
Ent'deux joints tu pourrais faire qu'qu'chose
Ent'deux joints tu pourrais t'grouiller l'cul

Cette chanson, en un sens, peut aussi être vue, comme d'autres qu'il a écrites, telle une synthèse de sa propre vie : les joints, les déceptions nombreuses, une famille vivant en bonne partie aux États-Unis, les difficultés économiques, la rage au ventre transmuée en force d'action, avec au final la joie que procure une histoire de cul confondue avec le bonheur lui-même. Tout l'homme est dans cette chanson, autant que son peuple lui-même.

Guillement français, fermeture

Source: Bourgault, Jean-François Nadeau, Lux, 2007, 610 pages, ISBN : 978-2-89596-051-5, pp. 366-368.

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