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De l'ONF à la révolution numérique

J'ai découvert Norman McLaren grâce à Claude Jutra et Il était une chaise. Suite à cette rencontre, j'ai écrit un billet sur 3 autres de ses films sur le blogue Hors des lieux communs:
* Les voisins;
* Lignes verticales
* Lignes horizontales.

Ses films sont tellement différents les uns des autres qu'il est difficile, voire impossible, de résumer son oeuvre avec quelques films représentatifs. Je termine donc avec ce billet ma série sur Norman McLaren. Si jamais un lecteur désirait continuer son exploration, je recommande les films suivant:
* Le merle (1958);
* Blinkity Blank (1955);
* Caprices en couleurs (musique par l'Oscar Peterson trio!, 1949).

Étudions le contexte qui a permis à une oeuvre comme celle de Norman McLaren d'être créée. Quelles sont les conditions nécessaires pour l'émergence d'une telle oeuvre? Qu'en est-il aujourd'hui de ces conditions? Ce sont ces 2 questions que j'explore ici.

Le contexte de création de Norman McLaren

Pour qu'il soit possible d'obtenir une oeuvre comme celle de McLaren, il faut tout d'abord un artisan de talent, sinon de génie. Dans ce cas-ci, il s'agit bien sûr de lui-même: Norman McLaren.

Dans un deuxième temps, il faut des conditions idéales pour créer. Arrivé à l'ONF en 1941, Norman McLaren a eu accès à ces conditions après la guerre, en 1945 (cf: cinema-quebecois.net). L'effort de guerre de l'ONF étant terminé, il se consacra alors à des projets personnels, le plus souvent dénués d'objectifs utilitaires. Il expérimenta à sa guise avec les outils de création qui étaient à sa disposition à l'ONF: caméra, pellicule, projecteurs, etc. Il n'était pas obligé de faire un film de 40 minutes pour la télévision avec des temps morts pour la publicité. Il pouvait créer des courts métrages de la durée qu'il jugeait la meilleur.

Il manque un dernier ingrédient, les collaborateurs. Ceux-ci provenait d'abord de l'ONF qui recrutait des créateurs et des techniciens talentueux. Puis, la réputation de Norman McLaren grandissant, ce sont les artisans qui l'ont contacté pour collaborer avec lui. C'est ce qui s'est produit lorsque Claude Jutra le contacta en 1959 pour la coréaliser Il était une chaise.

Le contexte de création à l'ère numérique

Quelles conditions constituant le contexte de création de Norman McLaren sont-elles aujourd'hui comblées grâce à la révolution numérique?

Le premier point abordé dans le cas de Norman McLaren était le talent. Ère numérique ou pas, il y a tout à penser que de par le vaste monde, il y a une foule de gens talentueux, des gens qui pourraient créer des oeuvres ayant un certain impact sur la société. Ce n'est certainement pas une ressource qui est disparue de la surface de la Terre, il y en a encore et il y en aura toujours. C'est en fait une condition indépendante du contexte matériel.

Le talent est une chose, avoir les moyens de créer en est une autre. Norman McLaren avait le contrôle sur les instruments de création. Il a d'ailleurs énormément expérimenté avec les limites des appareils. Aujourd'hui les appareils de production sont pour la plupart électroniques: caméra, appareil photo, microphone. En fonction du projet à effectuer, le créateur devra avoir accès à un plus ou moins grand nombre d'appareils numériques. Or, nous notons que, à performance égale, le coût des appareils numériques diminue constamment. Il est ainsi plus facile pour un les créateurs d'avoir accès aux appareils qui lui sont nécessaire, ceux-ci étant beaucoup plus communs qu'avant. Souvent, il les possède lui-même ou peut y avoir accès au près d'un ami.

Il faut aussi ajouter l'informatique: ordinateurs et logiciels. L'ordinateur, l'élément physique, entre dans la même logique de coût que les équipements électroniques. Quant aux logiciels, les 4 libertés nécessaires pour être qualifié de logiciel libre garantissent le contrôle du logiciel par l'usager. Il lui sera donc possible de faire ses expérimentations comme bon lui semble et non tel quel le vendeur aura bien voulu lui permettre. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'énoncé de ces 4 libertés permet ces expérimentations: elles ont été rédigées explicitement à cette fin.

Les personnes, talentueuses ou non, ayant accès aux dispositifs nécessaires peuvent créer avec peu de contraintes de format. Elles ont bien sûr celles imposées par la limite de l'espace de stockage ainsi que celles imposées par le temps. Ceci dit, Norman McLaren avec des contraintes semblables. Donc, à moins d'avoir obtenu un financement extérieur ou d'effectuer un contrat, un individu pourra occuper sont temps libre à créer. La différence qu'il peut y avoir avec Norman McLaren, c'est que celui-ci travaillait à temps plein sur ses projets de film. Une personne occupant un emploi non relié à la création de film, la grande majorité des gens, aura probablement moins de temps à consacrer à cette création.

Il reste à aborder le dossier des collaborations. Bien sûr, les personnes faisant partie du cercle intime de nos créateurs sont susceptibles de devenir des collaborateurs. Ils connaissent le créateur, peuvent être sensibles au sujet et accepter de lui donner un coup de main. Mais, aujourd'hui, il est aussi possible d'ajouter internet comme source pour le recrutement. Que ce soit en se joignant à un groupe de créateurs, comme canal d'échange avec des individus ou encore pour avoir une vitrine présentant ses projets, internet permet souvent de trouver des collaborateurs. Ces collaborateurs auront certes une attitude et une disponibilité différentes de ceux qui sont directement payés pour aider le créateur, mais à partir du moment où quelqu'un se joint au projet, il n'est pas moins compétent ou moins motivé, au contraire.

Ce que l'on constate, c'est que la révolution numérique a fondamentalement changé les moyens nécessaires pour obtenir un contexte favorable à la création de films, particulièrement les courts métrages. Par exemple, il y a 20 ans, il aurait été impensable que j'aie pu, dans mes temps libres, créer un film avec les 1696 coups de foudre observés le 1 août 2006 à Montréal. Cette révolution permet aussi, en plus d'une diffusion sans précédent, une collaboration entre plusieurs individus ne s'étant jamais rencontrés et vivant dans des pays différents. Le court métrage Elephants Dream a été conçu de cette manière (regardez le making of du film). En plus, les créateurs de ce film ont profité du projet pour avancer le développement du logiciel à la base de leurs images: blender.

Il y a en ce moment une certaine résistance à cette transition de modèle de création. La résistance provient des milieux traditionnels de diffusion, notamment les chaînes de télévision qui sont habituées à un canevas très précis pour leurs émissions. Mais, il ne faut pas s'en faire, l'énergie créatrice humaine est trop forte pour pouvoir être longtemps contrainte par des intérêts commerciaux.

L'homme se définit et se construit par la culture, il ne saurait être question qu'une partie en soit détournée pour se mouler dans un cadre rigide. Nous pouvons dès aujourd'hui créer hors de l'ancien carcan. L'ère numérique est aux gens ordinaires ce que l'ONF a été pour Norman McLaren.

Embrassons cette réalité et explorons l'infini grandeur de la créativité!

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