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La Révolution tranquille voudrait se réveiller

Billet originalement publié sur le Huffington Post.

Cet article a originalement été écrit et publié en catalan par le député indépendantiste catalan Ferran Civit sur le site web VilaWeb. Ferran était de passage au Québec dans le cadre de la première mondiale du documentaire Le peuple interdit. Traduction de Marc Pomerleau.

«Le Québec se trouve dans une situation semblable à celle du Pays basque, où le mirage de l'entente économique donne l'impression que l'unique aspiration politique est celle de gouverner une agence administrative.»

C'est au Festival du nouveau cinéma de Montréal qu'a eu lieu la première mondiale du documentaire Le peuple interdit, réalisé par le cinéaste québécois Alexandre Chartrand, qui traite d'un peuple à qui on interdit de faire un référendum, le peuple catalan. Tout le gratin de l'indépendantisme québécois était présent: tant les représentants des principaux partis politiques souverainistes (Parti québécois, Québec solidaire et Option nationale) que des Organisations unies pour l'indépendance (OUI Québec). La communauté catalane, en pleine expansion, était également de la partie: on pouvait y croiser des membres du Cercle culturel catalan du Québec, du chapitre québécois de l'Assemblée nationale catalane (ANC Québec) et des Castellers de Montréal, ces constructeurs de tours humaines à la catalane. L'enthousiasme était palpable à la fin de la projection: applaudissements et ovation de plusieurs minutes pour le documentariste.

Mais cet enthousiasme était-il partagé de part et d'autre? Le spectateur catalan a-t-il vu le film comme le spectateur québécois? Non. Le Catalan l'a regardé avec nostalgie, soit celle du pays, soit celle des mobilisations, et avec l'envie de rentrer dans ce pays pratiquement converti en République catalane. Le spectateur québécois, lui, est resté bouche bée après avoir appris que les Catalans ne peuvent pas voter sur l'avenir de leur pays et avoir constaté l'ampleur des mobilisations faites en Catalogne et ce, même si le documentaire ne présente que la gigantesque V de 2014 et la Via Lliure [Voie libre] de 2015.

Les conversations qui ont eu lieu après le visionnement du documentaire et surtout celles tenues au cours de la semaine ont fait ressortir que le mouvement québécois est pris dans un enlisement stratégique. Après les pas de géant réalisés à l'époque des référendums de 1980 et 1995, le Québec recommence à se mobiliser pour l'indépendance, à débattre et à élaborer des scénarios.

Malgré la loi qui 101 qui garantit la prédominance du français au Québec et l'acceptation de la plurinationalité sur le territoire canadien - ce que beaucoup aimeraient voir au sein de l'État espagnol -, le Québec aimerait se réveiller face au mirage du fédéralisme canadien. Il se trouve dans une situation semblable à celle du Pays basque, où le mirage de l'entente économique donne l'impression que l'unique aspiration politique est celle de gouverner une agence administrative. Toutefois, avec un peu de recul, il semble que la Catalogne n'aurait pas tant progressé vers l'indépendance si elle avait obtenu le niveau de respect auquel ont droit les Québécois et les ressources propres dont jouissent les Basques. L'indépendantisme serait-il si fort si la langue catalane était considérée égale à l'espagnol par l'administration centrale, si la Catalogne n'était pas fiscalement spoliée et si l'État espagnol investissait dans les infrastructures catalanes? Il semble que les fédéralistes canadiens ont compris cet aspect, du moins en partie. En Espagne, comme le fédéralisme est inexistant, personne ne l'a compris.

La sensation de confort rend amorphe quand il est question de changement. Mais la volonté y est. Les débats au sein du Parti québécois n'ont pas cessés avec l'élection récente de Jean-François Lisée comme chef. On parle de comment et quand faire un troisième référendum, mais on ne voit pas arriver les conditions gagnantes pour mettre le processus en marche. Sans consensus tant à l'interne qu'à l'externe, l'unique option semble être sur le long terme. Pour cette raison, il y a quelques années est né un parti plus indépendantiste et plus à gauche, Option nationale, dont le chef est Sol Zanetti et qui pour le moment ne compte aucun député.

On retrouve également Québec solidaire, encore plus à gauche, mais davantage timide sur la question de l'indépendance. En vertu du système en vigueur, ce parti a obtenu trois sièges à l'Assemblée nationale (oui oui, nationale!) du Québec. Il est parfois question de créer une coalition plus progressiste et indépendantiste qui allierait ces deux formations politiques minoritaires.

Pour ce qui est de la société civile, un ensemble d'organisations indépendantistes se regroupe au sein de Oui Québec. Ce regroupement ressemble davantage à la Plateforme pour le droit de décider (PDD) qu'à l'Assemblée nationale catalane (ANC), mais avec l'option indépendantiste en plus. Même si les conditions gagnantes ne sont pas réunies, les organisations québécoises sont conscientes qu'elles doivent travailler de concert avec les partis politiques afin de préparer le terrain.

Bien qu'en surface les eaux semblent stagnantes, des gens veulent que les choses commencent à bouger. Des personnalités de la société civile de divers horizons (écologie, politique, mouvements étudiants, féminisme, culture, etc.) croient qu'il est nécessaire de parler du Québec de l'avenir en énonçant le célèbre « Faut qu'on se parle ». Pour l'heure, des séances n'ont eu lieu qu'à Québec et Montréal, mais l'objectif est de se mobiliser sur l'ensemble du territoire. L'idée est d'enclencher un mouvement national du bas vers le haut à l'aide des nouvelles technologies dont l'objectif est la mise en œuvre d'un processus émancipateur et politiquement renouvelé.

Il semble parfois que la Révolution tranquille voudrait se réveiller, comme dans le cas des grandes mobilisations étudiantes d'il y a quelques années. Et peut-être le verrons-nous dans la foulée du projet de construction d'un oléoduc qui traverse le Québec. Lorsque d'autres régions canadiennes ont refusé le passage du pétrole des sables bitumineux de l'Alberta par le Pacifique, le gouvernement fédéral a décidé de passer par l'est. Environ 90 % de la partie à construire traverse le Québec, principalement la région où il y a la plus importante concentration démographique, c'est-à-dire la vallée du Saint-Laurent. L'oléoduc a été vu comme une atteinte à la souveraineté du Québec et comme un attentat contre l'environnement. Qui sait, l'opposition qui en découle pourrait faire passer le débat d'une transition énergétique à une transition nationale vers l'indépendance, le tout dépendant de l'attitude du gouvernement québécois et de celle du gouvernement fédéral.

Le bouillonnement reprend au Québec, mais on ne sait pas encore s'il se poursuivra et où il mènera. La Catalogne, quant à elle, est en pleine ébullition et c'est ce qu'Alexandre Chartrand a filmé en 2014 et 2015. Et si les Catalans veulent savoir comment ils sont perçus depuis le Québec, ils ont pu se rendre en salle et voir Le peuple interdit à Barcelone le 24 novembre et à Perpignan le 26 novembre. Pour revenir sur ce qui a été accompli, il n'y a rien de mieux que l'œil averti d'un étranger qui nous offre son miroir. Merci, Alex!

1738 études sur l'indépendance du Québec

Billet originalement publié sur le Huffington Post.

Je me suis récemment intéressé à la question de la création de l'armée d'un Québec indépendant et, lors de mes recherches pour rédiger la série de trois articles sur ce sujet, j'ai découvert un corpus important d'études sur l'indépendance publiées dans les années 1990 dans le cadre de la Commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec à la souveraineté.

Malgré mes efforts et ceux de mon frère bibliothécaire, il m'a été impossible de trouver ces études en ligne. J'ai donc été contraint de passer quelques après-midis à la BAnQ pour photocopier ces études (à 15¢ la page).

Outre la richesse du contenu de ces documents, j'ai été marqué par le caractère concret des témoignages rapportés dans le Journal des débats de la Commission.

À l'époque où cette commission a siégé, en 1991 et 1992, ce que l'on nommait alors la souveraineté du Québec était un projet concret auquel des ressources gouvernementales étaient dédiées (par un gouvernement libéral!), et non un hochet électoral se référant à un projet aux contours flous et à l'échéance improbable. À la lecture de ces débats, le contraste avec l'époque ayant suivi le référendum de 1995 est manifeste.

Réalisant que ces documents étaient incontournables pour travailler sur des aspects concrets de l'accession du Québec à l'indépendance, il m'a semblé nécessaire de les rendre accessibles gratuitement en ligne. Mathieu Thomas, bibliothécaire militant que j'ai connu à Option nationale, m'a aidé dans cette tâche de libération de documents.

Fort surpris que ces documents ne soient pas déjà disponibles en ligne, Mathieu a contacté la Bibliothèque de l'Assemblée nationale afin de s'enquérir de la disponibilité des documents et des conditions d'accès. Il s'avéra que ces documents étaient en fait déjà accessibles en ligne, sur le site de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, mais qu'on ne pouvait y accéder qu'après une recherche (plutôt poussée) dans le catalogue. Autrement dit, ils se retrouvaient dans ce qu'on appelle le «Web caché» (aussi connu comme «Web invisible», «Web profond» ou, en anglais, «Deep Web»), cette partie du web qui n'est pas référencée dans les moteurs de recherche traditionnels tels Google.

Pour que ces documents puissent être repérées par une simple recherche Google, une solution était de créer une page web dédiée à ce seul sujet. Chaque document, débat, etc., associé à la Commission y seraient détaillé. Un hyperlien serait intégré à chacune des entrées, permettant un accès direct et facile à l'information enfouie dans le Web caché des collections numériques de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale. Le summum serait d'ajouter un lien vers les résultats de la recherche menant à tous les documents publiés dans le cadre de cette commission: ils seraient ainsi tous indexés!

Ce travail complété, il serait donc plus aisé d'à la fois repérer et télécharger ces documents sur le web.

Mais où publier cette page sur le web? Nous avons choisi de publier cette liste de liens sur Wikipédia, dans un article consacré à cette Commission. Opter pour Wikipédia représentait la solution la plus simple: il s'agit d'un site dont la pérennité est assurée, autant que faire se peut. Aussi, je possède déjà depuis 2003 un compte sur cette encyclopédie en ligne et y ai développé une certaine expertise. Enfin, les articles de Wikipédia figurent bien souvent très haut dans les résultats de recherches Google, favorisant la visibilité et donc la diffusion de notre page.

Pour compléter l'article, Danic Parenteau a contribué à la rédaction de son introduction, clarifiant la différence entre cette commission et la commission Bélanger-Campeau.

Le résultat est maintenant en ligne! L'article sur Wikipédia est intitulé Commission d'étude des questions afférentes à l'accession du Québec à la souveraineté et contient les liens vers toutes les études et les échanges leur correspondant dans le Journal des débats.

À ma grande satisfaction, une recherche sur le web avec les mêmes mots-clés que j'avais utilisés à l'époque ("La défense d'un Québec souverain : ses pièges et ses possibilités") donne dans les premiers résultats un lien vers le texte de l'étude. Quiconque effectuant une recherche sur une étude publiée à la Commission trouvera donc dorénavant aisément le document en question en format PDF.

Grâce au lien vers les résultats de recherche de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale, les titres des 1738 études déposées à cette Commission sont maintenant disponibles dans les moteurs de recherche!

Les militants indépendantistes investissent beaucoup de temps et d'énergie pour préparer l'accession du Québec au statut de pays. Dans ce contexte, il nous faut mettre des outils en place afin de permettre la recherche et la collaboration sur les sujets qui devront être étudiés en profondeur. Ceci devra être fait de manière non partisane, afin que toute la connaissance soit accessible et que le peuple québécois ait l'heure juste sur les projets et capacités du Québec-pays.

Cela dit, on aurait pu s'attendre à ce que les divers partis politiques indépendantistes consacrent un minimum d'efforts à des tâches de ce type. N'est-il pas inconcevable que, pendant toutes ces années, ni le Parti québécois, ni le Bloc Québécois n'aient fait le nécessaire pour rendre ces documents plus facilement accessibles en ligne, alors qu'ils avaient les ressources pour le faire?

Les partis politiques indépendantistes doivent s'extraire de ce «stratégisme du pouvoir» qui ne vise qu'à se faire élire, et consacrer davantage d'énergie à la diffusion des idées indépendantistes au sein de la population. Faire sortir des études et documents pertinents du Web caché (et il en reste encore beaucoup!) représente un exemple d'initiative qui aide le peuple à prendre le relais. Espérons que notre modeste contribution pourra inspirer d'autres actions du même type, qu'elles soient le fait d'individus ou de groupes.

L'indépendance n'est pas un match de baseball

Billet originalement publié sur le Huffington Post.

Après les deux défaites référendaires de 1980 et de 1995 sur l'avenir du Québec, la croyance qu'un troisième échec serait fatal au mouvement d'indépendance s'est imposée. Un peu comme si l'indépendance était un match de baseball, laissant seulement trois chances au frappeur pour cogner la balle du pays en lieu sûr. Depuis, cette impossibilité de perdre a tellement été dite et redite, tant par les analystes politiques que par les chefs du Parti québécois, que cette croyance s'est transformée en mythe, transmutant la peur de l'échec référendaire en pierre d'assise de la pensée indépendantiste.

En psychologie, cette peur persistante de l'échec a un nom, il s'agit de « l'atychiphobie ». L'une des principales conséquences de l'atychiphobie est la procrastination. La « gouvernance souverainiste », les « référendums d'initiatives populaires», « le référendum dans un second mandat » et la pléthore de stratégies mises de l'avant par le Parti québécois depuis 1995, y compris dans la présente course à la chefferie, entrent dans cette catégorie. Plutôt que de subir un troisième échec, la créativité indépendantiste est mise à profit pour remettre l'ultime consultation à plus tard, pour procrastiner.

Une deuxième conséquence de la peur de l'échec est qu'il mène à l'autodénigrement. À mettre dans cette catégorie les Nicolas Marceau et François Legault de ce monde, qui annoncent que le Québec est trop pauvre pour être indépendant. Ils présentent l'amélioration d'indices économiques, tels que la dette ou le taux de chômage, comme préalable à l'indépendance. Cette technique rend l'échec certain en diminuant les capacités du peuple québécois à ses propres yeux. Et comme l'échec est certain, que faire sinon l'éviter ou la repousser?

Les indépendantistes québécois doivent lutter contre cette peur de l'échec s'ils désirent un jour obtenir leur propre État. Un premier pas dans cette direction serait de réaliser que des nations beaucoup plus petites, avec moins de moyens, et dans des conditions autrement plus adverses que le Québec, ont vu le jour dans les dernières décennies.

Par exemple l'Estonie, pays 38 fois plus petit que le Québec, dont la langue officielle n'est parlée que par un million d'habitants sur la planète. Les Estoniens ont réussi à obtenir leur indépendance non pas contre une petite fédération comme le Canada, mais bien contre l'Union soviétique! Un autre exemple, la Slovénie, 80 fois plus petite que le Québec, et avec seulement deux millions de locuteurs du slovène dans le monde, a réussi à obtenir l'indépendance de la Yougoslavie. Dans ces deux cas, l'indépendance n'est pas survenue par le fruit du hasard ou par l'arrivée fortuite de « conditions gagnantes ». Ces peuples ont participé et préparé leur indépendance, leurs échecs précédents faisant partie de leur histoire.

Les indépendantistes devraient prendre conscience que cette peur de l'échec est injustifiée. Une défaite référendaire n'est pas la fin du peuple québécois, pas plus que l'invasion soviétique n'a pu éliminer le peuple estonien. Les échecs sont des occasions d'apprendre de ses erreurs afin de préparer la victoire finale. Il faut que cesse la procrastination.