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L’anthropocène contre l’histoire

Billet originalement publié sur Facebook. Vous pouvez consulter la série de mes critiques de livre en suivant l'étiquette Critique sur ce blogue.

Anthropocène contre l

Ça fait un petit bout que je ne lis plus d'ouvrages sur les mesures et observations des changements climatiques (CC), sauf peut-être lorsque ça concerne spécifiquement le Québec. D’une part, je n’ai pas besoin de nouvelle information pour être convaincu des CC et, d’autre part, c’est une lecture qui me déprime.

Je me concentre plutôt sur les causes sociales, humaines, qui peuvent permettre de changer le cours des choses. « L’anthropocène contre l’histoire » entre dans cette définition. Il se concentre essentiellement sur une analyse du passé pour comprendre comment nous en sommes venus, collectivement, à une telle utilisation des combustibles fossiles. Il s’agit ici d’une analyse marxiste, où on comprend la dynamique de la révolution industrielle à la lumière de la lutte des classes.


La popularisation de la machine à vapeur s’est répandue 40 ans après le dépôt du brevet par James Watt (1769). Ce n’est donc pas la technologie seule qui a été révolutionnaire, mais bien le contexte social qui a suscité sa monté en popularité en Angleterre au XIXe siècle, pour se répandre dans le monde par la suite.

Au moment de l’invention de la machine à vapeur, les usines de coton anglaises utilisent la force hydraulique pour actionner la machinerie nécessaire au filage. Les usines sont situées sur le bord des rivières, et des villages sont construits tout près pour héberger les ouvriers, à l’image des villes minières comme Schefferville.

L’énergie hydraulique est moins couteuse que celle produite par le charbon. Cependant, les usines sont soumises aux aléas du flux des rivières qui peut, dans une certaine mesure être régularisé, mais ce sont des travaux onéreux.

L’éloignement de la main d’œuvre des rivières, combiné à la fluctuation de l’énergie hydraulique, favorise l’essor de la machine à vapeur. En effet, comme le charbon peut être déplacé facilement, il est possible de l’amener en ville où se trouve une main d’œuvre abondante. Les usines seront donc construites non pas où se trouve l’énergie, la rivière, mais là où se trouve les ouvriers.

Ce problème est d’ailleurs encore présent aujourd’hui : les énergies renouvelables ne peuvent pas être déplacées. Elles ne peuvent suivre les populations et se déplacer au gré du capital. On vit encore ce déplacement des usines vers les endroits où la main d'œuvre est économique, comme en Chine présentement.

Autre avantage de la machine à vapeur actionnée par la combustion du charbon : la régularité. En effet, la machine à vapeur fournit de l’énergie à la demande. Il est dès lors possible d’actionner la machine à vapeur en continue, et d’exploiter la main d’œuvre non pas selon le débit de la rivière, mais bien selon la quantité de charbon fournit à la machine à vapeur.
Ce sont ces deux conditions réunies qui ont favorisé, à partir de 1820, l’essor de la machine à vapeur dans les villes d’Angleterre, même si l’énergie hydraulique était, au final, moins dispendieuse. C’est d’ailleurs vers cette époque que la quantité d'énergie fournie par le charbon dépasse ce que l'île aurait pu fournir par les moyens traditionnels (bois, vent, hydraulique). En d’autres mots, le capital a besoin des combustibles fossiles pour continuer à s’accroître, car l’énergie fournie par la nature lui est insuffisante.

Afin de profiter de ce combustible, le capital se déplace vers la main d’œuvre. Il s’agit ici du fait d’une classe sociale particulière, les riches propriétaires Anglais de l’époque, qui profite de la combustion du charbon, et non le fait de tous les humains en Angletterre et encore moins de par le monde.

La route du charbon s’exportera par la suite en suivant la route de l'Empire, la vapeur remplaçant le vent pour déplacer les bateaux. Dès lors, des réserves de charbon seront nécessaires afin de ravitailler les bateaux de la marine anglaise. Des explorations seront effectuées un peu partout sur la planète, afin de trouver des réserves exploitables. Les populations vivant près des gisements découverts étaient la plupart du temps au fait de son existence, et de la possibilité de l’utiliser comme combustible, mais préféraient utiliser des matières comme le bois comme combustible. Ces communautés étaient souvent traditionnelles, et les Anglais tentent de les transformer afin de pouvoir ouvrir des mines et avoir des ouvriers disponibles. Très souvent, ces personnes sont plus ou moins intéressées à devenir mineur de charbon, un métier très difficile et, selon les conditions d'exploitation anglaises du XIXe siècle, peu rémunérateur.

La conquête du charbon, le premier combustible fossile, suivra ainsi la route anglaise, et se popularisera dans les pays de l’Empire, notamment en Inde, en raison du flux constant que permet sont exploitation. Cela permet les conquêtes militaires par bateaux à vapeur, on encore le déplacement rapide de troupes sur le territoire (prélude aux massacres de la première mondiale qui n’auraient pu avoir lieu sans le chemin de fer pour bouger rapidement les troupes conscrites à la frontière).
On a ainsi les éléments en main pour comprendre la thèse de l’auteur. L’anthropocène étant défini comme une ère géologique où ce sont les humains qui ont transformé la planète, il s’y oppose en indiquant que cela n’a rien à voir avec les humains au sens large, mais bien à une petite frange de ceux-ci, animée par l’accumulation du capital.

C’est en cela que l’anthropocène serait en lutte contre l’histoire, cette dernière indiquant que ce sont les capitalistes qui ont créé, et bénéficié, des combustibles fossiles. Les combustibles fossiles sont un condensé des rapports inégalitaires. Aucun humain ne s'est lancé dans son exploitation pour satisfaire besoin vital. Il nécessite le salariat.

Il avance deux faits qui appuient la thèse de l’élite ayant causée la majeure partie des CC, plutôt que l’espèce dans son ensemble :
Un dixième de l'espèce contribue à la moitié des émissions issue de la consommation. Le 1% le plus riche de la planète a une empreinte écologique 175 fois plus grande que 10% le plus pauvre (p. 59-60)
73% des émissions cumulées entre 1751 et 2010 sont le fait de 90 entreprises (p. 171)

L’auteur explore ensuite le lien entre les révolutions et le climat. On y trouve l’exemple Ottoman du XVIIe siècle et de la Syrie contemporaine. La région qui est la plus vulnérable face aux CC est le Moyen-Orient. Cette région vivant déjà une situation géopolitique pour le moins complexe, on peut penser que les prochaines décennies y seront très difficiles.
On termine le livre sur la narration d’un acte illégal d'activistes en Allemagne où l’auteur exposer la prise du pouvoir comme la solution. Le tout avec une citation de Lénine.


Livre en trois parties, chacune ayant fait l’objet d’une publication à part entière et rassemblées dans cet ouvrage, l’anthropocène contre l’histoire a le mérite de remettre sur la table une vision qui est, selon moi, mise de côté par les élites politiques dans les dernières décennies : la lutte des classes. On réalise qu’il est possible d’avoir la vision d’un autre futur que celui de la productivité telle qu’elle nous est présentée par les tenants du capitalisme. On voit également que les émissions de CO2 sont étroitement reliées à la répartition de la richesse.

Cette analyse vient cependant au coût d’une dialectique marxiste parfois lourde à lire pour le profane. J’ai sauté quelques paragraphes d’une écriture qui semblait par segment plutôt destinée à une revue spécialisée qu'au lecteur du dimanche. Il y a également des formules mathématiques qui n'en sont pas, ce qui irrite quelque peu pour une personne habituée au formalisme des mathématiques.

L'auteur identifie des sujets où il devrait y avoir de la recherche historique pour mieux comprendre les causes de l'avènement de la civilisation/économie/capitalisme fossile. Il permet ainsi de bien mettre en contexte ses thèses dans le corpus scientifique.

Cela dit, j’ai bien aimé la mise en contexte historique de l’Angleterre du XIXe siècle de même que son rapport avec l’Inde. Ne serait-ce que pour ça, la lecture du livre en vaut la peine.

La partie sur les analyses littéraires est cependant le point faible du livre. D’une part, parce qu’il faut connaître les livres en question pour bien comprendre son analyse, ce qui est un exercice impensable pour le commun des mortels, et d’autre part parce qu’une note de bas de page du traducteur vient torpiller le propos de l’auteur. Celui-ci explique en effet que dans la version originale arabe d’un ouvrage analysé, les mots choisis par l’auteur ne s’y retrouvent pas vraiment et qu’ils ne peuvent appuyer la thèse décrite…

Finalement, les solutions arrivent très tard dans le livre, en page 195 dans un livre qui en contient 214. Elles sont données sous forme de liste, sans n’être étoffée d’aucune manière. Clairement, cet ouvrage est plus dans l'analyse des causes que dans la recherche de solutions.

The Fall of the Ottomans

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Couverture du livre « The Fall of the Ottoman »

"The fall of the Ottomans" d'Eugene Rogan, non traduit en français, est un livre qui porte spécifiquement sur la chute de l'empire ottoman, c'est-à-dire entre 1900 et 1920, environ.

Au début de la guerre en juillet 1914, l'Empire ottoman se demande qui seront ses alliées dans cette guerre. Ses dirigeants tentent de soutirer la garantie de la préservation de son territoire aux Français, Anglais et Russes mais, n'en ayant reçu aucune, ils optent pour joindre les forces de l'Allemagne et de l'Autriche-Hongrie. Des officiers allemands conseilleront d'ailleurs les Ottomans, qui en ont bien besoin, tout au long de la guerre.

La mobilisation des Ottomans qui a suivi a coûté cher à l'État, déjà pauvre: retrait des hommes des fermes et autres secteurs productifs, routes bloquées en raison des déplacements des troupes mobilisées. Troubles auxquels s'ajoute celui des banques étrangères désirant récupérer leurs prêts, causant une crise économique. Bref, les Ottomans n'étaient pas vraiment prêts à une guerre totale comme celle qui s'annonçait.

Cela dit, et malgré la conscription forcée, le nombre de soldats impliqués au Moyen-Orient est beaucoup moins grand que sur le front Ouest en Europe, où les chiffres sont tous simplement ahurissants. À titre d'exemple, l'Empire ottoman a mobilisé 2,8 millions d'hommes pendant la guerre, soit 12% de sa population, alors que les Allemands ont mobilisé quelque 13,2 millions d'hommes, soit 85% de sa population masculine âgée entre 17 et 50 ans!

Le Sultan de l'Empire ottoman était aussi Calife, c'est-à-dire le chef de tous les Musulmans. Lors du déclanchement de la guerre, le Calife déclara le Djihad contre les infidèles: les Alliés. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour laquelle les Allemands cherchaient l'appui des Ottomans: ils espéraient provoquer des troubles dans les colonies des Alliés où il y avait une population musulmane importante. Paradoxalement, ce ne sont pas les Musulmans qui réagisserent le plus à cet appel, mais bien les Alliés qui craignaient les troubles dans leurs colonies. Afin de couper court à cette menace, les Anglais tenteront ainsi d'arriver rapidement à Istanbul, provoquant la désastreuse bataille des Dardanelles. De même, les Français mobiliseront plus de troupes sur le front d'Europe de l'Ouest afin de libérer des troupes anglaises qui iront combattre en Palestine. Ils prendront notamment Jérusalem en décembre 1917, ce qui sera considérée par les troupes anglaises comme un cadeau de Noël à leur mère patrie. Cette conquête mènera ultimement à la création de l'État d'Israël quelque 30 ans plus tard.

Ces champs de bataille permettent de mieux connaître les pays laissés-pour-compte de l'histoire de la Grande Guerre : les Arabes dans les différents camps, dont les Algériens, et les Indiens (1,4 M) qui ont combattu en Mésopotamie pour les Anglais.

Le génocide arménien est bien expliqué. J'ai déjà publié un billet détaillé sur ce volet abominable.

Essoufflés, et battus sur à peu prêt tous les fronts, les Ottomans signeront l'armistice 12 jours avant les Allemands, le 30 octobre 1918, après la chute du Liban et de la Syrie. Les Alliés se partageront le territoire conquis à l'Empire ottoman lors de la conférence de Paris de 1919. Alors que les dirigeants ottomans se terrent dans la capitale et assistent sans broncher à la partition de leur ancien territoire, certains militaires vétérans se rebiffent. À leur tête, Mustafa Kemal - qui deviendra Atatürk , le « père des Turcs » - réussira sa rébellion en 1923, à peine 5 ans après la fin de la Première Guerre mondiale. Ainsi meurt l'Empire ottoman et naît la Turquie telle qu'on la connaît aujourd'hui.


On connaît moins ce front, où se sont battus les Ottomans contre les Alliés durant la Grande Guerre, probablement parce que les Canadiens, à quelques exceptions près, n'y ont pas combattu. Les Australiens et Néo-Zélandais sont plus familiers avec ce front, eux qui ont combattu dans le désert, troquant parfois leurs chevaux pour des chameaux.

Pour ma part, quand je pense « Première Guerre mondiale », ce sont des images de guerre de tranchées qui me viennent à l'esprit. Pas à la prise de Jérusalem par les Anglais, l'appel au Jihad, ou encore les révoltes arabes. Ce livre est d'autant plus intéressant qu'il nous amène à connaître ces conflits et ces batailles.

On constate que la Première Guerre mondiale dans cette région du monde est, plus qu'en Europe, une rencontre entre le XIXe et le XXe siècle. On y trouve les dernières grandes charges de cavalerie, les premiers bombardements aériens, des villes en état de siège menant à la famine, des tractations entre grandes familles arabes et ottomanes conduisant à des trahisons, les premières communications sans-fil - non-encryptées et interceptés par les Allemands en Palestine - etc.

Cependant, les batailles sont trop détaillées. Les cartes ne conviennent pas pour les descriptions (c'est d'ailleurs un reproche fréquent pour ce type d'ouvrage, les cartes sont presque toujours insuffisantes, pour des raisons de coûts?).

Après avoir terminé « La chute de l'empire ottoman », je suis retourné lire certains passages du livre de Margareth McMillan sur les accords de Paris en 1919. Le style de McMillan est vraiment différent. Elle raconte une histoire avec mise en contexte historique, qui fait que chaque chapitre peut flotter tout seul. De l'autre côté, l'ouvrage d'Eugene est plutôt un récit de guerre mis en contexte. Cette différence de lisibilité donne aux ouvrages de McMillan une plus grande notoriété, et j'en recommanderais d'ailleurs la lecture avant celui sur l'Empire ottoman.

Pour une précédente critique de McMillan, voir:
//ptaff.ca/blogue/2017/09/26/paris_1919/

Le génocide arménien

Cadavres d

En ce 11 novembre jour du Souvenir, petit résumé du génocide arménien.

Si vous êtes comme moi, vous avez peu entendu parler du génocide arménien, si ce n'est que ça s'est passé en Turquie pendant la Première guerre mondiale, que ça visait les Arméniens, et que certaines personnes nient ce génocide. Mais que s'est-il passé pour que les Turques en viennent à tenter d'exterminer le peuple arménien?

Note : J'utilise le nom « Turquie » et « Empire ottoman » de façon équivalente dans le texte.

Empire ottoman, fin du XIXe siècle

L'Empire ottoman se rétrécit de plus en plus. Grugé par des conflits armées sur ses frontières, l'Empire perd des morceaux au profit des autres puissances européennes (France, Angleterre, Russie, Autriche-Hongrie) ou encore par des déclarations d'indépendances (Bulgarie, Serbie, Roumanie).

Après la guerre gréco-turque de 1897, qui dura 30 jours, les Ottomans ont expulsé les Grecs orthodoxes de leur territoire, les envoyant en Grèce, pays que beaucoup d'entre eux n'avaient jamais même visités. Les Grecs ont fait la même chose de leur côté, expulsant les musulmans turcophones de leur territoire vers l'empire ottoman. Les autorités de part et d'autre ont ainsi utilisé les maisons et territoires vidées de leur population pour y reloger les personnes expulsées de l'autre pays. Cet échange ethnique forcé s'est fait avec très peu de morts.

C'est cette technique qui sera utilisée pour les Arméniens, mais sans territoire pour les accueillir.

Les Arméniens

Parmi les peuples ayant des velléités d'indépendances en territoire ottoman, ont trouve les Arméniens. Ceux-ci forment la majorité de la population dans 6 provinces à l'est de l'Empire ottoman, près de la frontière avec la Russie et la Perse (aujourd'hui Iran). On trouve également des Arméniens de l'autre côté de la frontière turque en Russie, dans des villages du sud de la Turquie, près de la frontière syrienne, et dans la capitale Constantinople (aujourd'hui Istanbul).

Les Arméniens sont un peuple présent dans cette région depuis une couple de millénaires. Ils ont leur propre langue, leur propre alphabet et ont été la première nation à adopter le christianisme comme religion d'état autour de l'an 300. Ils ont une branche distincte du christianisme. Les Arméniens de l'Empire ottoman sont donc des chrétiens dans un territoire à majorité musulmane.

Au déclanchement de la Première guerre mondiale, les Arméniens recherchent activement le soutient des puissances européennes, notamment de la France, afin de pouvoir créer leur État. Ce mouvement voit donc dans un possible effondrement de l'Empire ottoman une opportunité de créer leur pays.

Première Guerre mondiale

Deux mois après le début de la Première Guerre mondiale, l'Empire ottoman rejoint le camp de l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie. L'Empire a alors trois fronts à défendre contre les Alliés : la Mésopotamie (sur le territoire aujourd'hui en Irak), sa frontière est avec la Russie et la Perse, de même que le canal connectant la mer Noire à la mer Méditerranée.

À l'automne 1914, les affrontements contre les Russes mènent les Ottomans à de cinglantes défaites. Sur ce front, des Arméniens combattent dans les deux armées, suivant le pays où se trouve leur village au moment de la conscription. Des soldats arméniens de l'Empire ottoman désertent pour aller combattre avec les Russes, d'une part par désir de rejoindre le clan qu'ils pensent avoir plus de chance de gagner, et d'autre part pour quitter une armée musulmane appelée au Jihad afin de se joindre à une armée chrétienne (même si les Russes sont orthodoxes). Des Arméniens qui restent dans l'armée ottomane, beaucoup se font abattre de manière « accidentelle » par leurs frères d'arme, tout ceci sans aucune conséquence pour les tireurs. Constatant cela, de plus en plus d'Arméniens font défection pour les Russes, augmentant d'autant plus les tirs accidentels.

En mai 1915, un nouveau front s'ouvre pour l'Empire ottoman. Les Alliés (Anglais, Français, Australiens et Néozélandais) tentent un coup de force pour attaquer Constantinople et faire tomber la capitale de l'Empire : c'est la « bataille des Dardanelles ».

L'Empire ottoman n'ayant connu que des défaites depuis le début des hostilités, ça va pas ben et il est permis de croire que Constantinople sera bientôt occupée par les Alliés, ce qui mènerait à la chute de l'Empire. De nombreux Arméniens se réjouissent de ces batailles et défaites, notamment ceux habitant la capitale ottomane, car cette chute les rapprocherait de l'indépendance de leur pays.

Dans la même période où débute la bataille des Dardanelles, des villages à majorité arménienne se soulèvent contre les Ottomans à différents endroits sur le territoire. Les soulèvements durent plus ou moins longtemps, se terminant la plupart du temps par le massacre de la population arménienne des villages. En réponse à ces soulèvements, le gouvernement ottoman ordonne l'attaque d'autres villages arméniens.

Afin de les aider dans leurs exactions, les autorités ottomanes font appel aux Kurdes qui habitent eux aussi dans l'est de la Turquie. Les Kurdes, peuples nomades, sont beaucoup mieux armées et formés que les villageois arméniens, essentiellement des paysans.

Le génocide

Afin de se débarrasser de cet ennemi intérieur, le gouvernement ottoman prend la décision au printemps 1915 de régler le problème arménien. Le gouvernement planifie de vider les 6 régions à majorité arménienne de leur population, et de réduire à moins de 10% la présence arménienne sur tout le territoire ottoman. De cette manière, les Arméniens n'auraient plus la masse critique pouvant mener à une sédition.

Afin d'arriver à leurs fins, l'armée ottomane se rend dans les villages arméniens, où les hommes de 12 ans et plus sont séparés des femmes et enfants, et tués sur place. Les femmes et les enfants sont forcés de marcher pour se rendre dans le désert syrien et à la ville de Mossoul. Pendant cette marche, pouvant durer deux mois, les déportés n'ont aucun vêtement de rechange, aucune chance de de laver ou de s'abriter, et très peu à manger.

Les blessés et ceux qui n'arrivent pas à suivre le rythme, sont tués à la baïonnette en cours de route.
Par désespoir, et afin d'échapper aux tortures des soldats, plusieurs Arméniens se jettent dans la rivière afin d'y périr noyer, parfois en y ayant d'abord précipité leurs propres enfants. On estime que moins de 5% des déportés arméniens arriveront au lieu final de leur exil. C'est pourquoi cette marche prendra le nom de « marche de la mort ».

Les Kurdes s'illustreront à cette période également, menant des raids pour voler et tuer les Arméniens déportés.

En additionnant les massacres et les victimes de la déportation, il est estimé que 1,5 million d'Arméniens seront tués, soit les 2/3 des Arméniens en territoire turque. À ces Arméniens, il faut aussi ajouter 250 000 Assyriens, des chrétiens parlant un dialecte néo-araméen, qui ont été tués par des exactions semblables sur la même période en Turquie.

Comme le massacre a été organisé par le gouvernement, et visait une ethnie en particulier, on parle dès lors de génocide. C'est d'ailleurs en tentant de définir les actes perpétrés par le gouvernement alors en place à Constantinople que ce mot a été inventé.

Bien que certaines personnes nient aujourd'hui que le massacre ait été un génocide, essentiellement pour des raisons de définitions (le crime aurait été perpétré par les gens au pouvoir, et non par le gouvernement…), il est aujourd'hui reconnu par 29 pays et parlements nationaux, dont le Canada et le Québec.

Postface

À la conclusion de la Première Guerre mondiale, et pendant les accords de paix qui se sont tenus en 1919 à Paris, les Arméniens n'ont pas réussi à faire reconnaître leur pays. Les Arméniens seront des citoyens des nouveaux pays où ils se trouvent: la Turquie et l'URSS.

En 1991, suite à la chute de l'URSS, la République d'Arménie à vue le jour. Ce pays recouvre le territoire jadis situé en Russie. Les territoires où se trouvaient les 6 provinces vidée par les Ottoman font encore aujourd'hui partie intégrante du territoire de la Turquie.

Il y a aujourd'hui environ 11 millions d'Arméniens. Seul un sur trois habite en Arménie.

J'aime Hydro

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Couverture du livre « J

Comme j’avais pas vraiment lu de théâtre depuis le secondaire, je me suis abonné il y a une couple d’années à Pièces d’Atelier 10. Quatre pièces québécoises livrées à la maison annuellement, ça diversifie les lectures sans trop alourdir le tout (lire du théâtre c’est comme lire une BD, mais sans les dessins). Je dis pièces québécoises car, bien que je n’aie rien contre Molière et Tchekhov, ce sont des sujets et des textes qui me parlent plus.

J’attendais la prochaine pièce, « J’aime Hydro », avec une certaine impatience. Tout d’abord parce que c’est une pièce de « théâtre documentaire », et que j’avais déjà vu une pièce de ce genre il y a quelques années sur Monsanto. J’en gardais un bon souvenir, notamment parce que la pièce m’avais permis de voir Monsanto comme autre chose qu’une corporation méchante à l’état pur. J’avais trouvé que ce format était parfait pour les teintes de gris.
En plus, j’avais entendu une partie de la pièce diffusée en direct sur le web il y a plus d’un an (il en est d’ailleurs question dans la pièce).

Ajoutons à cela que Mathieu Gosselin participe à la pièce. J'ai une alerte Google pour savoir ce Matthieu fait, car c'est un grand acteur de théâtre, de ma génération, et qui se retrouve dans 50% des pièces que je vois au théâtre (c’est comme ça qu’il s’est ramassé avec une alerte Google). J'aime Mathieu Gosselin.

Et Hydro-Québec, c'est important pour nous, Québécois.

Bref, j’ai reçu le livre à la maison la semaine dernière et j’ai plongé dedans. C’est un gros livre comparé aux précédentes pièces d’Atelier 10, et le premier à ne pas avoir de couverture noire. Il contient aussi des illustrations et des photos de Christine Beaulieu dans son périple, ce qui en fait tout de même un ouvrage différent de celui du texte de Molière de notre jeune temps.

Divisé 5 parties, dont les 3 premières sont plutôt centrées sur l’auteure, Christine Beaulieu, et sa démarche qui l'on amené à écrire ce docu-théâtre. Le contenu de fond, se trouve surtout dans les deux dernières parties.

C'est une lecture agréable, au cours de laquelle on apprend à connaître Christine, qui a les défauts-qualités de son peuple : elle est gentille et redoute les conflits. Ses histoires d'amour, plus ou moins réussies, sont utilisées pour illustrer ses doutes et ses remises en question dans sa démarche documentaire. Ça nous permet de mieux la connaître et de s’y attacher, avant d’aborder le contenu spécifique.

On suit donc Christine, qui remonte le raisonnement ayant mené à la construction du barrage de la Romaine, ce qui l’a conduit à rencontrer beaucoup d’experts, de responsables à Hydro-Québec, à participer à des audiences publiques, pour finir avec un road trip en Nissan Leaf à La Romaine.

L’essentiel de l’information se trouve dans la deuxième moitié de l’ouvrage, et devient plus intéressant à mesure que l’on progresse pour culminer à la fin, lors d’une interview avec le PDG d’Hydro-Québec, Éric Martel.

J'aime Hydro nous permet de mieux connaître, en une couple d'heure de lecture, les fondements philosophiques sur lesquels Hydro-Québec poursuit la construction de ses barrages. Les enjeux qui y sont rattachés sont nombreux : appels d'offres mal gérés, développement régional, coupe d'arbres sur les terres inondées, destruction d’écosystème, rôle et participation des Innus dans le projet, sacro-sainte expertise en construction de barrage à conserver, etc. Mais, surtout, on apprend que les dirigeants d'Hydro-Québec pensent que le passé est garant de l'avenir, et que leur prévision du prix de l'électricité dans les 50 prochaines années, autrement dit la rentabilité des projets comme La Romaine, est basée là-dessus.

Pour ceux qui auront la chance d'avoir la pièce jouée dans leur coin, Christine et Mathieu font présentement je tour du Québec pour la présenter, ce sera un exercice instructif ET divertissant que d'y assister. Dates et lieux ici:
http://porteparole.org/fr/pieces/jaime-hydro/

Des remarquables oubliés, Ils ont couru l'Amérique

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Page couverture de « Ils ont couru l

Reçu à ma fête, ce livre est spécial car avant de le terminer, j'ai eu la chance d'assister dans le cadre de mon travail à une journée de 6 heures de conférence de Serge Bouchard. Je suis d'ailleurs allé le voir pour une dédicace à la fin de sa conférence, et il m'a demandé si j'avais lu le tome 1 du livre, celui qui porte sur les femmes qui ont créé l'Amérique. Penaud, j'ai répondu que non, que ce tome était un cadeau, mais que j'allais remédier à cela dans le futur.

Voici donc mes commentaires sur le tome 2 « Des remarquables oubliés, Ils ont couru l'Amérique », suivi de mes notes de conférence, ces dernières quelque peu décousues.


Le livre consiste en une série de tableaux d'hommes ayant parcouru l'Amérique, depuis la fondation de Québec en 1608 jusqu’au début du XXe siècle. En couvrant aussi large, et de manière assez détaillée le territoire et les humains qui le peuplent, Bouchard rend compte d'une complexité, d'une richesse de notre passé. C'est là le principal de son œuvre me semble-t-il : rendre riche un passé qui nous paraît pauvre, probablement en comparaison avec la période contemporaine européenne.

Au fil du livre, les histoires se font plus détaillées, au point où la quantité de toponymes, tant d'endroits que des personnes, rend les récits plus confus. En se rapprochant du XXe siècle, les traces historiographiques des coureurs de l'Amérique sont plus nombreuses, laissant moins de place à la légende, remplacée par le factuel. Paradoxalement, le récit y perd, on est plus dans une liste d'épicerie que dans le récit légendaire, et il est difficile pour le lecteur moyen d'en retenir autre chose qu'une impression.

Ma plus grande découverte est certainement le premier tableau, qui présente Étienne Brûlé. Arrivé avec Champlain et Amérique et étant probablement le premier Européen à voir les Grands Lacs (j'ai mis à jour les pages Wikipédia correspondantes), c'est également lui qui a « découvert » le lac Mistassini.

On découvre avec les autres personnages, le manque de vision de la métropole française : la colonie devait s'autofinancer, la monarchie était chiche en colons. La classe bourgeoise de Québec reflétait d'ailleurs en cela la métropole, elle a toujours cherché à s'enrichir à court terme plutôt qu'à peupler le territoire. L'esprit français était aussi reflété dans une certaine mesure en Nouvelle-France, tous les postes importants étant destinés aux personnes nées en France, les Canadiens remplaçant le bas peuple, et étant condamnés aux plus petits postes.

Certains historiens québécois, comme Marcel Trudel, ont utilisé cette réalité pour soutenir la thèse que la Conquête a été, en quelque sorte, une libération pour les Canadiens-français. Le système anglais aurait en effet permis de se défaire de cette veulerie française, vouée à la faillite sur un continent comme l'Amérique du Nord. À lire Serge Bouchard, force est de constater que cette thèse dispose d'une forte assise.

On constate également que la découverte européenne du continent nord-américain a toujours été, sinon le fait, du moins accompagnée d'Améridiens et de Canadiens-français, de même que de Métis dès qu'il y en a eu. Si les coureurs canadiens ont été oubliés, du moins reste-t-il quelques traces pour les refaire surgir de l'histoire, ce qui ne semble pas le cas pour tous les «non-blancs» du territoire.

De tout ceci, je n'ai jamais vu la trace dans mon cours d'histoire de secondaire IV. Il y aurait là sujet à amélioration, à moins que ce ne soit déjà fait, ce qui aiderait à donner une image de découvreurs aux ancêtres des Québécois d'origine Canadienne-française, d'une part, et à mieux expliquer le contexte de la colonisation en Amérique du Nord d'autre part. La présence et le rôle des Amérindiens et Métis est clairement à revoir, eux sont séparés en gentils Algonquins et méchants Iroquois, et qui disparaissent après la Conquête. Les Américains n'ont pas hésité à mettre les Amérindiens, Métis et Canadiens-français de côté, ou encore à les représenter comme des méchants, dans leur iconographie. Il serait moment de profiter de notre histoire nationale pour mieux expliquer leur rôles.

Notes de conférence de Serge Bouchard

La première chose que j'ai réalisée dans la conférence de Serge Bouchard, c'est qu'il y avait une géopolitique en Amérique du Nord avant l'arrivée des Européens. La population d'Amérique du Nord avant le premier contact était équivalente à celle de l'Europe. Un grand nombre de nations amérindiennes occupaient le territoire et tissaient des alliances, se faisaient la guerre, étaient déplacées, assimilées, etc. Le territoire au complet était occupé, plus qu'aujourd'hui d'ailleurs, il n'y avait pas de désert humain. Il y avait un équilibre entre ces nations. La grande majorité d'entre elles existent d'ailleurs encore aujourd'hui!

Les Français et les Hollandais étaient des gens d'affaires. Ils viennent pour les fourrures, pas pour la colonisation, contrairement aux Anglais.

Le Canada est un plan d'affaires à la colonisation (découverte de l'ouest avec la compagnie de la Baie d'Hudson et la compagnie du Nord-ouest), et ça va demeurer un plan d'affaires après la confédération.

Ce sont les Amérindiens qui ont tenu l'Amérique au nom des Français, qui étaient très peu nombreux sur le territoire.

Les Anglais viennent pour coloniser, avec une hache et une bible. Ils coupent des arbres et s'interdisent de regarder les Indiens. Les Iroquois sont les seuls alliés autochtones des Anglais sur le continent, et c'est pourquoi on nous enseigne (version franco-catholique) qu'ils étaient violents et méchants. Les Algonquins étaient gentils et pacifiques, et des perdants.

Toutes les nations autochtones, même dans l'ouest, sont pro-francaise, car elles ne menacent pas les territoires, contrairement aux Anglais. Les Français établissent des postes de traite.

On enseigne qu'on est des descendants des Français, avec une langue abâtardie, mais on a caché notre métissage autochtone.

Dans tous les cas, lorsque la France en a eu l'opportunité, elle a abandonné l'Amérique : guerre de conquête, vente de la Louisiane (le tiers de l'Amérique!).

Après la Conquête, les Anglais devaient encore battre les Indiens. Pontiac a créé une confédération autochtone pour bloquer les Anglais, en attendant que les Français envoient des soldats.

Le Québec est la seule province avec des Inuits.

Paris 1919

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Couverture du livre « Paris 1919 »

J'ai connu Margaret MacMillan grâce à son livre précédent, celui qui est le "New York Times bestseller", The War That Ended Peace, qui portait sur le siècle ayant précédé la Grande Guerre. Je n'en revenais pas qu'une seule personne puisse avoir autant de connaissances dans sa tête.

J'ai donc ajouté sur ma liste de lecture « Paris 1919 », livre qui porte sur les 6 mois de la conférence de la paix ayant suivi l'armistice de la Grande Guerre. Lors de cette demi-année, les dirigeants de la France, du Royaume-Uni et des États-Unis ont siégé à Paris pour décider de la forme à donner à cette paix. On ne reverra probablement jamais une conférence où les dirigeants sont sur place pendant des mois pour discuter en face à face.

Chaque chapitre porte sur une région ou pays dont les dirigeants ont du négocier la paix et surtout, le partage du territoire. Les renseignements sont précis, et permettent d'élargir ses connaissances géographiques en Europe, notamment sur les régions qui ne sont pas des pays (Sudètes, Danzig, Transylvanie). C'est à ce moment qu'ont été créés nombre de pays en Europe (naissance de la Yougoslavie, de l'Autriche, de la Tchécoslovaquie, Renaissance de la Pologne, etc.), en Afrique et au Moyen-Orient (Syrie, Irak, première concession territoriale aux sionistes, mandats en Mésopotamie). Le livre fait de même une incursion en Asie où l'on apprend sur la montée du Japon. Ce sont ces frontières qui font encore l'actualité de nos jours.

L'histoire de cette période devrait être plus connue : le décor du XXe siècle a été planté à ce moment. La Seconde Guerre mondiale découle essentiellement de ces événements (quoique le second conflit donne des meilleurs films d'action, pas de doute). J'ai plus appris sur la géopolitique contemporaine en lisant sur la première guerre que sur la deuxième.

Margaret a pour style de s'accrocher à des anecdotes, à des potins, pour tisser ses histoires (ce sont ses propres mots). Elle explique d'ailleurs que c'est une bonne façon de raconter et de retenir, ce qui n'est pas faux. Je ne suis pas assez versé en histoire en général, et sur le début du XXe en particulier, pour juger de la technique, mais cette technique a le mérite de personnaliser des récits qui aurait facilement pu être arides.

Sa principale conclusion, c'est qu'on ne peut attribuer la montée du nazisme dans l'entre deux guerres à l'accord de Versailles, même si c'est ce qu'ont fait les historiens occidentaux et les propagandistes nazis. Les protagonistes du traité de Versailles, et de la paix de 1919 en général, ont fait leur gros possible avec les contraintes du moment (y compris le poids de l'opinion publique, qui pour la première fois de l'histoire était au fait en temps quasi réel des tractations et dont les dirigeants devaient tenir compte): ce traité ne contenait rien sur l'antisémitisme, ni sur la conquête vers l'est, par exemple. Les Alliés ont imposé des conditions qu'ils n'étaient pas prêts à faire respecter par la force . L'Amérique n'était pas encore assez forte, et la France et le Royaume-Uni pas assez faibles, pour faire place à un nouvel équilibre mondial. Il faudra attendre la fin de la Seconde Guerre pour voir apparaître ces conditions.

Quant aux réparations, elle note que ce qui a été payé par l'Allemagne de 1919 à 1932, jusqu'à ce Hitler suspende les paiements pour toujours, représente un montant moindre que ce que les Français ont dû payer après la guerre de 1870, avec une économie beaucoup moins forte que celle de l'Allemagne. En d'autres mots, l'économie de l'Allemagne n'a pas été mise à genoux par les réparations, c'est plutôt la propagande allemande qui a créé cette impression.

Brique de près de 500 pages, qui a été traduite en français, il faut avoir du temps devant soi, car c'est une longue lecture. Ce livre a cependant le grand mérite de rassembler dans un seul ouvrage un grand nombre de clés permettant de comprendre l'état du monde actuel.

Les souffrances invisibles : Pour une science à l’écoute des gens

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Couverture du livre « Les souffrances invisibles : Pour une science à l’écoute des gens »

J'ai connu Karen Messing grâce à Wikipédia, ayant créé l'article à son nom dans un effort pour compenser le peu de biographies de femme sur l'encyclopédie collective (entre 15 et 20%, selon la langue). Lors de notre rencontre, elle a souvent mentionné son dernier livre, qui pourrait servir de référence. Ne faisant ni une ni deux, je suis allé le chercher à la bibliothèque.

Cette lecture m'a permis d'apprendre que Mme. Messing est une scientifique engagée avec ses sujets, c'est-à-dire les travailleurs et, très souvent, les travailleuses. Elle utilise le concept de "fossé empathique", qui empêche les scientifiques d'orienter leurs recherches afin de venir en aide aux travailleurs, ou simplement aux employeurs de se mettre à la place de leurs employés.

Son livre est jalonné d'exemples de ce fossé empathique, qu'elle a rencontré tout au long de ses différentes études, en étant elle-même frappée avec ses étudiantes à la maîtrise. On peut penser par exemple aux caissières, qui sont toujours obligées de travailler debout en Amérique du nord, alors qu'elles peuvent travailler assises en Europe. J'ai également appris de quelle façon le pourboire pouvait nuire aux conditions de travail.

On apprend également sur l'histoire scientifique du Québec, Mme. Messing ayant débuté sa carrière universitaire dans les années 70 à l'UQAM, alors que le monde syndical et universitaire mettaient en place du financement pour des études directement appliqué à l'amélioration des conditions des travailleurs (la profession d'ergonome prend alors toute son importance). Son approche qui est celle de la comparaison de classes sociales, aujourd'hui plus rarement utilisée, va droit au but. On réalise d'ailleurs que la lutte pour l'égalité homme/femme est loin d'être terminée.

L'auteure sort à l'occasion de son rôle de scientifique pour donner son opinion, qui semble parfois peu appuyé par les études, dans un livre qui autrement est fort étayé de références dans la littérature scientifique.

Un livre de 300 pages qui permet d'ouvrir ses horizons aux sciences sociales, à la lutte des classes et à l'histoire scientifique du Québec.

Livre:
http://ecosociete.org/livres/les-souffrances-invisibles

Les maître de l'orge

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Page couverture des Maîtres de l

Je viens tout juste de terminer, pour la fin de mes vacances, la lecture des 8 BD de la série « Les maître de l'orge » (sur la photo, ce sont les 4 dernieres albums rassemblés dans un volume). La série raconte l'histoire d'une famille belge, de la fin du XIXe jusqu'aux années 90, qui a bâti un empire brassicole. Un album par personnage, avec l'exception du 8e tome qui contient une série de tableaux comblant les trous de la saga familliale racontée dans les 7 premiers albums.

Cette série m'a été recommandée par un ami après que je lui ai raconté autour d'une bière le peu de diversité de la bière belge (amis Belges, vous pouvez manifester votre désaccord en cliquant sur « Commenter » au bas de cette publication). Les premières BD sont historiquement intéressantes, on apprend sur l'histoire de la bière (j'ai compris à ce moment pourquoi la Molson est seulement « bonne depuis 1903 » et pas avant). Les intrigues des personnages permettent aussi d'en apprendre sur l'histoire de la Belgique (politique et industrielle), ce qui n'est pas une mince affaire pour ce jeune pays complexe. C'est précis au point que j'ai même douté que l'histoire soit celle d'une brasserie ayant vraiment existé (ce n'est pas le cas).

L'expérience se détériore au fil des albums cependant. La trame des personnages prend de plus de place, et le côté historique devient moins présent. Ceci était pour moi une déception, car les premiers albums laissaient croire que j'allais suivre l'évolution du monde brassicole, plutôt que des personnages ou encore une saga industrielle (OPA et autre manipulation d'actions et d'héritages).

Cela dit, c'est une lecture intéressante pour ceux qui s'intéressent à (l'histoire de) la bière, et on est nombreux en sol québécois, de même qu'à l'histoire de la Belgique fin XIXe et début XXe siècle (moins nombreux que les amateurs de bière je crois).

L'extase totale, le IIIe Reich, les Allemands et la drogue

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Couverture du livre « L

« L'extase totale, le IIIe Reich, les Allemands et la drogue » a été ma lecture d'été au pied du mont Orford. Ce livre paru en 2015 avait alors fait grand bruit car il offrait une nouvelle perspective sur l'Allemagne nazie : il s'agit d'un survol de l'époque où le régime nazie est au pouvoir (1933-1945) et du rôle qu'y ont joué les drogues, notamment les psychotropes et stimulants (cocaïne, méthamphétamine, oxycodon, etc.). La période 1939-45 se concentre sur Adolph Hitler et son médecin personnel, Theodor Morell. En deux mots, Morell a transformé Hitler en junkie au fil de ses injections quotidiennes. La liste des drogues et médicaments administrés au Führer est renversante (voir photo).

Dans La Chute, Bruno Ganz joue un Hitler déclinant, tremblotant et explosif. Les descriptions de Hitler de cette époque sont en fait beaucoup plus affligeantes : il agissait comme un junkie en manque, tremblant de tous ses membres et avec un discours peu cohérent. L'auteur ajoute comme piste possible, en plus d'un possible Parkinson, un sevrage forcé en raison de l'avancée des Alliés en territoire allemand, coupant toute possibilité de ravitaillement en substance injectable.

C'est un bon résumé de 250 pages de cette époque, un défi en soi (ayant vu le film Dunkerque plus tôt en semaine, j'étais bien heureux de comprendre pour quelle raison les Nazis ont attendu plutôt que de rentrer dans le tas). Petit bémol, l'auteur est romancier et non historien, et cela paraît dans le style du livre. J'avais plutôt l'impression de lire un traitement journalistique, les faits étant systématiquement étirés au maximum pour créer « l'effet wow! ». Cela dit, la preuve documentaire est assez étoffée pour être crédible, et on comprend la répercussion de l'ouvrage, il y a longtemps qu'il n'y avait pas eu un nouvel angle de vision aussi important sur la Seconde Guerre mondiale.