Du désintérêt politique: médias et valeurs
Ce billet est le troisième de la série Du désintérêt politique. Cette série présente des hypothèses expliquant le désintérêt de la population pour la politique dans les démocraties occidentales. Vous pouvez consulter toute la série en vous rendant sur le billet d'introduction.
La concentration de la presse, à travers les acquisitions d'entreprises et la consolidation des marchés, a mené à une uniformisation du traitement de l'information. Les conglomérats qui possèdent ces médias tendent à influencer le point de vue des publications. Cette influence ne se fait pas nécessairement par un contrôle direct du contenu, mais bien par une influence globale sur la direction adoptée par les médias. En particulier, le contenu n'est pas contrôlé, mais en moyenne il s'oriente certainement vers une direction qui ne doit pas déplaire aux propriétaires.
Peut-être sous cette influence, la portion représentée par les secteurs de la finance et de l'économie occupent une place de plus en en plus importante dans les médias d'information, alors que celle réservée à la pauvreté, au chômage et aux autres problèmes sociaux tend à diminuer (source Democracy and the News).
Cette exposition tend à favoriser l'adoption des valeurs propres aux secteurs de la finance et de l'économie, comme la rentabilité à court terme et les mesures d'efficacité, comme valeurs de la société en général, puisqu'elles sont prépondérantes dans les médias. À long terme, ceci incite le lectorat à adopter ces valeurs dans leur analyse de la société et des gouvernements.
Le discours emprunté par les partis politiques doit par la suite faire la promotion de ces valeurs, puisque tel que démontré dans le billet sur la cible des partis politiques, ce sont ces valeurs qui ressortent dans les sondages d'opinion.
Dans ce contexte, les individus qui ont une vision différente des positions que devrait défendre l'État dans les orientations de la société ne se reconnaissent pas dans l'attitude adoptée par les élus et les candidats, car la place accordée à l'économie et à la réussite financière du gouvernement occupe toujours la première place dans les initiatives.
De plus, l'influence des grandes industries semble disproportionnée dans ce contexte, leurs suggestions semblent avoir une oreille attentive dans les gouvernements en place.
On peut aussi penser que la primauté de ces valeurs rapproche les grands financiers des représentants de l'État, des députés aux hauts fonctionnaires, tant au niveau idéologique que sur le terrain. Cela tend à favoriser la participation politique des représentants de ces domaines, puisqu'ils y retrouvent leurs valeurs.
Ceci fait en sorte que l'individu considère son pouvoir d'influence comme étant insignifiant auprès du gouvernement. Son opinion ne semble pas faire le poids devant la force des grandes entreprises qui ont leurs entrées directes auprès des gouvernements et qui partagent leur philosophie.
S'ensuit donc une désaffection des processus démocratiques, puisque ce sont les entreprises qui ont du pouvoir, pas les individus.
Au Québec
On ne peut bien sûr évoquer les médias au Québec sans évoquer les 2 corporations qui possèdent plus 95% de la presse écrite: Québécor et Power Corporation (via Gesca). Une société où le relais d'information entre le gouvernement et la population, chaînon essentiel dans une démocratie saine, est assuré par seulement 2 canaux a assurément une diversité de points de vue anémique.
La loi sur le déficit zéro adoptée par le gouvernement Bouchard en 1996 entre en droite ligne avec ces valeurs économiques. On peut aussi voir dans le slogan du PLQ pour les élections de 2008 l'importance accordée à ces valeurs: L'économie d'abord, Oui.
La gestion par le gouvernement québécois du récent débat sur l'exploitation des gaz de schistes tend aussi à corroborer cette explication. Cette exploitation pour le Québec est « synonyme d’enrichissement collectif et de création d’emplois », aux dires d'André Caillé, président de l’Association pétrolière et gazière du Québec. Avant même que des débats sur les impacts environnementaux aient lieu, et sans consultation de la population habitant à proximité des lieux d'exploitation, les chiffres annoncés par les sociétés qui profiteraient de ces retombées sont repris directement par les représentants de l'État semble obtenir l'aval de l'État québécois.