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Le sens de l'écriture

J'étais étendu sur mon sofa lorsque mon regard glissa sur les livres qui trainaient sur ma table de salon. Je me rends alors compte que les titres sur les tranches des livres ne sont pas tous écrits dans le même sens.

Livres couchés sur ma table de salon

J'observe alors que, d'après ce petit échantillon, la langue du livre semble être le facteur qui détermine le sens de l'écriture.

Je regarde dans ma bibliothèque pour agrandir mon échantillon et, diantre! ça semble être effectivement le cas.

Livres debouts dans ma biblithèque

Il y a bien quelques exceptions mais elles semblent être suffisament peu nombreuses pour pouvoir en tirer une règle. L'écriture sur la tranche des livres en français est dans un sens pour que ce soit facile à lire lorsqu'ils sont debouts, par exemple dans une bibliothèque (c'est peut-être juste une impression, mais on dirait que la lecture est plus aisée de bas en haut que de haut en bas). Tandis que l'écriture sur la tranche des livres en anglais est dans l'autre sens, de sorte que ce soit aisément lisible lorsqu'ils sont à plats.

Comme il arrive souvent, un problème ayant 2 solutions avec des avantages différents (un optimal pour la bibliothèque, l'autre pour un livre à plat sur une table), se voit résolu de façon différente selon la culture qui amène la réponse.

Trois règles pour gagner une guerre contre-insurrectionnelle

Avec le 100ème mort Canadien en Afghanistan, on se remet, dans les médias, à discuter de l'engagement occidental dans ce pays. Beaucoup d'experts donnent leur opinion à RDI ou dans les journaux, sur la meilleure manière de prévaloir en Afghanistan. Évidemment, on y entend beaucoup d'inepties. Commenter la guerre en Afghanistan s'apparente beaucoup à commenter la météo, le déneigement a Montréal ou la politique provinciale: tout le monde a une opinion mais il y a peu d’experts. Ceci favorise l'apparition de ce que j'appelle «les Richard Martineau de la stratégie militaire». Beaucoup de vent, peu de substance et surtout, peu de contexte historique au-delà des clichés.

L'histoire a beaucoup à nous apprendre sur les guerres contre-insurrectionnelles. Les commentateurs militaires amateurs n'hésitent jamais à nous dire que le conflit en Afghanistan n'est pas gagnable car «jamais une puissance occidentale n'a triomphé devant une insurrection nationale». On s'empresse alors de nous citer les exemples classiques: les Américains au Vietnam, les Russes et les Britanniques en Afghanistan, Napoléon en Espagne (où le terme guérilla est né) les Britanniques aux États-Unis (1776), et j’en passe.

Il est pertinent de se pencher sur les exemples de guerres contre-insurrectionnelles qui se sont terminées par la victoire de la puissance étrangère ou occupante. Nous pourrions en déduire quelques conclusions qui font que l’occupant ait le dessus sur les insurgés et voir si elles sont appliquées en Afghanistan.

Sans faire la petite histoire de ces guerres, voici quelques exemples. Les Français en Algérie (militairement le Front de libération nationale était défait en 1961), les Britanniques en Afrique du Sud (guerre des Boers), les Américains aux Philippines (1898) et en Haïti (1915). Les meilleurs exemples restent encore les Britanniques en Malaisie (années 50) et à Oman (1962-1975). L’étude de ces conflits nous apprend qu’ils avaient presque tous trois choses en commun. Voyons quelles sont ces règles et voyons si elles s’appliquent en Afghanistan.

1. Isoler la zone de combat

Un mouvement insurrectionnel peut difficilement réussir sans appui extérieur. L'exemple classique est sûrement celui du Viêt-Cong et de la piste Ho Chi Minh. La géographie a clairement aidé les Américains aux Philippines (1898) et les Britanniques en Malaisie (1950), en isolant les groupes armés. Les deux mouvements insurrectionnels n'avaient, pour ainsi dire, aucun appui extérieur. Lorsque la géographie ne favorise pas l’occupant, on peut toujours tenter d’imposer des barrières articifielles. En Algérie, l'armée française a bâti la ligne Morice, qui a coupé les lignes d'approvisionnements du Front de libération nationale en Tunisie. Il est difficile de juger de l’efficacité à long terme de cette ligne de défense, la guerre s’étant terminée en 1962. La même observation s’applique en Israël ou les attentats terroristes ont dramatiquement diminués depuis la construction du « mur de sécurité ». Est-ce soutenable à long terme? Probablement que non, la solution idéale réside à isoler la zone de combat en convaincant le pays limitrophe de ne plus supporter le mouvement insurectionnel.

Est-ce le cas en Afghanistan? Non. La zone de combat n'est pas isolée. L'OTAN ne s'occupe en fait que d’une moitié de la zone de combat. L'autre moitié étant au Pakistan, dans ce que l’on appelle les zones tribales (Waziristan). Une ligne tracée arbitrairement par un britannique en 1893 (Mortimer Durand) vient diviser la zone de combat et empêche les interventions occidentales dans sa moitié est. Le coté pakistanais de la zone de combat n'est contrôlé, militairement ou politiquement, ni par les Occidentaux, ni par les Pakistanais eux-mêmes. La règle numéro 1 n’étant pas remplie, un succès militaire en Afghanistan est improbable.

2. Déployer suffisamment de forces

La guerre contre-insurrectionnelle demande un rapport de force nettement en faveur de la force étrangère. Les Français en Algérie y étaient souvent à 11 contre 1 et les Britanniques en Malaisie bénéficiaient d'un avantage d'au moins 30 contre 1. Dans les opérations d'imposition de la paix, l'OTAN a eu un succès relatif en Bosnie avec 54 000 hommes et au Kosovo avec 50 000 hommes.

En Afghanistan, on compte maintenant 50 700 soldats de l'OTAN (auquel on doit ajouter 12 500 Américains ne faisant pas partis de la force internationale d'assistance et de sécurité et conduisant des missions très agressives). Est-ce suffisant? Poser la question c'est y répondre. Pour déployer, toutes proportions gardées (population et superficie), autant de troupes en Afghanistan qu’au Kosovo, il faudrait y envoyer près de 800 000 soldats. C’est clairement irréaliste. Un succès militaire en Afghanistan avec les moyens déployés présentement est donc improbable.

3. Offrir à la population une alternative pacifique au changement

Mener une révolution ou une insurrection contre un régime démocratique est très difficile, voire impossible, dixit Che Guevara. La population locale peut en effet changer de régime sans avoir recours à la violence. Les dernières élections au Népal en sont un exemple. Les Maoïstes n'ont jamais réussi à renverser le gouvernement par la force, mais ils viennent de prendre démocratiquement le pouvoir. L'histoire nous montre que la démocratie peut être le fossoyeur des insurrections.

Qu'en est-il en Afghanistan? Des institutions démocratiques sont en place, et le pays à récemment mené des élections reconnues comme ayant été démocratiques. Le processus n'est pas encore très robuste, mais il a clairement du potentiel. La question que tout le monde se pose est la suivante: comment l'Occident réagirait-il à une victoire démocratique d'un parti pro-taliban en Afghanistan? ou encore à la création démocratique d’un « califat islamiste »?

Il est intéressant de regarder le conflit présent en Afghanistan à travers ces trois règles. Il est selon moi improbable que l’Occident n’atteigne ses objectifs (à court, moyen et long terme) en Afghanistan si les trois conditions ne sont pas remplies.

Élections du Québec 2008: le nom des partis politiques

En vu du scrutin du 8 décembre 2008 pour les élections du Québec, j'ai reçu ma carte de rappel du Directeur général des élections du Québec. Sur cette carte, on retrouve le nom des candidats, ainsi que le nom du parti auquel ils appartiennent, de ma circonscription tels qu'ils apparaîtront sur le bulletin de vote.

Un aspect des noms des partis politiques a marqué ma curiosité. Ils peuvent être classés selon les catégories suivantes.

Les noms unilingues français

  • Parti québécois
  • Québec solidaire
  • Parti marxiste-léniniste du Québec
  • Action démocratique du Québec/Équipe Mario Dumont

Les noms bilingues

  • Parti vert du Québec/Green Party of Quebec
  • Parti libéral du Québec/Quebec Liberal Party

Le nom de parti incluant le nom du chef

  • Action démocratique du Québec/Équipe Mario Dumont

Il y a aussi un nom sans parti, j'en déduis que c'est un indépendant.

Le libellé pour le nom du parti indique quelle est la population visée, francophone dans tous les cas et anglophone pour seulement 2 partis. L'ADQ souvent accusé d'être le parti d'un seul homme voit cette réalité se refleter dans le nom du parti indiqué sur les bulletins de vote.

La nourriture et la deuxième loi de la thermodynamique

L'énergie dont notre corps a besoin nous provient essentiellement de la nourriture que nous consommons. Cette nourriture peut être divisée en 2 grandes catégories: animale et végétale. À l'autre bout de cette chaîne, se trouve le grand pourvoyeur d'énergie de notre planète: le Soleil.

L’énergie, du Soleil à l’humain
Schéma: L'énergie, du Soleil à l'être humain (sources des images: boeuf, humains)

On peut voir sur le schéma ci-dessus que, lorsque nous mangeons de la viande, l'énergie subit une transformation de plus par rapport aux végétaux (céréales, légumes, fruits, etc.). Regardons ce que la physique peut nous apprendre sur les implications de cette étape supplémentaire.

La deuxième loi de la thermodynamique stipule qu'il ne peut y avoir de transfert d'énergie sans augmentation d'entropie, c'est-à-dire sans transfert d'énergie vers le milieu. On peut conclure, et vous pouvez écrire ça sur un petit papier et le glisser dans votre portefeuille, ça va toujours être vrai, que si on achemine l'énergie du Soleil dans notre corps via de la viande plutôt qu'en utilisant des végétaux, il y a une perte d'énergie supplémentaire qui est générée dans ce système.

Le tableau suivant illustre le ratio entre la quantité d'énergie fossile nécessaire pour produire 1 kcal d'énergie en protéine animale [1].

Bétail et animal produit Ratio d'énergie nécessaire pour produire des protéines animales
Agneaux 57:1
Bovins de boucherie 40:1
Oeufs 39:1
Porcs 14:1
Produits laitier 14:1
Dindes 10:1
Poulets 4:1

Le système de production de protéines animales nécessite une moyenne de 25 kcal pour produire 1 kcal. Ce ratio est environ 11 fois plus élevé que pour la production de protéines à partir de grains, qui est d'environ 2,2 kcal pour 1 kcal de production.

Cette dépense supplémentaire d'énergie pour la viande animale provient de plusieurs sources: culture de végétaux pour consommation par les animaux, transport de ces végétaux et l'utilisation de territoires pour ces cultures végétales (notamment la déforestation de la forêt amazonienne pour l'élevage bovin [2]). Ces dépenses d'énergies supplémentaires ont aussi des conséquences indésirables comme la production de gaz à effet de serre, dont le méthane, l'appauvrissement des sols, l'augmentation des prix des céréales, etc.

Une manière simple d'optimiser l'utilisation des ressources de notre planète pour nous nourrir serait de changer nos habitudes alimentaires, de telle sorte que la viande prenne moins de place dans notre assiette. Toute diminution de cette consommation de viande, aussi minime soit-elle, est un pas de plus vers le respect des lois physiques qui gouvernent notre Univers.

Référence

[1] Pimentel D. and Pimentel M., Sustainability of meat-based and plant-based diets and the environment, American Journal of Clinical Nutrition, Vol. 78, No. 3, 660S-663S, September 2003
[2] Tourrand J.F., Piketty M.G., Oliveira J.R.D., Thales M.C., Alves A.M., Da Veiga J.B., Poccard Chapuis R. Elevage bovin, déforestation et développement régional : le cas du sud du Para, Amazonie brésilienne, 2004. Bois et forêts des tropiques (280) : 5-16, format PDF.

Licence

Ce billet est distribué sous licence Creative Commons BY-SA.

Blogues, Facebook, Twitter et tout ça

Livre au-dessus de l’oiseau bleu de Twitter

Paul Boutin nous annonce sur Wired que ça y est, les blogues sont morts. Il nous recommande de s'exprimer nous-même («expressing yourself») sur Flickr, Facebook ou Twitter.

La métrique utilisée pour en arriver à cette conclusion est simple: la position de votre publication dans une recherche sur google à l'aide des mots-clefs qui représentent votre article (billet, Twit?). Comme les grands sujets sont la plupart du temps déjà traités par des publications qui ont un PageRank plus élevé (wikipédia, blogues corporatifs), il est difficile de se tailler une place dans les premiers résultats d'une requête dans Google.

La solution proposée pour résoudre ce problème est de verser dans le volume et, donc, de raccourcir la taille du contenu proposé. C'est l'équivalent des canaux d'information en continue (RDI, LCN, CNN), mais sur le web. Comme il prend un certain temps pour réfléchir, avoir des idées et publier un bon texte, la compétition a le temps de faire la même chose. Ce qui fait que, pour se démarquer, il faut avoir de bonnes idées ou encore de grands moyens. La beauté du Twit, de Facebook et des informations en continues, c'est qu'il est aisé d'être prolifique et rapide puisque le contenu des messages est réduit à sa plus simple expression.

Le risque, c'est que qui parle beaucoup pense peu. Dans le cas des réseaux d'information en continue, plus d'images, moins d'idées.

Je ne nie pas que ces formats peuvent convenir à certains types de messages. Un paragraphe par exemple est suffisant pour les annonces classées. Le lecteur du 24 heures pourra par contre convenir que ce format n'est peut-être pas l'idéal pour expliquer la situation géopolitique mondiale tel que le conflit israélo-palestinien.

Les victimes de la mode du web, comme Paul Boutin, ont la propension à ordonner les technologies utilisées sur internet, plutôt que de regarder à quel type de communication ils conviennent. Ces plateformes ont sûrement leur utilité, je n'en doute pas, mais elles ne sauraient remplacer la solidité d'un texte bien bâti et articulé, même s'il doit être plus long à lire qu'un Twit (140 caractères maximum).

S'il y avait un Kasimir Malevitch des temps modernes, il inventerait la version numérique du Carré blanc sur fond blanc: un système de communication où la quantité maximale d'information que l'on peut échanger est d'un octet. Nous saurions à ce moment que nous avons atteint un point de non retour.

Carré blanc sur fond blanc

Division de la météorologie de Kisangani

Un collaborateur nous a envoyé une photo du bureau de météorologie de Kisangani (cliquez dessus pour la voir en grand format):

Division de la météorologie de Kisangani

À comparer avec ce que nous avons à Montréal:

Centre météorologique canadien

Les États-Unis et la Chine aux Jeux Olympiques

Anneaux olympiques

Selon toute vraisemblance, la Chine terminera premier au tableau des médailles aux Jeux Olympiques de Pékin. Je me suis demandé ce que cela pouvait bien représenter au niveau historique. Voici mes observations.

Les États-Unis aux Jeux Olympiques

Les États-Unis sont la puissance dominante dans l'histoire des Jeux Olympiques. En 25 Jeux Olympiques, ils ont terminé premier au tableau des médailles à 15 reprises, deuxième à 8 reprises, troisième une seule fois et ont boycotté les JO des Moscou en 1980.

C'est à Montréal que les États-Unis ont terminé troisième, derrière l'URSS et la République démocratique allemande (RDA).

Depuis 1912, il y a seulement deux pays qui ont détrôné les États-Unis pour le nombre de médailles (j'exclus les JO de Moscou en 1980, boycottés par les États-Unis):
* Allemagne: 1936
* URSS: 1956, 1960, 1972, 1976, 1988, 1992 (Équipe unifiée de l’ex-URSS)

La Chine aux Jeux Olympiques

Première apparition de la République de Chine aux JO: 1932

Il y eu de la chicane avec Taïwan après la révolution de 1949, ce qui fait que la République populaire de Chine ne sera présente qu'à partir des JO de Los Angeles en 1984.

À sa première présence aux JO, la Chine termina 4e au tableau des médailles avec un total de 32 (cette position élévée est due au boycott de ces JO par le bloc de l'est, notamment par l'URSS et la RDA).

En 5 JO, la Chine a dépassé le Canada pour le nombre des médailles obtenues, tout JO confondus (286 médailles pour la Chine, 242 pour le Canada).

La position de la Chine au tableau des médailles depuis 1988:
* 1988: 11ème 28 médailles;
* 1992: 5ème 54 médailles;
* 1996: 4ème 50 médailles;
* 2000: 3ème 59 médailles;
* 2004: 2ème 63 médailles;
* 2008: 1er? ?

La Chine a fait son apparition dans le top 3 du tableau des médailles en 2000. Selon toute vraisemblance, elle sera la troisième puissance à battre les États-Unis depuis 1912, après l'Allemagne et l'URSS.

L'Inde aux Jeux Olympiques

Un petit extra pour fin de réflexion.

L'Inde, le deuxième pays le plus peuplé de la planète, a participé à tous les JO depuis 1920. Elle a un total de 18 médailles en 22 JO, ayant obtenu au plus 2 médailles. Sur ces 18 médailles indiennes, 11 ont été gagnées au hockey sur gazon.

L'Inde est ainsi classé au 50ème rang dans le décompte des médailles olympiques par nations. Pour fin de comparaison, le Canada, avec une population Ô combien moindre, a obtenu 242 médailles durant cette période et est classé au 16ème rang.

C'est extrêmement peu de médailles pour une si grande population. Comment expliquer cela?

Références

Wikipédia:
* Jeux olympiques d'été;
* Inde aux Jeux olympiques;
* Décompte des médailles olympiques par nations

Des logiciels gratuits pour toi, le jeune

Quand j'étais jeune, il y a eu une campagne contre les drogues à l'école St-Joseph, mon école primaire. Je me souviens très bien d'un t-shirt très laid arborant un coq, aucune idée pourquoi, qui disait « Non à la drogue ».

On avait bien été averti que, si jamais quelqu'un vous offre de la drogue, même si c'est gratuit, de toujours dire « NON! ». Le raisonnement derrière ça est que s'ils vous la donnent gratuitement, c'est pour mieux vous avoir lorsque vous serez devenu accro. Le pusher rentrerait dans son argent à coup sûr. On était averti, il n'y avait pas de raison de se faire prendre.

Lorsque je lis l'annonce que Microsoft offre des logiciels gratuits à des étudiants ou encore Des iPod Touch et des iPhone pour les étudiants d'une université texane, je ne peux faire autrement que de penser à un Ti-brin de 15-16 ans avec un manteau de cuir à franges qui offre de la drogue, « gratis pour toé mon jeune », dans une ruelle.

Faites comme le coq: Dites non à la drogue!

Nicolas et moi

En effectuant des recherches pour le billet Les fournisseurs d’accès et le contrôle d’internet, une analogie, j'ai lu le discours de Nicolas Sarkozy sur ses mesures pour civiliser internet. Le commentaire suivant m'a fait sursauter (l'hyperlien est de moi):

D’un côté, des réseaux flambant neuf, des équipements ultra-perfectionnés, et de l’autre des comportements moyenâgeux, où, sous prétexte que c’est du numérique, chacun pourrait librement pratiquer le vol à l’étalage.

C'est que, dans un autre billet intitulé l'obscurantisme de l'ADISQ, j'avais moi-même comparé le type de solutions que Nicolas propose comme une pratique du Moyen Âge.

Première curiosité, Nicolas et moi faisons tous deux références à l'époque du Moyen Âge mais pour des raisons diamétralement opposées; lui c'est le comportement qu'il assimile au Moyen Âge, moi c'est plutôt les mesures qui sont proposées par les ayants droits pour contrer ce comportement.

Deuxième point d'étonnement, deux personnes très différentes ont le même point de comparaison lorsqu'il est question de réglementation sur la technologie: le Moyen Âge. Pour moi, c'est suffisant pour faire de cette référence un lieu commun.

Puisque le titre de ce blogue est justement Hors des lieux communs, je promets de ne plus utiliser cet exemple à l'avenir lorsqu'il sera question de nouvelle règlementation sur la technologie.

Mon étonnement est tellement grand, que je propose une variante de la loi de Godwin:

Plus une discussion sur la réglementation de la technologie dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant le Moyen Âge s'approche de 1.

Les fournisseurs d'accès et le contrôle d'internet, une analogie

Nicolas Sarkozy l'a récemment suggéré pour la France. La Suède est en train d'étudier cette possibilité. Chez nous, Solange Drouin de l'ADISQ a demandé au CRTC de l'appliquer. Il s'agit de la suggestion de faire des fournisseurs d'accès internet (FAI) les responsables légaux de ce que circulent sur le réseau, notamment en ce qui concerne les oeuvres protégées par le droit d'auteur. Autrement dit, de faire des FAI les gendarmes d'internet.

C'est une très mauvaise idée. Voici pourquoi.

Le protocole à la base du réseau internet a été conçu de manière que, lorsqu'une communication est établie entre 2 ordinateurs, les noeuds par lesquels l'information transige n'effectuent aucun contrôle sur le contenu: ils ne font que transmettre aveuglément. C'est un des principes les plus importants d'internet: l'intelligence se situe aux bouts du réseau, pas à l'intérieur de celui-ci. Toutes les innovations qui sont apparues grâce à internet au cours des dernières années (pensez à google, wikipédia, YouTube!, ptaff.ca) l'ont été parce que les gens avaient le plein contrôle sur leur bout. Le protocole pour communiquer tous ces 0 et ces 1 lui, n'a pas changé d'un iota. Et, pour ce que l'on peut voir de l'avenir, ce n'est pas prêt de changer.

Visualisation des multiples chemins à travers une portion de l’Internet.

C'est ce principe-là que les politiciens et les gens de l'industrie de la propriété intellectuelle attaquent en voulant faire des FAI des contrôleurs de contenu. Les FAI ont été identifiés parce qu'ils sont la porte d'entrée sur internet. Ils possèdent des noeuds qui sont pratiquement incontournables pour le citoyen moyen qui veut accéder à internet. Ils ont donc été ciblés pour contrôler ce qui s'y passe.

Or, si les FAI doivent contrôler tout ce qui circule sur internet, cela pose d'énormes difficultés. C'est n'est pas pour rien que Solange Drouin de l'ADISQ a cité la Chine en exemple pour le contrôle d'internet. C'est que, pour exercer un contrôle qui est contre la nature du réseau, il faut avoir une approche, et les moyens, d'un système totalitaire.

L'analogie

Étudions l'ampleur de la tâche et les complications qu'entraînerait une telle décision au Canada. Pour ce faire, j'utiliserai l'analogie suivante:

  • les ordinateurs sont représentés par nos maisons;
  • internet est représenté par les routes;
  • les paquets de 0 et de 1 sont transportés les voitures;
  • posons que tous les ponts du Canada sont gérés par des compagnies privées (les FAI).

En dernier lieu, posons que l'alcool de contrebande pose un problème de société grave. Celle-ci est rendue monnaie courante, le gouvernement voit le revenu des taxes sur l'alcool fondre, les grands brasseurs du monde entier prétendent que la production d'alcool est menacée de disparaître si leur modèle de revenu n'est pas protégé (on aura reconnu les oeuvres protégées par le droit d'auteur). Pour combattre ce fléau, le gouvernement décrète que les compagnies privés qui sont en charge des ponts sont responsables si les véhicules qui circulent sur leurs infrastructures transportent de l'alcool de contrebande.

Bar dans une résidence de Villeray

Examinons les défis auxquels feront faces les compagnies privées qui gèrent les ponts.

Défi structurel

Bien qu'une certaine réglementation existe pour les véhicules qui circulent sur les ponts (limite de poids, type de véhicule, conducteur en état d'ébriété, etc.), cette réglementation est la même sur tout le réseau routier et le contrôle est effectué par les autorités responsables (police, ministères des transports, etc.).

Photo d’un poste de péage sur l’autoroute de l’État de Virginie

Avec cette nouvelle loi, les compagnies privées doivent contrôler tous les véhicules. Bien que certains ponts, pas tous, soient munis de guérites pour le péage, la plupart des gens y circulent sans s'arrêter (des cartes magnétiques permettent aux véhicules d'être identifiés, les propriétaires paient un montant mensuel ou reçoivent une facture à la fin du mois). Dorénavant, tous les véhicules devront être contrôlés. La circulation sur les ponts étant déjà problématique à cause des embouteillages, elle le sera encore plus puisque chaque véhicule devra s'arrêter à une guérite. Il faudra donc que les compagnies développent, testent et déploient ces systèmes. Comme il y a des centaines de compagnies différentes en charge des ponts, il y aura fort probablement des centaines de systèmes de guérites différents qui vont être mises en place. De plus les guérites devront aussi répondre aux critères de sécurité du gouvernement, ce qui fait que chaque modification du système devra être approuvée par des fonctionnaires, à moins que le gouvernement n'assouplisse la réglementation pour permettre d'effectuer plus rapidement des changements au système de guérite mais, ce faisant, ils diminuent la sécurité qu'ils sont supposés assurer.

Il y a, bien sûr, des véhicules qui pourront passer sans s'arrêter aux guérites. On pense aux ambulances, aux voitures des policiers, les camions de pompiers, les véhicules diplomatiques, militaires, etc. La compagnie en charge du pont pourrait même louer ou vendre des véhicules « autorisés », véhicules qui seraient dépouillés de toute installation permettant de transporter de l'alcool de contrebande ou, encore mieux, offrir un service d'autobus qui ne s'arrête pas aux guérites. Je reviendra sur ce système de transport plus loin.

Défi juridique

Nos compagnies n'ont aucune expérience ni en contrôle ni en fouille de véhicules. Elles doivent maintenant recruter du personnel et faire en sorte que ceux-ci empêchent tout véhicule de transporter de l'alcool de contrebande sur leurs ponts. Nommons-les les gendarmes. Ces gendarmes ne sont pas des policiers, ils n'ont ni la formation ni le code déontologique de ceux-ci mais, sur le pont, ils auront maintenant les mêmes pouvoir qu'eux. Quelles sont les règles qu'ils utiliseront? Quels recours auront les citoyens contre ces gendarmes? Comment faire pour conjuguer la vie privée et les fouilles systématiques?

Encore une fois, puisqu'il y a des centaines de compagnies privées, il y aura aussi plusieurs façons de faire respecter la nouvelle réglementation. Y aura-t-il moyen de connaître exactement les moyens et politiques mis en place par les compagnies pour faire respecter cette loi? Les textes de loi du gouvernement sont publics et nous pouvons toujours utiliser la loi d'accès à l'information. Cette protection n'existe pas dans le cas des compagnies privées.

Les contenants

L'alcool de contrebande est, parfois, aisément identifiable à l'étiquette. Mais, il est possible de transférer le liquide dans un autre contenant. Les brasseurs ont promis de mettre au point un contenant scellé, inviolable, qui permettra aux gendarmes sur les ponts de l'identifier immédiatement. Nomme-le un contenant certifié.

Bouteille de Klein

Qu'adviendra-t-il des liquides dans les autres contenants? Seront-ils systématiquement saisis? Si oui, n'avantage-t-on pas ainsi les brasseurs commerciaux produisant les quelques contenants certifiés par rapport aux petits brasseurs et aux brasseurs artisanaux qui n'ont pas ces moyens? Si non, devra-t-on tester les liquides dans les contenants non certifiés avant de les laisser passer? Dans ce cas, quels seront les tests? qui sera en charge de l'analyse et comment pourra-t-on vérifier ou contester les résultats? Le conducteur ayant en main un contenant non certifié ne sera-t-il pas indûment ralenti dans ses déplacements?

De plus, si les contenants certifiés sont destinés à être ouvert pour en boire le contenu, comment peut-on s'assurer qu'un bricoleur n'inventera pas dans son sous-sol un bouchon permettant de mettre un autre liquide et de le reboucher? Ou encore d'imiter l'apparence du contenant certifié?

Le cas de la Chine

Voyons maintenant, tout en continuant notre analogie, pourquoi la Chine est en mesure d'effectuer ce contrôle.

Premièrement, le gouvernement chinois possède tous les ponts. Il n'y a donc qu'un seul type d'infrastructure à mettre en place.

Deuxièmement, le style de vie des Chinois est beaucoup moins axé sur les transports sur les routes que peut l'être celui des Canadiens. Cette réglementation touche donc, proportionnellement, moins de gens (quoique ce nombre soit sans cesse croissant).

Troisièmement, la Chine possédant tous les ponts, c'est sa propre réglementation qu'elle met en vigueur. Les Chinois possèdent donc les mêmes leviers contres les gendarmes des ponts que pour ceux des autres secteurs du gouvernement chinois, c'est-à-dire pas grand chose.

Donc, la réglementation peut être appliquée en Chine à cause du monopole étatique qu'il possède. Puisque les pays où ce contrôle est proposé (Canada, France, Suède) n'ont pas de monopole sur les ponts (les FAI) et qu'il est plus qu'improbable qu'il l'impose, la Chine n'est pas un exemple valable pour nos pays.

Notons que je n'ai pas eu à invoquer la liberté d'expression ou encore les droits de l'homme pour démontrer que la méthode chinoise ne peut s'appliquer ici. Je ne veux pas diminuer l'importance ou la valeur de ces arguments, seulement que je n'ai pas eu à les utiliser.

Anticipation

Tout en poursuivant la même analogie, supposons que, malgré tous les problèmes évoqués plus haut, le gouvernement décide tout de même d'aller de l'avant. Que se produira-t-il?

Dans un premier temps, ça ne fera pas l'affaire des compagnies privées responsables des ponts. Ce sont des experts en génie civil, pas en contrôle de véhicules. Mais, puisqu'ils y sont contraints, ils en profiteront pour faire des affaires, loi du marché oblige.

Les gens étant habitués à circuler librement et, surtout, rapidement, ils chercheront des moyens pour revenir à cette situation. Les compagnies possédant les ponts, sensibles à cette demande et aux opportunités commerciales, vont s'organiser en consortium pour proposer un système de transport efficace et rapide évitant les moyens de contrôle (pour l'autre côté de l'analogie, on parle ici de neutralité de réseaux). Ils auront ainsi un monopole, inévitable, sur les moyens de transport efficaces et auront ainsi tous les avantages que cette position implique dans un marché.

Il y aura aussi, bien sûr, un partenariat avec les grands brasseurs, les transporteurs vantant les mérites de ces produits, affichant de la publicité dans les autobus de la compagnie de transport, installant des magasins vendant ces produits aux terminus et aux gares routières.

Le summum de ce marché surviendrait si une même compagnie était un grand brasseur et possédait des ponts. Le potentiel commercial serait dès lors très, très intéressant.

Mais n'est-ce pas déjà le cas?

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