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La différence entre les caissières saoudiennes et québécoises

Billet originalement publié sur le Huffington Post.

L'Arabie saoudite n'est pas reconnue pour les droits accordés à ses citoyennes. Et pourtant, il y a une condition de travail accordée aux caissières saoudiennes qui est refusée aux Québécoises : le droit de s'asseoir.

Quiconque a voyagé en dehors de l'Amérique du Nord a réalisé qu'il n'y a que sur notre continent que les caissières travaillent debout. Partout ailleurs, en Europe, en Afrique et en Asie, les caissières travaillent assises. Plus précisément, elles ont le droit de s'asseoir.

Comment se fait-il qu'au Québec, où l'on se targue d'être si avancé pour les droits des femmes, celles-ci doivent toujours être debout? Ce n'est pourtant pas faute d'avoir une protection juridique. L'article 170 du Règlement sur la santé et la sécurité au travail stipule que « [d]es chaises ou des bancs doivent être mis à la disposition des travailleurs lorsque la nature de leur travail le permet ». En 1989, une caissière de supermarché de la Côte-Nord, souffrant de maux de dos, a réclamé le droit d'être assise en vertu de ce règlement. Appuyée par son syndicat, et malgré l'opposition de son employeur, elle a eu gain de cause. Comment se fait-il que, 28 ans plus tard, la CSST n'ait pas exigé des sièges pour les caissières ?

La station assise des caissières cause des problèmes de santé qui apparaissent à long terme et dont la relation avec le travail ne peut être aisément établie.

La CSST, aujourd'hui appelée CNESST (Commission des normes, de l'équité, de la santé et de la sécurité du travail), agit en tant que compagnie d'assurance pour les accidents de travail. Elle se concentre donc sur les accidents qui sont clairement liés aux conditions de travail. La station assise des caissières cause des problèmes de santé qui apparaissent à long terme et dont la relation avec le travail ne peut être aisément établie. À l'évidence, on peut constater que le sort des caissières québécoises, qui doivent rester debout tout au long de leur quart de travail, n'a pas suscité suffisamment de sympathie pour mener à une législation.

Quelles sont les raisons principalement invoquées pour leur refuser un siège ?

  1. Elles doivent se montrer travaillantes ;
  2. elles doivent pouvoir se déplacer au besoin ;
  3. l'aménagement du poste ne permet pas de s'asseoir.

Ces arguments trouvent facilement réponse. Tout d'abord, être assis est-il synonyme de paresse ? Ceux qui travaillent principalement assis : universitaires, commis de bureau, chauffeurs d'autobus, gestionnaires de tous secteurs confondus, dirigeants de grandes compagnies, et j'en passe, ne donnent pas l'impression d'être « paresseux ». Pourquoi serait-ce différent pour les caissières ?

Pour remédier à la nécessité de se déplacer, il est envisageable d'aménager les postes de travail afin que les caissières puissent atteindre des objets lorsque nécessaire. En fait, l'idéal serait d'offrir un siège qui permette aux travailleuses de s'asseoir et non de forcer celles-ci à s'asseoir.

Pour ce qui est de l'aménagement des postes de travail, nous pouvons bien sûr arguer qu'il serait dispendieux de forcer les propriétaires de commerce employant des caissières à changer l'aménagement de leur commerce du jour au lendemain. Il serait toutefois possible d'user d'une clause grand-père : seules les nouvelles épiceries, ainsi que les épiceries procédant à des rénovations majeures, seraient obligées de construire des postes permettant de s'asseoir. La transition se ferait assez rapidement, d'une part parce que le secteur des épiceries est très actif (votre épicerie, tout comme la mienne, a probablement été construite dans les 25 dernières années et rappelons que le premier jugement en la matière date d'il y a 25 ans), et d'autre part parce que la mobilité de la main-d'œuvre dans ce secteur pousserait les employeurs à égaliser les conditions de travail vers le haut, c'est-à-dire à permettre aux caissières de s'asseoir. Avec un tel règlement, on verrait les conditions de travail de ces femmes s'améliorer, année après année.

Les partis politiques, qui semblent s'inquiéter grandement du bien-être et de la liberté des Québécoises, peuvent donc dès à présent faire preuve de bienveillance à l'endroit des Québécoises et adopter un règlement intégrant, petit à petit, les sièges dans les postes des caissières. Cela aurait un effet non seulement dans les grands centres urbains, mais également pour des milliers de travailleuses, pour la plupart à faible revenu, et sur tout le territoire : de Gaspé à Rouyn, de Sept-Îles à Mégantic. Voilà une mesure qui améliorerait concrètement le sort de milliers de femmes.

Pour en apprendre plus, voir « Les souffrances invisibles », de Karen Messing.