Où est passée la glace du golfe du Saint-Laurent?
En plein mois de février, il n'y a pas de glace dans le golfe du St-Laurent. Ou si peu.
Les zones en blanc et bleu sur cette carte représentent les endroits où il n'y a pas ou très peu de glace.
Couverture de glace du golfe du St-Laurent le 22 février 2010. (source, Service canadien des glaces)
On peut constater que la situation est anormale en regardant la carte de l'anomalie de la couverture de glace. À pareille date, habituellement, les zones en rouge ont une couverture de 9 à 10 dixième plus élevée. Autrement dit, ces zones sont présentement libres de glace alors qu'elles devraient en être recouvertes en entier.
Anomalie de la couverture de glace du golfe du St-Laurent pour le 22 février 2010 (source, Service canadien des glaces)
Et si vous n'êtes pas convaincus que la situation est hors de l'ordinaire, voici le graphique de la couverture de glace pour l'hiver 2009-2010 pour le golfe du St-Laurent. Le trait vert représente la moyenne, les barres en bleu sont les observations.
Graphique de la couverture de glace pour l’hiver 2009/2010 pour le golfe du St-Laurent (source, Service canadien des glaces)
Vous pouvez visualiser à quoi ressemble une année normale dans le golfe sur le billet portant sur la couverture de glace du golfe du St-Laurent.
Les villes de l'est du Québec ont connu des températures excessivement chaudes en janvier 2010. À Natashquan, la moyenne de température pour le mois de janvier est habituellement de -13,5°C. Elle a été de -8,1°C cette année. À Sept-Îles, la moyenne est habituellement de -15,3°C pour janvier. Il a fait -8,0°C. À Gaspé, habituellement il fait -11,9°C. Il a fait -6,1°C. Les autres villes de la Côte-Nord, et même du Saguenay, ont connu des écarts de température semblables.
Ça donne des paysages surréalistes, comme Natashquan sans neige au mois de février.
Les différences de température que connaissent ces villes ne sont pas des fluctuations auxquelles l'on pourrait s'attendre: elles sont de 2 à 3 fois plus élevées que l'écart-type habituel pour le mois de janvier. C'est, à tout le moins, excessif.
Effets
Quels sont les effets d'une telle absence de glace sur le golfe du St-Laurent?
On peut penser que l'érosion que subit la Côte-Nord sera plus grande cette année. L'augmentation de l'érosion dans les dernières années est principalement due, au premier degré, à la diminution de la couverture de glace dans le golfe du St-Laurent. Ce phénomène en sera donc fort probablement accentué.
La couverture de glace jouant un rôle sur la reproduction des phoques, cela aura un impact majeur sur le nombre de blanchons pour l'année 2010. Il sera bien sûr difficile pour les chasseurs de phoques d'aller sur la banquise, celle-ci n'existera pas selon toute vraisemblance.
Il n'y a pas que la couverture de glace dans le golfe du St-Laurent qui soit affectée par les températures chaudes de cet hiver. La couverture de glace sur le Saguenay est elle aussi plus mince. Cela a écourté la saison de pêche blanche de 3 à 4 semaines, empêchant tout un secteur de dépasser le seuil de rentabilité pour cette année.
Il y aura probablement d'autres effets sur la faune, la flore et l'économie qui pourront être mesurés après l'hiver.
Causes
Deux causes sont vraisemblablement à l'origine de ces températures exceptionnellement chaudes : le réchauffement climatique additionné à un épisode El Niño (valeurs numériques).
C'est d'ailleurs l'addition de ces 2 facteurs qui ont amené le UK Met office, l'équivalent anglais du Service météorologique d'Environnement Canada, à prévoir que l'année 2010 sera la plus chaude jamais mesurée, surpassant le record précédent de 1998 ( it is more likely than not that 2010 will be the warmest year in the instrumental record, beating the previous record year, which was 1998).
1998 était aussi une année El Niño. On peut penser que les épisodes El Niño représentent un réchauffement naturel de l'atmosphère qui s'additionne au réchauffement climatique artificiel, celui-ci augmentant sans cesse. On aurait alors un record de température à chaque épisode El Niño.
Il y a aussi comme cause potentielle le changement dans la circulation atmosphérique de l'hémisphère nord. C'est un effet du réchauffement climatique, puisque ce changement serait causé par la diminution de la couverture de glace dans l'océan Arctique. On peut dès lors penser que le curieux hiver que nous avons connu en 2009/2010 soit chose courante à l'avenir.
Cette diminution de la couverture de glace a une rétroaction positive: moins il y a de glace dans l'Arctique, plus l'air chaud des latitudes tropicales est amené loin au nord, entraînant la glace à fondre plus rapidement. Comme il fait plus chaud cet hiver dans l'hémisphère nord, il y a tout à penser que la glace de l'Arctique sera mince au mois de septembre prochain, moment où elle est à sa plus faible étendue. Peut-être même qu'un record d'étendue sera établi, battant ainsi celui de 2007. À suivre sur le Cryosphere Daily. Et sur Hors des lieux communs.