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QuebecTorrent est mort…

Vous avez sans doute entendu parlé de la défaite en justice de QuebecTorrent qui faisait l'object d'une poursuite pour violation de droits d'auteurs par une poignée d'ayant droits de l'industrie. Je leur avais d'ailleurs écrit une lettre ouverte après avoir expliqué l'utilisation que je faisais de ce site.

Le 9 juillet 2008, la Cour supérieure du Québec a émis une injonction permanente ordonnant à son administrateur, Sébastien Brûlotte, de fermer boutique.

Étant membre de QuébecTorrent, j'ai reçu ce courriel de Sébastien Brulotte, que je récopie ici afin de publier tous les côtés de l'histoire. Les hyperliens sont de moi.

Le 11 juillet 2008

Chers Membres,

C’est avec regret que nous avons décidé de consentir à l’injonction qui visait notre site torrent, notre entreprise et moi-même en tant que président de Québectorrent.com Inc.

J’ai pris l’initiative du présent communiqué afin de vous remercier pour votre appui et votre support depuis l’ouverture du site, ainsi que tout au long des procédures judiciaires. Sans vous, toute cette aventure n’aurait pas été aussi enrichissante. Ensemble nous aurons ainsi permis de donner une visibilité à nos artistes auprès de notre communauté en leur rendant disponible une plateforme alternative de diffusion moins coûteuse et tout aussi efficace, pour un plus grand rayonnement de leurs œuvres.

Je désire aussi vous expliquer ma décision de ne pas contester les procédures d’injonction permanente nous ayant été signifiées et contre lesquelles nous avons toujours manifesté notre désaccord. Les bouleversements qu’ont provoqués les sites de type « torrent » et « p2p » ont eu un impact important sur le commerce et la distribution de la musique, des films et de toute œuvre protégés par des droits d’auteurs.

Au moment où nous avons dû prendre une décision quant à la défense de nos intérêts devant les tribunaux, nous avons constaté que tant l’industrie du disque et du film, représentée par l’ADISQ et l’APFTQ, que les utilisateurs et opérateurs de sites de type « torrent » et « p2p », étaient régis par des lois désuètes et manifestement non-adaptées au contexte actuel et à la technologie moderne.

Nous invitons d’ailleurs nos gouvernements à intervenir dans ce domaine et à légiférer de façon à tenir compte des réalités et besoins actuels de sa population. Il va sans dire que cette réalité ne concerne pas seulement les intérêts et besoins des entreprises de distribution, lesquelles devront inévitablement s’ajuster au marché. Elle concerne plus que jamais les consommateurs de musique et de films, sans qui cette industrie ne serait pas aussi bien nantie aujourd’hui. Le législateur doit être à l’écoute de ces consommateurs qui constituent une partie importante de la population.

De plus, je me dois de réagir à la façon dont l’ADISQ a commenté le jugement rendu par la Cour.

La vice-présidente aux affaires publiques et directrice générale de l’ADISQ, Mme Solange Drouin, a commenté qu’il « s’agissait d’une première victoire majeure pour l’industrie locale contre un site torrent et que d’autres poursuites contre de tels sites de téléchargement pourraient être envisagées. »

À l’époque où les procédures nous ont été signifiées, nous avions retenu les services d’un procureur qui, pour des raisons de santé, a dû cesser de nous représenter en mars dernier. Par la suite, au début du mois de mai, nous avons retenu les services de la firme d’avocats Fetch Légal Ltée. pour nous représenter. Nos procureurs nous ont alors indiqué que l’état d’avancement du dossier était limité, et que nous devions requérir du tribunal un délai afin de leur permettre de mettre la cause en état, et de bien nous positionner dans le cadre de notre défense. Une expertise était nécessaire pour contrer celle de l’ADISQ et de l’APFTQ, et une défense devait être produite au dossier. Il ne restait que deux mois avant l’audition. Nos procureurs nous ont recommandé de présenter une requête pour remise de l’audition. L’ADISQ et de l’APFTQ se sont opposées à cette requête. Conséquemment, et suivant les arguments de l’ADISQ et de l’APFTQ, le tribunal a refusé notre demande de remise, et a ordonné la tenue du procès tel que prévu en juillet 2008.

Devant cet état de fait, dans le meilleur intérêt des membres qui nous ont supportés financièrement et de la cause des sites de type « torrent » et « p2p », nous avons préféré ne pas présenter de défense plutôt que de nous défendre de façon inadéquate. Il va de soit que notre intention était d’éviter qu’un précédent juridique nuise aux litiges éventuels de la même nature. Nous croyons avoir pris la bonne décision sur cet aspect, comme le souligne avec justesse Tristan Péloquin dans son blogue du 10 juillet dernier. Nous sommes étonnés de la position de l’ADISQ et de l’APFTQ à l’effet que ce jugement constitue un précédent, puisque dans les faits, il n’y a jamais eu de débat au fond quant aux questions soulevées par le litige.

En définitive, il n’a jamais été de notre intention, dans le cadre de l’exploitation de notre site, de permettre la violation des droits d’auteurs, comme le prétendaient les allégations contenues dans les procédures judiciaires. Nous sommes convaincus que la Cour aurait pu rendre une décision intéressante dans le dossier si elle avait eu à jauger de positions contradictoires, ce qu’elle n’a pas eu à faire…

Nous avons malgré tout l’intention de respecter les termes de l’injonction émise contre nous, mais tenions à rectifier certaines affirmations faites publiquement au cours des derniers jours.

Sébastien Brûlotte, président de Québectorrent.com

Rappelons que Mme Solange Drouin de l'ADISQ est la visionnaire qui avait donné la Chine comme exemple à suivre pour le contrôle d'internet.

Suite du billet: …vive les fichiers torrent du Québec!

Les fournisseurs d'accès et le contrôle d'internet, une analogie

Nicolas Sarkozy l'a récemment suggéré pour la France. La Suède est en train d'étudier cette possibilité. Chez nous, Solange Drouin de l'ADISQ a demandé au CRTC de l'appliquer. Il s'agit de la suggestion de faire des fournisseurs d'accès internet (FAI) les responsables légaux de ce que circulent sur le réseau, notamment en ce qui concerne les oeuvres protégées par le droit d'auteur. Autrement dit, de faire des FAI les gendarmes d'internet.

C'est une très mauvaise idée. Voici pourquoi.

Le protocole à la base du réseau internet a été conçu de manière que, lorsqu'une communication est établie entre 2 ordinateurs, les noeuds par lesquels l'information transige n'effectuent aucun contrôle sur le contenu: ils ne font que transmettre aveuglément. C'est un des principes les plus importants d'internet: l'intelligence se situe aux bouts du réseau, pas à l'intérieur de celui-ci. Toutes les innovations qui sont apparues grâce à internet au cours des dernières années (pensez à google, wikipédia, YouTube!, ptaff.ca) l'ont été parce que les gens avaient le plein contrôle sur leur bout. Le protocole pour communiquer tous ces 0 et ces 1 lui, n'a pas changé d'un iota. Et, pour ce que l'on peut voir de l'avenir, ce n'est pas prêt de changer.

Visualisation des multiples chemins à travers une portion de l’Internet.

C'est ce principe-là que les politiciens et les gens de l'industrie de la propriété intellectuelle attaquent en voulant faire des FAI des contrôleurs de contenu. Les FAI ont été identifiés parce qu'ils sont la porte d'entrée sur internet. Ils possèdent des noeuds qui sont pratiquement incontournables pour le citoyen moyen qui veut accéder à internet. Ils ont donc été ciblés pour contrôler ce qui s'y passe.

Or, si les FAI doivent contrôler tout ce qui circule sur internet, cela pose d'énormes difficultés. C'est n'est pas pour rien que Solange Drouin de l'ADISQ a cité la Chine en exemple pour le contrôle d'internet. C'est que, pour exercer un contrôle qui est contre la nature du réseau, il faut avoir une approche, et les moyens, d'un système totalitaire.

L'analogie

Étudions l'ampleur de la tâche et les complications qu'entraînerait une telle décision au Canada. Pour ce faire, j'utiliserai l'analogie suivante:

  • les ordinateurs sont représentés par nos maisons;
  • internet est représenté par les routes;
  • les paquets de 0 et de 1 sont transportés les voitures;
  • posons que tous les ponts du Canada sont gérés par des compagnies privées (les FAI).

En dernier lieu, posons que l'alcool de contrebande pose un problème de société grave. Celle-ci est rendue monnaie courante, le gouvernement voit le revenu des taxes sur l'alcool fondre, les grands brasseurs du monde entier prétendent que la production d'alcool est menacée de disparaître si leur modèle de revenu n'est pas protégé (on aura reconnu les oeuvres protégées par le droit d'auteur). Pour combattre ce fléau, le gouvernement décrète que les compagnies privés qui sont en charge des ponts sont responsables si les véhicules qui circulent sur leurs infrastructures transportent de l'alcool de contrebande.

Bar dans une résidence de Villeray

Examinons les défis auxquels feront faces les compagnies privées qui gèrent les ponts.

Défi structurel

Bien qu'une certaine réglementation existe pour les véhicules qui circulent sur les ponts (limite de poids, type de véhicule, conducteur en état d'ébriété, etc.), cette réglementation est la même sur tout le réseau routier et le contrôle est effectué par les autorités responsables (police, ministères des transports, etc.).

Photo d’un poste de péage sur l’autoroute de l’État de Virginie

Avec cette nouvelle loi, les compagnies privées doivent contrôler tous les véhicules. Bien que certains ponts, pas tous, soient munis de guérites pour le péage, la plupart des gens y circulent sans s'arrêter (des cartes magnétiques permettent aux véhicules d'être identifiés, les propriétaires paient un montant mensuel ou reçoivent une facture à la fin du mois). Dorénavant, tous les véhicules devront être contrôlés. La circulation sur les ponts étant déjà problématique à cause des embouteillages, elle le sera encore plus puisque chaque véhicule devra s'arrêter à une guérite. Il faudra donc que les compagnies développent, testent et déploient ces systèmes. Comme il y a des centaines de compagnies différentes en charge des ponts, il y aura fort probablement des centaines de systèmes de guérites différents qui vont être mises en place. De plus les guérites devront aussi répondre aux critères de sécurité du gouvernement, ce qui fait que chaque modification du système devra être approuvée par des fonctionnaires, à moins que le gouvernement n'assouplisse la réglementation pour permettre d'effectuer plus rapidement des changements au système de guérite mais, ce faisant, ils diminuent la sécurité qu'ils sont supposés assurer.

Il y a, bien sûr, des véhicules qui pourront passer sans s'arrêter aux guérites. On pense aux ambulances, aux voitures des policiers, les camions de pompiers, les véhicules diplomatiques, militaires, etc. La compagnie en charge du pont pourrait même louer ou vendre des véhicules « autorisés », véhicules qui seraient dépouillés de toute installation permettant de transporter de l'alcool de contrebande ou, encore mieux, offrir un service d'autobus qui ne s'arrête pas aux guérites. Je reviendra sur ce système de transport plus loin.

Défi juridique

Nos compagnies n'ont aucune expérience ni en contrôle ni en fouille de véhicules. Elles doivent maintenant recruter du personnel et faire en sorte que ceux-ci empêchent tout véhicule de transporter de l'alcool de contrebande sur leurs ponts. Nommons-les les gendarmes. Ces gendarmes ne sont pas des policiers, ils n'ont ni la formation ni le code déontologique de ceux-ci mais, sur le pont, ils auront maintenant les mêmes pouvoir qu'eux. Quelles sont les règles qu'ils utiliseront? Quels recours auront les citoyens contre ces gendarmes? Comment faire pour conjuguer la vie privée et les fouilles systématiques?

Encore une fois, puisqu'il y a des centaines de compagnies privées, il y aura aussi plusieurs façons de faire respecter la nouvelle réglementation. Y aura-t-il moyen de connaître exactement les moyens et politiques mis en place par les compagnies pour faire respecter cette loi? Les textes de loi du gouvernement sont publics et nous pouvons toujours utiliser la loi d'accès à l'information. Cette protection n'existe pas dans le cas des compagnies privées.

Les contenants

L'alcool de contrebande est, parfois, aisément identifiable à l'étiquette. Mais, il est possible de transférer le liquide dans un autre contenant. Les brasseurs ont promis de mettre au point un contenant scellé, inviolable, qui permettra aux gendarmes sur les ponts de l'identifier immédiatement. Nomme-le un contenant certifié.

Bouteille de Klein

Qu'adviendra-t-il des liquides dans les autres contenants? Seront-ils systématiquement saisis? Si oui, n'avantage-t-on pas ainsi les brasseurs commerciaux produisant les quelques contenants certifiés par rapport aux petits brasseurs et aux brasseurs artisanaux qui n'ont pas ces moyens? Si non, devra-t-on tester les liquides dans les contenants non certifiés avant de les laisser passer? Dans ce cas, quels seront les tests? qui sera en charge de l'analyse et comment pourra-t-on vérifier ou contester les résultats? Le conducteur ayant en main un contenant non certifié ne sera-t-il pas indûment ralenti dans ses déplacements?

De plus, si les contenants certifiés sont destinés à être ouvert pour en boire le contenu, comment peut-on s'assurer qu'un bricoleur n'inventera pas dans son sous-sol un bouchon permettant de mettre un autre liquide et de le reboucher? Ou encore d'imiter l'apparence du contenant certifié?

Le cas de la Chine

Voyons maintenant, tout en continuant notre analogie, pourquoi la Chine est en mesure d'effectuer ce contrôle.

Premièrement, le gouvernement chinois possède tous les ponts. Il n'y a donc qu'un seul type d'infrastructure à mettre en place.

Deuxièmement, le style de vie des Chinois est beaucoup moins axé sur les transports sur les routes que peut l'être celui des Canadiens. Cette réglementation touche donc, proportionnellement, moins de gens (quoique ce nombre soit sans cesse croissant).

Troisièmement, la Chine possédant tous les ponts, c'est sa propre réglementation qu'elle met en vigueur. Les Chinois possèdent donc les mêmes leviers contres les gendarmes des ponts que pour ceux des autres secteurs du gouvernement chinois, c'est-à-dire pas grand chose.

Donc, la réglementation peut être appliquée en Chine à cause du monopole étatique qu'il possède. Puisque les pays où ce contrôle est proposé (Canada, France, Suède) n'ont pas de monopole sur les ponts (les FAI) et qu'il est plus qu'improbable qu'il l'impose, la Chine n'est pas un exemple valable pour nos pays.

Notons que je n'ai pas eu à invoquer la liberté d'expression ou encore les droits de l'homme pour démontrer que la méthode chinoise ne peut s'appliquer ici. Je ne veux pas diminuer l'importance ou la valeur de ces arguments, seulement que je n'ai pas eu à les utiliser.

Anticipation

Tout en poursuivant la même analogie, supposons que, malgré tous les problèmes évoqués plus haut, le gouvernement décide tout de même d'aller de l'avant. Que se produira-t-il?

Dans un premier temps, ça ne fera pas l'affaire des compagnies privées responsables des ponts. Ce sont des experts en génie civil, pas en contrôle de véhicules. Mais, puisqu'ils y sont contraints, ils en profiteront pour faire des affaires, loi du marché oblige.

Les gens étant habitués à circuler librement et, surtout, rapidement, ils chercheront des moyens pour revenir à cette situation. Les compagnies possédant les ponts, sensibles à cette demande et aux opportunités commerciales, vont s'organiser en consortium pour proposer un système de transport efficace et rapide évitant les moyens de contrôle (pour l'autre côté de l'analogie, on parle ici de neutralité de réseaux). Ils auront ainsi un monopole, inévitable, sur les moyens de transport efficaces et auront ainsi tous les avantages que cette position implique dans un marché.

Il y aura aussi, bien sûr, un partenariat avec les grands brasseurs, les transporteurs vantant les mérites de ces produits, affichant de la publicité dans les autobus de la compagnie de transport, installant des magasins vendant ces produits aux terminus et aux gares routières.

Le summum de ce marché surviendrait si une même compagnie était un grand brasseur et possédait des ponts. Le potentiel commercial serait dès lors très, très intéressant.

Mais n'est-ce pas déjà le cas?

La nouvelle loi sur le droit d'auteur au Canada, où est la couverture francophone?

Le 13 décembre 2007, le ministre de l'industrie du Canada Jim Prentice devait introduire une nouvelle loi sur le droit d'auteur au Canada.

Suite à une série de moyens de pression sur le ministre (voir ce vidéo sur YouTube), ce projet n'a pas été déposé en chambre. Cette pression a essentiellement pour origine le juriste Michael Geist, professeur à l'Université d'Ottawa. Michael Geist a publié une série de billets sur son blogue expliquant les enjeux reliés à ce projet de loi et à l'impact qu'il aura sur les Canadiens.

Par la suite, la blogosphère du Canada anglais a emboîté le pas:
* Boing Boing (Cory Doctorow est Canadien);
* Sam Trosow, professeur à la Faculté de droit de l'université Western Ontario;
* rabble.ca, un collectif de journalistes, d'écrivains, d'artistes et d'activistes Canadiens;
* Galacticast (excellent vidéo);
* Digital Copyright Canada;
* Rod Templeton (un geek de Vancouver);
* Open Source Video (encore quelqu'un qui parle de liberté en manoeuvrant un Mac…);
* etc.

Il y en a encore des dizaines de blogues anglophones qui parlent de ce sujet, mais je vais m'arrêter ici.

Les anciens médias en ont ensuite parlé. Tous les grands médias anglophones du Canada ont un ou plusieurs articles qui en parlent:
* CBC (Search Engine, The Hour, The National);
* Toronto Star, où Michael Geist tient une chronique hebdomadaire;
* The Financial Post;
* The Gazette;
* The Globe and Mail (abonnement requis, mais le titre illustre de quoi il est question);

Dans le ROC, il est clair que la nouvelle loi sur le droit d'auteur est un événement médiatique qui a commencé dans la blogosphère et qui a ensuite trouvé echo dans les anciens médias.

Que se passe-t-il durant ce temps au Québec? Vraiment, vraiment pas grand chose.

La blogosphère est pratiquement absente de ce débat. En tout, j'ai trouvé 4 blogues qui en parlent:
* Étienne Goyer (blogue, courrier du lecteur du Devoir);
* Nicolas Langelier;
* CultureLibre.ca;
* IM2 | OQP (qui répertorie essentiellement des liens);
* Nelson Dumais.

5 billets en tout et pour tout. Et il y a Nelson Dumais là-dedans, alors qu'il devrait probablement être dans la catégorie des anciens médias… Où sont les autres?

Dans les anciens médias?
* 2 articles d'André Brunet dans La Presse (article 1, article 2);
* Un article de la Presse Canadienne parue dans le journal du Devoir;

Je n'ai rien trouvé sur le site de Radio-Canada, ni ailleurs sur les sites des grands médias.

Il y a peut-être des billets ou des articles qui ont échappé à mes recherches, mais il est clair que l'ampleur de la couverture est d'au moins un ordre de grandeur plus grand dans le Canada anglais que du côté francophone. Qu'est-ce qui peut bien expliquer cela?

Il ne faut pas s'attendre à ce que les grands groupes de presse québécois parlent spontanément des enjeux de cette nouvelle loi. Ils sont souvent eux-mêmes reliés à des groupes d'ayant-droits (Quebecor, GESCA, Transcontinental) qui seraient monétairement avantagés par un durcissement de la loi sur le droit d'auteur et par l'effritement du bien commun. De plus, les enjeux technologiques sont perçus comme peu vendeurs, parce que trop complexes probablement. Ils n'ont pas réagi lors de l'utilisation du vote électronique qui s'attaque aux fondements même de la démocratie au Québec, il ne faut pas s'attendre à mieux dans ce cas-ci.

Reste donc la blogosphère. Lors de la prise de position frivole de l'ADISQ, la blogosphère québécoise a été prompte à réagir. Que se passe-t-il donc dans le débat sur la nouvelle loi sur le droit d'auteur pour qu'il passe presque inaperçu? Est-ce parce que le porte parole, Michael Geist, est un anglophone et qu'il n'existe pas de juriste québécois qui s'occupe publiquement de ces questions?

Je l'ignore mais j'espère que la blogosphère québécoise va réagir, il n'y a pas de raison que ce ne soit que le Canada anglais qui mène seul le combat.

Cher Louis-José

Pour les gens qui, comme moi, ont fait autre chose que regarder le gala de l'ADISQ dimanche le 28 octobre, voici le commentaire de Louis-José Houde à propos de YouTube et des gens qui « font ça gratuitement » (ça commence à 00:57):

Je trouve d'ailleurs délicieux d'avoir pu entendre, cher Louis-José, ton commentaire sur YouTube. Sinon, j'aurais manqué un des commentaires qui a déchaîné la blogosphère (voir le premier paragraphe de technaute, entre autres).

Ton commentaire sur les gens qui publient et qui n'ont pas d'argent en retour me fait penser à un commentaire que j'entends plus que régulièrement lorsque je parle de mes réalisations sur ptaff.ca: « t'as ben du temps à perdre ».

Je te répondrai, cher Louis-José, ainsi qu'à tous ceux qui me font ce commentaire: « prend toutes les heures où tu écoutes la télé (par exemple le gala de l'ADISQ), toutes celles où tu fais quelque chose de plus ou moins constructif (les heures passées sur les jeux vidéos), pis fait un tas avec, et utilise-les pour créer. C'est un accomplissement, pas une perte de temps ».

Même sans argent Louis-José, même sans argent.

L'obscurantisme de l'ADISQ

Ce billet est une réponse à la proposition de l'ADISQ au CRTC pour créer une loi (ou un règlement) afin que tous les octets qui circulent sur l'internet canadien soient contrôlés.

Le contrôle d'internet au Canada

Pourquoi contrôler internet au Canada? Pour faire en sorte que les octets transportant un contenu canadien aient priorité sur les autres. Pour que la culture canadienne, sans parler de l'exception québécoise, ait priorité sur tout le reste.

Si les octets du contenu canadien vont plus vites, c'est donc que les autres sont ralentis. L'ADISQ prêche donc contre la neutralité des réseaux.

Selon l'ADISQ, il n'y a pas de difficulté technique puisque la Chine exerce déjà un contrôle sur internet à l'intérieur de ses frontières pour censurer le contenu étranger. Le Canada, après la Chine, devrait donc être le deuxième pays à contrôler internet sur son territoire.

Les dangers de la nouveauté

Les théologiens saint Augustin et Saint Thomas d'Aquin se méfiaient de ce que la curiosité pouvait faire aux fidèles. En effet, la curiosité pouvait faire en sorte que l'Église perde son pouvoir, menant les hommes vers des sphères de connaissances hors de son pouvoir1. Au Moyen Âge, l'Église avait plutôt une position contre la curiosité et les débats qui en découlaient. L'intelligence devait être utilisée pour la contemplation divine, non pour la recherche stérile de frivolités temporelles2. L'Histoire donna raison à leurs craintes, les Lumières mettant un frein à la souveraineté de l'Église sur la pensée en Europe.

Lors de la découverte du Nouveau Monde, une pensée émise par Jean de Léry dans son récit de voyage au Brésil, Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil (1578), fait le tour de l'Europe:

comment croiront-ils ce qui non seulement ne se peut voir qu'à pres de deux mille lieues loin du pays où ils habitent, mais aussi choses si esmerveillables et non jamais cognues, moins escrites des Anciens qu'à peine l'experience les peut-elle engraver en l'entendement de ceux qui les ont veuës ?

L'idée qu'il y ait des choses n'ayant jamais été connues par les Anciens (les sages de l'Antiquité) secoue le monde intellectuel de l'Europe. En effet, tout au long du Moyen Âge, on croyait que tous les phénomènes naturels, tous les animaux et toutes les sensations étaient connus et discutés par les Anciens. Tout le reste n'était qu'une nouvelle interprétation de ce qui était déjà connu.

Montaigne lui-même, que l'on ne peut accuser d'avoir été contraint par l'Église dans sa pensée, croyait que de s'intéresser aux nouvelles connaissances apportées du Nouveau Monde était un défaut, puisque cette curiosité faisait en sorte que l'on touchait à tout, mais que l'on en comprenait rien1.

Conclusion et Francis Bacon

Toute cette revue historique pour illustrer que l'ADISQ prône un retour en arrière. Ils tentent de barrer la route aux nouveaux moyens de communication, lire internet, en forçant une législation qui imposera l'ancien ordre des choses.

Ce n'est pas la première fois que l'arrivée d'idées nouvelles est combattue par les puissances en place. C'est ce que je tente d'illustrer par ma comparaison avec l'Église au Moyen Âge face aux connaissances apportées du nouveau monde.

Je terminerai par une citation de Francis Bacon, publié en 1620 dans son Novum Organum, en réponse à ces réfractaires aux nouvelles idées:

It would… be disgraceful, to mankind, if, after such tracts of the materials world have been laid open which where unknown in former times – so many seas traversed – so many countries explored – so many stars discovered – philosophy, or the intelligible world, should be circumscribed by the same boundaries as before.

Traduction de moi:
Il serait… déshonorant pour l'humanité, qu'après que de tels chemins, inconnus auparavant, au monde matériel aient été parcourus – tant de mers franchies – tant de pays traversés – tant d'étoiles découvertes – la philosophie, ou le monde intelligible, soit circonscrite par les mêmes frontières qu'avant.

Il semble que la blogosphère réagisse à l'unisson face à la proposition de l'ADISQ. Pleins de liens vers d'autres billets traitant du même sujet sur le blogue de Michel Dumais.

1:To Have and To Hold, Allen Lane, ISBN 0713994762, p.19-20
2: Raymond Klibansky, Erwin Panofsky und Fritz Saxl: Saturn und Melancholie - Studien zur Geschichte der Naturphilosophie und Medizin, der Religion und der Kunst. Suhrkamp, Frankfurt a.M. 1990. ISBN 3518286102.